Dimanche 20 mars, Air Force One atterrissait sous une pluie battante à l'aéroport de La Havane et Barack Obama entamait une visite "historique" sur cette île des Caraïbes; une île dont le sol a été foulé pour la dernière fois par un président américain en 1928. C'est donc 88 ans et 14 présidents américains plus tard que Barak Obama entamait cette visite officielle encore impensable il y a deux ans, le réchauffement diplomatique entre Washington et La Havane n'ayant en effet débuté qu'un 17 décembre 2014, à l'occasion d'un discours simultané des deux présidents depuis leurs capitales respectives.
Pardonnée, la crise des missiles? Cet épisode paroxystique de la guerre froide, lorsqu'en octobre 1962 l'URSS voulut répondre au déploiement de missiles Jupiter américains en Turquie en plaçant ses propres missiles R-12, à Cuba à 200 kilomètres des côtes de Floride. La découverte de l'installation des rampes de lancement avait provoqué le blocus maritime de l'île par la marine américaine. Si Moscou accepta de retirer ses installations, Washington dut en contrepartie s'engager à ne pas envahir Cuba et renoncer à ses missiles installés en Turquie.
Pardonnée le débarquement de la baie des cochons? Où 1400 exilés cubains, bien que sponsorisés et entrainés par la CIA ne parvinrent pas à mettre en échec le gouvernement castriste. S'il s'avère toutefois que leur déroute aurait dû permettre de justifier une intervention de l'US Air-Force aux yeux de l'opinion publique, John Kennedy ne franchit jamais le pas.
Pardonné, Guantanamo? Cette base navale américaine depuis laquelle les troupes US pouvaient menacer l'île et dont Washington s'est dispensé de régler le loyer au trésor cubain depuis 1959 et l'avènement de Fidel Castro.
Un nombre record de tentatives qui témoigne de l'obsession américaine face à cet ilot communiste. Une obnubilation qui deviendra telle, qu'en 1962 la CIA ira jusqu'à suggérer d'assassiner des citoyens américains sur les plages de Floride, ou même d'abattre un avion de ligne dans l'espace aérien cubain, afin de justifier aux yeux de l'opinion publique une intervention armée sur l'île.
Apparemment, non, tout n'est pas pardonné. Le temps est peut-être au "réchauffement" entre le des deux pays, mais le différend qui oppose Cuba aux États-Unis, vestige de la guerre froide, n'est pas soldé. Pour preuve, le régime de sanctions américaines à l'égard de l'île est toujours de vigueur.
Mais selon Salim Lamrani, maître de conférences à l'université de la Réunion, spécialiste des relations entre Cuba et les États-Unis, c'est avec cette attitude des autorités américaines — qui n'a jamais porté ses fruits — que Barack Obama compterait prendre ses distances:
"Je crois que le président Obama a fait un constat extrêmement lucide: il s'est rendu compte que la politique hostile appliquée à Cuba depuis près d'un demi-siècle avait échoué. Elle est anachronique, puisqu'elle remonte à la Guerre Froide, elle est cruelle puisque les sanctions économiques affectent les catégories les plus vulnérables de la société cubaine, et elle est inefficace parce que loin d'isoler Cuba sur la scène internationale ce sont les États-Unis qui se retrouvent isolés dans leur politique vis-à-vis de Cuba."
Un embargo qui s'est montré peu efficace, puisque si Fidel Castro a bien fini par céder le pouvoir, ce fut en 2006 au profit de son frère Raoul, auquel Barack serre aujourd'hui la main. Le changement de "Lider Maximo" n'a en revanche entrainé quasiment aucun changement dans la politique intérieure de Cuba.
Nous assistons donc à un virage à 180° de la politique étrangère américaine, qui, s'il est bienvenu pour la population cubaine et la communauté internationale, peut surprendre. Quant à notre expert, il attend plus de Barack Obama que des discours, si peu de temps avant la fin de son mandat.
Pour Salim Lamrani, les pouvoirs d'Obama sur la question cubaine sont plus larges qu'ils n'y paraissent. Une opinion qui tranche avec l'habituel discours présentant un président démocrate, pieds et poings liés par un Congrès majoritairement républicain.
Notre expert prend l'exemple du tourisme. Si le président américain ne peut directement autoriser ses citoyens à se rendre à Cuba comme touristes ordinaires (alors qu'ils peuvent aller en Corée du Nord ou en Syrie…), il pourrait contourner le problème.
Salim Lamrani enfonce le clou avec un autre exemple, sur le plan économique cette fois:
"Obama ne peut pas — selon la législation — permettre aux filiales des entreprises américaines installées à l'étranger d'avoir des relations commerciales avec Cuba, mais il peut permettre aux entreprises-mères installées aux États-Unis d'avoir des relations commerciales avec Cuba: donc vous imaginez bien que si Cuba peut entretenir des relations avec Ford aux États-Unis, elle n'a pas besoin de solliciter la filiale de Ford au Panama pour importer des voitures."
"Tout est une question de volonté politique, alors est-ce qu'il attend les derniers jours de son mandat pour prendre ses dispositions? Mais d'un point de vue légal, absolument rien n'empêche le président Obama de prendre ces mesures. D'un point de vue politique non plus, puisqu'il faut savoir qu'une immense majorité de la communauté internationale exige depuis près de 25 ans la levée des sanctions économiques, il faut également savoir que 75% de l'opinion publique aux États-Unis souhaite une normalisation des relations avec Cuba."
De son côté, la France s'affirme "résolument aux côtés de Cuba dans la levée de l'embargo", et met en avant ses bonnes relations avec La Havane. Le 11 mai 2015, François Hollande devenait le premier chef d'État français à se rendre à Cuba… une visite qui avait été prudemment annoncée deux jours après l'annonce de la normalisation des relations entre Washington et La Havane.
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