Pris en tenailles entre plusieurs crises, Paul Biya célèbre ses 38 ans à la tête du Cameroun

Ce 6 novembre, Paul Biya fête ses 38 ans de pouvoir à la tête du Cameroun. À 87 ans, le chef de l’État tient le gouvernail d’un pays rongé par de violentes crises internes, dont la plus meurtrière est le conflit séparatiste dans les régions anglophones. Élu pour la septième fois en 2018, la lutte pour sa succession commence à se faire sentir.
Sputnik

Sous un ciel pluvieux, le centre-ville de Yaoundé vit une journée des plus ordinaires. Pas l’ombre d’une banderole ou autre effigie à l’image de Paul Biya qui annoncerait, comme d’habitude, l’événement. En effet, depuis plusieurs années, le 6 novembre n’est pas un jour comme tous les autres au Cameroun: c’est l’anniversaire de l’accession de Paul Biya à la magistrature suprême en 1982, survenue à la suite de la démission d’Ahmadou Ahidjo, le Premier président du pays.

À l’occasion, les militants et sympathisants du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) stoppent leurs activités pour se donner rendez-vous dans des manifestations et meetings pour fêter l’événement. Cependant cette année, et dans un contexte de crise sanitaire mondiale, la célébration se fait sans tambour ni trompette.

Pris en tenailles entre plusieurs crises, Paul Biya célèbre ses 38 ans à la tête du Cameroun

Sur l’une des terrasses de bar, au lieu-dit «Capitole» dans le centre-ville, le sujet à l’ordre du jour n’est pas l’anniversaire de l'élection de Paul Biya au pouvoir, encore moins sa longévité. Ici, on regarde et commente encore la dernière vidéo devenue virale d’une récente attaque dans une école. Mercredi 4 novembre, des individus non identifiés ont donné l’assaut dans un établissement scolaire de Limbé, dans le Sud-Ouest anglophone.

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Sur la vidéo, on voit des élèves et enseignants déshabillés qui subissent des violences corporelles avec autour, les locaux de l'établissement saccagés et incendiés. Des scènes qui ont choqué et suscité l’indignation de citoyens comme Yves, vendeur à la sauvette.

«C’est vraiment grave ce qui se passe chez nos frères anglophones. Comment peut-on faire ça à des enfants?» s’interroge-t-il.

«Après avoir tué des enfants à Kumba, voilà que la violence se poursuit dans les écoles. Le gouvernement doit tout faire pour stopper cette sale guerre. Il en a les moyens», clame Paul Tsafeng, instituteur à la retraite.

Onze jours après le massacre de sept élèves dans un établissement scolaire à Kumba dans le Sud-Ouest, attribué par Yaoundé aux groupes séparatistes, le gouvernement camerounais a annoncé mercredi 4 novembre que quatre écoles avaient à nouveau été attaquées ce début de semaine et que six enseignants avaient été enlevés en deux jours dans les régions en crise.

Un pays déchiré par plusieurs crises

À 87 ans, le Président camerounais, l’un des plus vieux chefs d'État du continent, est à la tête d'un pays déchiré par plusieurs crises. En dehors des conflits pour l’indépendance et du combat des années 90 pour le multipartisme, le Cameroun n’avait plus connu de période aussi trouble. Si, dans la partie septentrionale, la secte islamiste Boko Haram continue de sévir, depuis la présidentielle d'octobre 2018, un conflit sociopolitique menace sérieusement la cohésion nationale.

Cependant, la plus grosse épine dans le pied du pouvoir de Yaoundé, c'est sans doute la crise séparatiste. Depuis quatre ans, elle a déjà fait plus de 3.000 morts et des centaines de milliers de déplacés. Des conflits protéiformes qui illustrent à souhait, selon Jean Robert Wafo, responsable de la communication du Social Democratic Front (SDF) –parti d’opposition–, l’essoufflement du gouvernement. 

«Le régime est resté autiste devant toutes les offres en vue d'une médiation. Le bilan à ce jour est catastrophique, le tissu économique dévasté dans ces deux régions en crise. Le régime est dépassé par les exactions commises malgré les mesures prises jusqu’ici», se désole-t-il au micro de Sputnik.

Sous la pression de la communauté internationale, Paul Biya avait organisé en 2019 un grand dialogue national pour faire taire les armes. Si, théoriquement, l'heure est à la mise en application des résolutions de ces pourparlers, sur le terrain, le conflit s’est sérieusement enlisé et des actes de barbarie sont enregistrés au quotidien. 

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Dans les rangs du RDPC, l’on préfère croire que la décentralisation en cours d’implémentation permettra de sortir peu à peu de cette crise. «Ce que nous vivons maintenant est effectivement quelque chose dont on ne peut se distancier. Nous n'allons pas dire que nous vivons au paradis mais tous les jours, on fait progresser la gouvernance de notre pays. La preuve, nous allons connaître des élections régionales [le 6 décembre prochain, ndlr] qui, nous l'espérons, vont améliorer la gouvernance de proximité exigée par la modernité», se projette Hervé Emmanuel Nkom, membre du comité central du RDPC.

Péril sur les libertés

Après son accession au pouvoir, Paul Biya s’est voulu le chantre des libertés dans le pays. Dans une interview accordée à RMC en 1990, le Président disait vouloir qu’on retienne de lui «l’image de celui qui a apporté la démocratie» au Cameroun. Quelques décennies plus tard, le pays compte une multitude de partis qui participent régulièrement aux élections. Mais l’opposition relève plusieurs vicissitudes qui dénaturent le jeu politique. C’est le discours tenu, notamment, par le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC).

«Au fur et à mesure que le temps passe, nous constatons que cette ‘démocratie’ était un cadeau empoisonné. Quelqu'un qui dit avoir amené la démocratie se doit de respecter tous les principes démocratiques, ce n'est pas le cas au Cameroun aujourd'hui […]. On ne saurait d'ailleurs parler de démocratie dans notre pays en observant le système électoral,  le code électoral et l'administration de la justice», confie Christopher Ndong, cadre du MRC.

Outre l’interminable crise postélectorale, Maurice Kamto, le farouche opposant de Paul Biya, est toujours tenu captif à son domicile pour avoir organisé ses «marches pacifiques». De nombreux militants et sympathisants de son parti ont été emprisonnés à la suite de cette initiative.

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Des éléments qui, pour Jean Robert Wafo, mettent à nu le «recul trentenaire de notre démocratie qui est encore à l'état de balbutiement». Faux, rétorque Hervé Emmanuel Nkom pour qui «le fait que l'on interdise des manifestations ou que quelqu'un soit assigné à résidence n'est pas un recul démocratique».

«C'est quelque chose qui peut relever d'une gouvernance instantanée. Mais la volonté politique globale du Président Paul Biya, c'est de construire une société dans laquelle chaque Camerounais va s'épanouir et le peuple souverain avec. Il y aura toujours quelqu'un qui estime que ses droits ne sont pas assez respectés», défend le militant du parti au pouvoir.

Bataille pour la succession

Alors que le Cameroun vient de vivre un massacre inédit des écoliers dans le Sud-Ouest anglophone, le silence de Paul Biya, bien qu’habituel, fait encore l’objet de questionnements dans le pays. Pour nombre de ses pourfendeurs, ce mutisme face à la tragédie est inacceptable.

«Le Cameroun est le seul pays au monde où, après une attaque qui a causé des morts, le Président de la République ne daigne pas aller sur les lieux de l'assassinat et, en plus, ne fait pas un discours à la Nation. Cela ne se justifie pas», clame Jean Robert Wafo.

«Ce mutisme et la gestion du pays à travers des tweets, des personnes interposées, à travers des signatures désignées ne surprennent aucun Camerounais, même dans les rangs de son parti», lance Christopher Ndong. Réputé taiseux, «les silences de Paul Biya» ont fini par être théorisés par ses partisans.

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Pour Hervé Emmanuel Nkom, il y a «comme une confusion sur le rôle du Président de  la République et celui de chef du gouvernement, voire de simples membres du gouvernement».

«Paul Biya n'est pas un membre du gouvernement. Il est le Président. Ce que les autres qualifient d’insuffisance de prise de parole ne signifie pas qu'il ne remplit pas son rôle. C'est au gouvernement de mettre en œuvre les actions au quotidien. On ne peut pas faire du Président le comptable ou le gestionnaire des faits divers», argue le cadre du RDPC.

Si le septennat de Paul Biya court jusqu’en 2025, la question de la succession à la magistrature suprême est au cœur de l’actualité politique depuis sa dernière réélection de 2018. Beaucoup d’observateurs et de partis politiques de l’opposition, comme le MRC, craignent une transmission du pouvoir de gré à gré dans le clan du Président. D’ailleurs, soutient Christopher Ndong, «du fait des critiques formulées à l'encontre de cette option, le pouvoir en  place veut maintenant procéder à un coup d'État constitutionnel».

«Ils vont chercher à mettre un vice-Président pour compléter le mandat du chef de l'État. Dès que l'on bouleverse une de leurs méthodes, ils changent d'option», poursuit-il.

Bien que le sujet agite le landerneau politique et dresse les Camerounais les uns contre les autres, dans les rangs du parti au pouvoir, on préfère défendre la ligne de la légalité.

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Dans un entretien accordé à Sputnik, Grégoire Owona, secrétaire général adjoint du RDPC, pour déconstruire la théorie du gré à gré ventilée dans l’opinion, se référait aux institutions légitimes et démocratiques qui fonctionnent dans le respect de la Constitution, ainsi qu’aux mécanismes institutionnels prévus pour accéder à la magistrature suprême. Une ligne de défense soutenue par Hervé Emmanuel Nkom.

«Depuis le début du mandat en cours du Président de la République, nous n'avons aucun événement qui ait sonné l'alarme sur son incapacité. Le chef de l’État prend des décisions, peut-être pas au rythme que certains voudraient, Paul Biya n'est pas agité et on l'a élu comme ça. Je n'entre pas dans le débat de la succession puisque son mandat court encore sur cinq ans et n'a montré aucun signe d'essoufflement. Les institutions sont là pour agir en cas de problème», conclut le militant du RDPC.

Si toutes les hypothèses avancées jusqu’ici sont dans le champ du possible, la bataille s’annonce rude face à la machine du parti au pouvoir. Alors que le pays est déjà sérieusement divisé et son unité mise à rude épreuve, beaucoup craignent une guerre pour le fauteuil présidentiel qui pourrait être source d’un nouveau conflit. Coincé dans l’étau de plusieurs crises, comment Paul Biya peut-il encore réussir sa sortie?

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