Trois semaines après la confirmation du premier cas de coronavirus au Cameroun et alors que le pays frôle déjà les 200 cas testés positifs pour six morts, selon un bilan officiel, Paul Biya, n’a toujours pas effectué de déclaration publique. Si, partout ailleurs sur le continent, les chefs d’État multiplient les discours au sujet de cette pandémie, le Président camerounais, lui, reste silencieux.
«Dans le contexte actuel d’un grave danger pour la nation, son silence n’est pas seulement irresponsable, il devient criminel», dénonce Maurice Kamto dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux.
Cette affirmation du principal challenger de Paul Biya à la dernière présidentielle, qui revendique toujours sa «victoire volée», a suscité un tollé général dans les rangs du parti au pouvoir, déportant la crise sanitaire dans le champ politique. Depuis lors, on assiste à une succession de réactions à la hauteur de l’ultimatum de l’opposant. Dans une déclaration cinglante publiée sur sa page Facebook, Grégoire Owona, secrétaire général adjoint du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), parti au pouvoir, a crié sa colère.
«Monsieur Kamto, qui êtes-vous pour donner un ultimatum de sept jours à un chef d'État? Retenez bien que le coronavirus est un sujet trop grave et d'évolution hyper rapide, donc il est impératif et urgent de l'exclure du champ de la polémique», a-t-il décrié.
Jacques Fame Ndongo, ministre d’État et secrétaire à la Communication du RDPC, tout en vantant les canaux de gestion modernes utilisés par Paul Biya –notamment la délégation de certaine tâches–, a tenu à préciser:
«Le Président camerounais n’est pas un autocrate ou un potentat qui se complaît dans la gesticulation oratoire et ostentatoire. Il ne parle pas à tort et à travers en concentrant, tel le roi Ubu, tous les attributs du pouvoir», peut-on lire dans un communiqué.
Pour Frank Essi, secrétaire général du Cameroon People’s party (CPP), si ce mutisme de Paul Biya n’est pas nouveau et est caractéristique de sa communication, l’argument brandi par Yaoundé dans le contexte actuel ne tient pas la route.
«Quand nous écoutons ses soutiens dire que des instructions ont été prises par Paul Biya et que ce ne sont pas des apparitions ou des discours qui empêcheront la propagation du virus, c’est simplement pitoyable», relève-t-il au micro de Sputnik.
La méthode Biya?
Après la détection des premiers cas de Covid-19 au Cameroun, et pour limiter la propagation de la maladie, le gouvernement a élaboré le 17 mars dernier, une série de 13 recommandations allant de la fermeture des frontières à l’interdiction des regroupements de plus de 50 personnes.
«Vous conviendrez avec moi qu'on ne peut fermer les frontières, les universités, les écoles, ni encore prendre en charge gratuitement les malades du Covid-19 sans les instructions du Président Paul Biya», défend le politicien au micro de Sputnik.
Insuffisant! Clament plusieurs observateurs, comme Frank Essi qui estime que «la situation actuelle commande des mesures exceptionnelles».
«Une communication permanente, une réactivité de tous les jours et une parole forte de Paul Biya pour insuffler la confiance», souligne l’opposant.
Réputés taiseux, «les silences de Paul Biya» ne sont en effet plus une curiosité pour les Camerounais. Seulement, martèle Louison Essomba, politologue, «cette théorie du silence présidentiel doit très rapidement être déconstruite parce que nous sommes face à une guerre virale».
«Le Président étant le chef des forces armées, il devait être le premier à monter au créneau pour sensibiliser les populations (…) Le silence du chef de l'État en tant que chef de famille est questionnable et même condamnable», analyse-t-il au micro de Sputnik.
«Où est passé Paul Biya?»
Outre la pandémie du Covid-19, mercredi 25 mars 2020, une rumeur a circulé sur les réseaux sociaux faisant état du décès de Paul Biya, 87 ans dont 37 au pouvoir. Depuis lors, le sujet alimente la polémique sur la toile, malgré le démenti formel du ministre de la Communication.
«Le Président de la République vaque normalement à ses occupations régaliennes», avait précisé René-Emmanuel Sadi dans un communiqué.
«Où est passé monsieur Biya? Le Cameroun est-il dirigé? Si oui, par qui?», se questionne l’opposant.
Il mentionne qu’en l’absence d’une prise de parole publique dans le délai indiqué, il se «réserve le droit d’appeler le peuple camerounais à tirer toutes les conséquences de sa (Paul Biya, ndlr) grave défaillance».
En attendant une prise de parole publique de Paul Biya qui pourra tout trancher, la pandémie continue de faire des victimes. Dans les principales villes du pays, nombreux sont ces citoyens qui continuent leurs activités comme avant, au grand mépris des mesures gouvernementales.