Arrivé au Cameroun le 14 mars dernier à bord d’un vol à risque en provenance de la France, Cavaye Yeguié Djibril, le président de l’Assemblée nationale du Cameroun, n’a pas respecté la période de quarantaine. Deux jours plus tard, il s’est présenté au siège de l’institution pour une session de plein droit qui a débouché sur sa réélection à la tête de la chambre basse. Une attitude qui a suscité une volée de bois vert.
«Le refus du Président de l’Assemblée nationale de se mettre en quarantaine est une preuve que nous sommes gouvernés par des irresponsables. L’exemple devrait venir d’en haut comme en Allemagne, en France, aux États-Unis, en Tunisie, au Sénégal, en RDC. Mais le Cameroun est une curiosité planétaire», s’indigne-t-il au micro de Sputnik.
«Ce qui compte pour lui, c’est son poste»
Durant cette session Cavaye Yeguie Djibril, âgé de 80 ans, président de l’institution depuis 28 ans, a été en contact avec les autres élus. Ce qui fait craindre le pire dans le pays et beaucoup, à l’instar de Jérôme Edimo, étudiant dans un institut universitaire de la ville de Douala, pensent qu’il a manqué de bon sens.
«Donc ce qui compte pour lui, c’est son poste? Il n’a même pas pensé à la santé de la nation qu’il dit représenter. Imaginez qu’il soit porteur du virus, combien de personnes seront touchées?» s’interroge le jeune étudiant.
Dans le pays, la maladie se propage à une vitesse inquiétante avec 75 cas déjà testés positifs. Le ministre de la Santé publique, le docteur Manaouda Malachi, a annoncé mardi 24 mars, le premier décès lié au Covid-19.
«Nous venons malheureusement d'enregistrer notre premier décès du Covid-19 au Cameroun. Il s'agit du patient 3 qui nous était venu d'Italie déjà très touché par la maladie. Sincères condoléances à sa famille et courage à nos professionnels de santé», peut-on lire sur le compte Twitter du ministre.
Nous venons malheureusement d'enregistrer notre premier décès du COVID-19 au Cameroun. Il s'agit du patient 3 qui nous était venu d'Italie déjà très touché par la maladie. Sincères condoléances à sa famille et courage à nos professionnels de santé
— Dr MANAOUDA MALACHIE (@DrManaouda) March 24, 2020
Pour limiter la propagation de la maladie, le gouvernement a élaboré mardi 17 mars une série de 13 recommandations, allant de la fermeture des frontières à l’interdiction des regroupements de plus de 50 personnes. Mais malgré cette décision, le Parlement a tenu sa session ordinaire du mois de mars depuis vendredi 20 mars, affichant, pour l’opinion, un mépris des restrictions fixées par les autorités.
Dissoudre l’Assemblée nationale
Indignée par cet entêtement, Maximilienne Ngo Mbe, directrice exécutive du Rhedac (Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale) va plus loin et sollicite une dissolution de l’Assemblée nationale. À cet effet, la défenseure des droits de l’Homme a initié une pétition.
«Je pense que l’Assemblée nationale a violé les mesures du chef de l’État qui interdit les rassemblements de plus de 50 personnes. Ce sont les élus qui doivent servir d’exemple qui violent les règles. Cavaye Yieguié Djibril a convoqué une session alors qu’il n’avait aucune urgence. Pour avoir mis le peuple camerounais en danger, j’ai lancé une pétition pour exiger la dissolution de l’Assemblée nationale», a annoncé la militante des droits de l’Homme au micro de Sputnik
Interpellé à la télévision nationale dimanche 22 mars sur le cas du président de l’Assemblée nationale qui continue à alimenter la polémique dans le pays, le ministre de la Santé publique a préféré ne pas se prononcer explicitement.
«Je ne compte pas m'inscrire dans une polémique qui ne nous avance pas. Nous sommes focalisés sur un but précis: faire reculer le coronavirus [...] Je souhaite qu'on ne soit pas distraits par des polémiques inutiles», a botté en touche Manaouda Malachie.
Des mesures difficiles à faire respecter
Malgré les mesures du gouvernement, beaucoup de citoyens à Douala comme à Yaoundé continuent de vaquer à leurs occupations dans une indifférence totale. Il n’est pas rare de voir des débits de boissons ouverts au-delà des horaires recommandés par le gouvernement.
Pour Armand Noutack, le respect des mesures et d’un éventuel confinement total ne sera possible que si l’État engage des mesures d’accompagnement.
«On ne peut pas demander aux gens de se laver les mains s’il n’y a pas d’eau, de s’enfermer alors qu’ils ont faim. Si les mesures d’accompagnement sont fixées et appliquées, les gens ne pourront pas enfreindre les prescriptions du gouvernement», explique-t-il.
Le gouvernement a assuré de son côté que le projet d’un confinement total n’était pas à l’ordre du jour.