L’union sacrée tant souhaitée est décidément impossible dans la lutte contre le coronavirus au Cameroun. Alors qu’ailleurs en Afrique, l’on privilégie les solutions concertées, ici, la crise sanitaire donne lieu à des batailles sans merci sur le champ politico-judiciaire.
L’arrestation et la détention de ces personnes avaient provoqué une onde d’émoi dans le pays et au-delà. Pour Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior de Human Right Watch (HRW) pour l’Afrique centrale, cette arrestation «met en évidence la volonté du gouvernement de réprimer tout effort entrepris par l’opposition, alimentant les divisions politiques au moment où la coopération nationale est plus que jamais nécessaire», a-t-elle écrit dans une tribune libre le 14 mai dernier.
Bras de fer permanent
Alors que le pays dépasse largement les 3.000 cas testés positifs pour 140 morts, selon un bilan officiel arrêté au 15 mai, face à une menace commune, les Camerounais sont plus que jamais divisés. Outre ces jeunes bénévoles interpellés et finalement libérés, deux leaders de l’initiative SCSI –Christian Penda Ekoka, du mouvement «Agir», allié de Maurice Kamto, et Alain Fogue, cadre du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC)– ont été convoqués par la police judiciaire à l’occasion de «l’ouverture d’une enquête minutieuse et approfondie» sur la collecte de fonds initiée dans le cadre de la lutte contre la pandémie.
Si Christian Penda Ekoka n’a pas encore été auditionné, Alain Fogue, le trésorier national du MRC, a été entendu le 14 mai dernier. Trois charges ont été retenues contre lui, notamment l’«escroquerie du peuple camerounais, la suspicion de blanchiment de capitaux et le financement de la résistance aux institutions de la République». Pour de nombreux observateurs, dont Louison Essomba, politologue et enseignant à l’université de Douala, bien que l’initiative de l’opposition n’ait pas été reconnue par Yaoundé, il faut se placer dans un contexte d’urgence sanitaire.
«On ne doit pas plonger dans la politisation de la loi pour régler ses comptes. L'homme est une pièce unique et quand il est menacé par une pandémie comme le Covid-19, on peut mettre la loi de côté si cela s'avère nécessaire à la protection des populations», commente le politologue à Sputnik.
En effet, outré par le silence de Paul Biya et jugeant insuffisantes les mesures prises par le gouvernement pour lutter contre le coronavirus, Maurice Kamto, coriace adversaire du pouvoir de Yaoundé, a créé parallèlement au fonds spécial de solidarité du Président une initiative comparable avec sa caisse «Fonds Survie-Cameroon-Survival Fund». Une collecte destinée, dit-il, à venir au secours d’un peuple «orphelin et abandonné». Depuis lors, une bataille a commencé avec les autorités administratives qui, brandissant les lois en vigueur dans le pays, ont ordonné l’arrêt de la collecte des fonds et la clôture des comptes de cette initiative de l’opposant.
Dans ses lettres adressées aux institutions financières qui ont logé les comptes de cette initiative, Paul Atanga Nji, ministre de l’Administration territoriale, explique que tout «appel à la générosité publique, pour quelque raison que ce soit, doit être autorisé par son ministère». Il estime ainsi cette opération «illégale».
Pour Louison Essomba, si l’on peut reprocher au MRC d’avoir agi sans «une autorisation préalable du ministre de l'Administration territoriale et de n'avoir pas été qualifié pour bénéficier de ce que l'on qualifie d’appel à la générosité publique», sur le terrain du droit, il n’en demeure pas moins que:
«La finalité de la loi consiste à harmoniser les rapports en société et à protéger l'homme. Et si à un moment donné la loi ne peut plus protéger l'homme, il faut la mettre de côté», analyse l’expert.
Si, dans les rangs de l’opposition on brandit l’argument humanitaire pour justifier cette initiative, certains analystes comme Yvan Issekin, politologue, y voient une «ruse de Maurice Kamto» qui surfe sur la crise sanitaire pour marquer des points politiques. Pour lui, «la distribution des accessoires de SCSI dans tout le pays apparaît comme une reconstruction de sa posture de leader politique».
«La distribution de matériel médical acte une incompétence imputée au gouvernement camerounais par Maurice Kamto. Il veut, de cette façon, mettre en scène les limites de l'État dans sa capacité à assumer une riposte biopolitique contre la pandémie à coronavirus. Il cherche ainsi à mobiliser d’autres sympathisants», poursuit l’analyste à Sputnik.
Christian Penda Ekoka, président du comité de gestion de cette initiative, a déjà passé huit mois de prison aux côtés de Maurice Kamto dans leur bataille pour la contestation des résultats de la dernière présidentielle. Face à la machine judiciaire mise en branle par Yaoundé pour stopper l’action de l’opposition, il a, dans une publication sur Twitter, réaffirmé son engagement à poursuivre le combat.
«Rien ne m'empêchera de me porter au secours de mes compatriotes, en cas de nécessité, et indépendamment de leurs affiliations politiques, religieuses ou philosophiques. Et c'est dans cet esprit que j'ai accepté de mettre mes compétences au service de SCSI», a écrit l’ancien conseiller de Paul Biya.
Rien ne m'empêchera de me porter au secours de mes compatriotes, en cas de nécessité, et indépendamment de leurs affiliations politiques, religieuses ou philosophiques. Et c'est dans cet esprit que j'ai accepté de mettre mes compétences au service de #SCSI. pic.twitter.com/hd0md0j3qy
— Christian Penda Ekoka (@EkokaPenda) May 13, 2020
En avril dernier, le gouvernement a rejeté le don de matériel fait par Maurice Kamto par l’intermédiaire de cette association. Pour contribuer à la riposte contre l’épidémie de coronavirus, il avait proposé un don de 10.000 masques barrières, 6.800 masques chirurgicaux et 950 tests de dépistage du Covid-19. Mais les autorités y avaient opposé une fin de non-recevoir sous prétexte que sa structure, Survie Cameroun, n’était pas homologuée. Pour cette raison, l’opposant et ses partisans avaient alors entrepris de les distribuer avec un réseau de bénévoles recrutés dans les villes du pays.
Comme pour faire le pas vers le gouvernement et tenter un dialogue, Maurice Kamto a tenté, sans succès, lundi 18 mai de rencontrer le ministre de l’Administration territoriale. Dans la foulée, il s'est rendu au marché Mokolo où les bénévoles avaient été arrêtés quelques jours plus tôt.