Lutte contre le Covid-19 au Cameroun, une bataille en rangs dispersés

© Sputnik . Anicet SimoMaurice Kamto
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Alors qu’ailleurs en Afrique l’on privilégie les solutions concertées dans la lutte contre la pandémie, au Cameroun, l’heure est encore à la division. À la suite du fonds de solidarité nationale de Paul Biya, Maurice Kamto, critiquant sa gestion de la crise, a lancé une initiative parallèle. Une bataille politique sur fond de crise sanitaire.

La pandémie du Covid-19 avance à une vitesse inquiétante au Cameroun. Alors que le pays dépasse largement les 650 cas testés positifs pour neuf morts, selon un bilan officiel arrêté au 6 avril, face à une menace commune, les Camerounais sont plus que jamais divisés sur le plan de riposte. Si partout ailleurs, les dirigeants ont opté pour une solution concertée, au Cameroun, c'est la dispersion en fonction des chapelles politiques. Ainsi, parallèlement aux mesures prises par le gouvernement, Maurice Kamto, principal opposant de Paul Biya, a lancé vendredi 3 avril une autre opération dénommée «Survie Cameroun».

Dans un communiqué, le président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) évoque le silence de Paul Biya –qui n’a fait aucune déclaration publique depuis le début de la crise– et établit «sa défaillance comme chef de l’État du Cameroun».

«Je me sens le devoir d’interpeller, de proposer, d’appeler le peuple camerounais abandonné à lui-même à s’organiser pour sa survie», a écrit Maurice Kamto.              ,

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Accusant ceux qui «se cachent derrière un chef d’État fantôme» de vouloir «exploiter la détresse sanitaire des Camerounais à des fins politiques» en prenant «des dispositions en deçà de la gravité de la pandémie», l’opposant a formulé un certain nombre de directives à l’endroit des citoyens. Dans son plan de riposte, il appelle à une auto-organisation des Camerounais et suggère des mesures à l’endroit des entreprises citoyennes, notamment le non-recouvrement des factures d’eau et d’électricité pendant les trois prochains mois.

Le Président Paul Biya, qui a ouvert un fonds spécial de solidarité nationale, a vu le président du MRC prendre une initiative comparable avec sa caisse «Fonds Survie-Cameroon-Survival Fund».

La bataille politique

Dans les rangs du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), parti au pouvoir, la pilule a du mal à passer. Jacques Fame Ndongo, secrétaire à la Communication du parti, précise d’emblée dans un communiqué publié le 4 avril que le constat de la défaillance du chef de l’État est «une prérogative qui incombe au Conseil constitutionnel». Le ministre d’État souligne aussi que «le plan de bataille du Président Paul Biya contre le Covid-19 est visible et intelligible» et suscite «l’adhésion de tous».

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Désormais, à grand renfort de contre-arguments, les partisans des différents camps se livrent à une critique systématique des mesures prises par les uns et les autres. D’ailleurs, pour Me Désiré Sikati, cadre du MRC, le plan de solidarité lancé par le gouvernement est «un raccourci pour colmater les failles de sa mauvaise politique sanitaire de lutte contre le Covid-19».

«Le plan de solidarité de Paul Biya est en déphasage avec l'urgence sanitaire du Covid-19 en ce qu'il ne permet pas à l'État de réagir spontanément. Le temps mis pour la collecte des fonds est une faiblesse, alors qu'en même temps, il faut urgemment mettre par exemple à la disposition du personnel médical le matériel d'urgence», proteste-t-il au micro de Sputnik.

Au MRC, on semble se méfier de la gestion de ces fonds. Dans sa diatribe, le communicant du MRC  émet des doutes sur la capacité du RDPC à gérer cet argent avec parcimonie car, dit-il, «on peut s'interroger sur la finalité d'une telle opération quand on sait que l'argent collecté dans les mêmes circonstances pour d'autres événements a été orienté à des fins autres que celles déclarées et qu'un bilan n'a jamais été présenté aux Camerounais».

L’union sacrée face à la menace commune

En face, les partisans du parti au pouvoir voient dans les déclarations de Maurice Kamto non pas une volonté de venir en aide au peuple camerounais délaissé, comme il dit, «à lui-même», mais une manœuvre politicienne. Une bataille en rangs dispersés qui prend, selon des observateurs, des relents de positionnement politique. C’est l’avis d’Yvan Issekin, politologue camerounais. Pour cet analyste, les plans parallèles contre la crise sanitaire créés par les groupes d'opposition ont d’autres motivations.

«Si les motivations affichées visent d'abord à présenter une opposition capable de produire une action publique en faveur des populations, indépendamment de l'action gouvernementale, celles-ci  sont aussi liées à des calculs politiciens qui tendent à mettre en relief une contre-stratégie par rapport à celle mobilisée par l'État camerounais contre le Covid-19 », analyse-t-il au micro de Sputnik.

Le politologue voit dans ce déploiement de l’opposition une tentative de mettre à nu une incapacité de l’État à assumer ses missions régaliennes. Car «ces plans ont pour objectif de mettre en scène avant tout une absence de l'État». 

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Dans les rangs du Social Democratic Front (SDF), parti d’opposition, on se plaint de n’avoir pas été consulté par le gouvernement dans la prise des mesures. Dans un communiqué daté du 23 mars, Joshua Osih, vice-président du parti, en prenant la parole sur cette crise sanitaire, précise qu’un seul parti politique «ne peut avoir la légitimité et la logistique nécessaires et suffisantes pour expliquer et transmettre le bien-fondé des mesures nécessaires à prendre». Le candidat malheureux à la présidentielle de 2018 suggère en même temps «de transcender tous les clivages politiques et de respecter» les recommandations édictées par le gouvernement.

«Nous sommes obligés par les circonstances de nous réconcilier en tant que peuple et de nous battre ensemble contre ce virus», peut-on lire dans le communiqué du SDF.

Une position plus pondérée qui contraste avec le landernau politico-médiatique truffé de cacophonie qui laisse parfois le peuple dans la confusion, alors que le virus ne fait que progresser chaque jour un peu plus.

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