Que peut encore le gouvernement camerounais face à l’ensauvagement du conflit séparatiste dans les régions anglophones du pays?
Si jusqu’ici, toutes les voies explorées pour un retour à la paix ont échoué, la réflexion sur de nouvelles pistes a tendance à agrandir le fossé entre deux courants qui s’opposent.
Pour certains intellectuels et leaders politiques, le gouvernement doit durcir le ton et agir avec plus de fermeté face à la barbarie vécue ces derniers jours. Réagissant à la dernière tragédie, au cours d’une conférence de presse le 26 octobre, Cabral Libii, député de l’opposition et ancien candidat à la présidentielle de 2018, invite les autorités à «prendre leurs responsabilités avec une fermeté à la mesure de l’horreur».
L’opposant interpelle le Président Paul Biya pour qu’il ordonne «à l’armée de mettre ces terroristes hors d’état de nuire avant le 1er janvier 2021».
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— PCRN_Officiel (@Pcrn_Officiel) October 27, 2020
Si l’option militaire a très souvent été remise en cause, du fait de son inefficacité à ramener la paix dans les régions en crise, certains analystes comme le politologue Mathias Eric Owona Nguini, souverainiste et réputé proche du pouvoir de Yaoundé, penche aussi pour l’utilisation de la force. Dans l’une de ses multiples réflexions publiées sur sa page Facebook, l’intellectuel souligne que «l'usage de la force est impératif».
«Les luttes de souveraineté se gèrent avec une lucidité froide plutôt qu'avec un sentimentalisme candide ou une puérilité démagogique. Quelle que soit la forme de dialogue, il y aura toujours des irréductibles prêts à toutes les violences pour saboter une paix qui ne mènerait pas à la sécession. Il faut les combattre, même pendant 50 ou 1000 ans», argue-t-il.
La nécessité du dialogue
Cependant, et malgré la forte militarisation des régions séparatistes, le conflit persiste depuis maintenant quatre ans. Dans ces territoires, où vivent la majorité des anglophones du pays, l’armée et les groupes séparatistes s’affrontent quasi quotidiennement, prenant en tenaille les civils, victimes collatérales d’exactions des deux protagonistes.
«C’est une insurrection locale avec un ennemi local qui bataille sur ses terres et au sein de sa communauté qui partage en partie l’objet de sa lutte qu’est la restauration de la place des anglophones dans la république du Cameroun», poursuit l’universitaire au micro de Sputnik.
Un avis que l’on partage dans les rangs du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC). Le parti de Maurice Kamto s’oppose depuis le début des hostilités à l’option militaire. Pour Sosthène Médard Lipot, cadre du parti, «les mesures essentiellement militaires pour résoudre un problème interne ne sont pas les plus efficaces». «Au cours d’une guerre, même si gagne sur le terrain, on finit toujours par s'asseoir autour d'une même table y compris avec les vaincus pour dire ‘plus jamais ça’. Que ceux qui se disent patriotes acceptent de se mettre autour d'une même table et de dialoguer pour avoir un pays fort, uni, quelle que soit la forme de l'État», suggère-t-il.
Résoudre un problème de fond
Acculé de toutes parts par la communauté nationale et internationale, Paul Biya avait convoqué un «grand dialogue national» (GDN), du 30 septembre au 4 octobre 2019 à Yaoundé.
«Le mérite d’un dialogue franc se situe dans sa possibilité à vider à la fois la crise anglophone [conflit actuel, ndlr] et le problème anglophone [problème historique, ndlr]. C’est en cela qu’un dialogue est plus large que l’option guerrière qui ne pourrait que résoudre, et si seulement elle s’avère efficace, la crise», explique le politologue.
«Or, vider la crise anglophone sans vider le problème anglophone, c’est comme appliquer uniquement un analgésique sur les manifestations de la maladie sans la guérir», conclut-il.
Aujourd’hui, les séparatistes revendiquent la création d’un territoire indépendant remettant en cause les clauses du rattachement de 1961. En 2017, ils ont pris les armes contre le gouvernement de Yaoundé. Les tensions avaient auparavant commencé en novembre 2016 sous la forme de revendications corporatistes: des enseignants déploraient la nomination de francophones dans les régions anglophones et des juristes désapprouvaient la suprématie du droit romain au détriment de la Common law anglo-saxonne.