Massacre d’écoliers au Cameroun, le discrédit est jeté sur la cause séparatiste

© AP Photo / REBECCA BLACKWELLDes policiers au Cameroun
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Au moins sept élèves ont été tués et une douzaine d’autres blessés dans l’attaque d’une école à Kumba dans le Sud-Ouest anglophone du Cameroun. Un massacre attribué aux groupes séparatistes qui sévissent dans la région. Ce nouveau drame suscite indignation et condamnation, et jette le discrédit sur la cause séparatiste dans l’opinion.

Le conflit meurtrier opposant l’armée aux combattants séparatistes dans les régions anglophones du Cameroun continue de faire des victimes parmi les populations civiles. Samedi 24 octobre, une tragédie est venue rajouter au lot de drames déjà enregistrés dans cette partie du pays: au moins sept élèves ont été tués et une douzaine d'autres blessés dans l'attaque d’un établissement scolaire de Kumba, une localité du Sud-Ouest anglophone.

Un groupe d’une dizaine d’assaillants qui ferait partie, selon Yaoundé, des bandes armées terroristes sécessionnistes, a fait irruption dans le collège Mother Francisca International Bilingual Academy avant d'ouvrir le feu et d'attaquer à la machette des élèves âgés de 9 à 12 ans, faisant plusieurs morts et des blessés.

Très vite, la nouvelle s’est répandue dans le pays. Des clichés de ces atrocités font encore le tour des réseaux sociaux, suscitant colère et incompréhension dans l’opinion.

Indignation et condamnation

Au Cameroun et au-delà, des voix s’élèvent pour condamner ce énième massacre qui sème tristesse et désolation dans les familles. Condamnation, incompréhension, indignation… les déclarations des personnalités fusent de toutes parts. Depuis son domicile où il est toujours tenu captif depuis le 21 septembre dernier, Maurice Kamto, farouche opposant de Paul Biya, dans un message sur les réseaux sociaux, «condamne cet acte odieux avec la dernière énergie».

«Combien de morts faudra-t-il encore pour qu’une solution politique ramène la paix dans le NOSO [Nord-Ouest et Sud-Ouest, Ndlr]?», s’interroge-t-il.

«Quelle cause au monde justifie la décapitation d’enfants?», s’interroge pour sa part Cabral Libii, député de l’opposition et ancien candidat à la présidentielle d’octobre 2018. Dans son message sur Twitter, Moussa Faki Mahamat, président de la commission de l'Union africaine, a exprimé sa désolation «face à l'attaque brutale qui a visé des écoliers en école primaire (…) alors qu'ils étaient assis, en train d'apprendre, dans leur salle de classe».

 

Dans un communiqué rendu public le 24 octobre, René Emmanuel Sadi, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, tout en attribuant la responsabilité de ce massacre aux groupes armés séparatistes, précise qu’«aucune raison au monde ne peut justifier ou légitimer de telles atteintes systématiques à la vie des êtres, encore moins celles d’enfants innocents».

Les écoles souvent prises pour cible

Si l'attaque de Kumba n'a pas encore été revendiquée, le boycott des écoles fait partie de la stratégie des séparatistes. Depuis le début de ce conflit, les milices continuent de lutter contre la reprise des cours dans ces deux régions du Cameroun. On y a très souvent enregistré des offensives contre les établissements scolaires restés ouverts et des prises d’otages.

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Rentrée scolaire sous haute tension dans les régions séparatistes du Cameroun
Mi-mai dernier, un enseignant de l'université de Bamenda dans le Nord-Ouest avait été abattu pour avoir continué à dispenser ses cours. Mais on n’avait jamais connu de massacre d'une telle ampleur.

Depuis 2016, les écoles sont fermées dans plusieurs localités des régions anglophones et n’ont jamais rouvert leurs portes à cause de ce conflit. Dans un rapport intitulé «L’éducation en péril en Afrique de l’Ouest et centrale», le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) révélait l’an dernier que l’insécurité qui se répandait dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest du pays avait forcé plus de 4.400 écoles à fermer dans ces zones et privé 609.000 enfants de scolarisation.

Alors que de multiples campagnes sont engagées par les autorités et les organisations humanitaires pour un retour à l’école, cette tuerie vient éliminer les efforts entrepris jusqu’ici. Si les forces armées régulières camerounaises ont très souvent été accusées d’exactions contre les civils dans cette guerre, les événements de Kumba viennent, selon Aristide Mono, politologue, «discréditer la cause séparatiste». Pour l’analyste, «cette violence indiscriminée dont sont désormais victimes les populations des zones sonne comme un curieux paradoxe entre de tels agissements et la cause anglophone que les sécessionnistes prétendent défendre».

«Rationnellement il deviendra de plus en plus difficile pour les séparatistes d'utiliser la cause anglophone comme élément de justification et de légitimation de la lutte. Le risque d'ébranlement de l'idéal de la cause séparatiste est désormais élevé», estime Aristide Mono au micro de Sputnik. 

L’échec du grand dialogue national

Annoncé comme un début de solution au conflit meurtrier qui oppose depuis 2016 les forces armées et séparatistes dans les régions anglophones du Cameroun, le «grand dialogue national» (GDN), qui s’était déroulé du 30 septembre au 4 octobre 2019, peine à tenir ses promesses un an plus tard. Les actes de terreur enregistrés ces derniers jours donnent raison aux observateurs comme Wannah Immanuel Bumakor, spécialiste de la gestion des conflits, qui critiquait déjà ces pourparlers de Yaoundé du fait de l’absence des principaux groupes armés.

«Il est important de noter que le dialogue ou la médiation doivent se faire avec les principaux belligérants et pas seulement avec des modérés. Si toutes les parties ne sont pas à la table pour mettre fin au conflit, alors la violence continuera», soulignait l’expert dans une interview accordée à Sputnik.

Au chapitre des principales recommandations, le grand dialogue national avait opté pour l’accélération de la décentralisation, déjà prévue dans la Constitution de 1996.

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Crise séparatiste au Cameroun: l’échec du grand dialogue national, un an après
Un choix qui écartait de fait le fédéralisme demandé par plusieurs personnalités anglophones présentes aux assises de Yaoundé. Et comme cachet particulier à cette option, le GDN avait également abouti à l’octroi d’un statut spécial pour les deux régions séparatistes du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Un statut qui leur garantit «le respect du système éducatif anglophone et la prise en compte des spécificités du système judiciaire anglo-saxon».

Si, dans le pays, l’heure est à la mise en œuvre progressive de la décentralisation, avec entre autres l’entrée en vigueur du code général des collectivités territoriales décentralisées et la tenue annoncée d’élections régionales pour le 6 décembre prochain, l’option choisie par Yaoundé ne trouve pas un écho favorable dans les zones en conflit. Après la tragédie de Kumba, nombre d’observateurs appellent à réunir toutes les énergies pour mettre un terme à la crise.

Pour rappel, fin 2017, les séparatistes des régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ont pris les armes contre le gouvernement de Yaoundé pour réclamer la création d’un État indépendant. Les tensions avaient commencé en novembre 2016 sous la forme de revendications corporatistes: des enseignants déploraient la nomination de francophones dans les régions anglophones et des juristes désapprouvaient la suprématie du droit romain au détriment de la Common Law anglo-saxonne.

Dans ces deux régions, où vivent la majorité des anglophones du pays, l’armée et les groupes séparatistes s’affrontent quasi quotidiennement, prenant en tenaille les civils, victimes collatérales d’exactions des deux camps. Depuis, les combats ont fait plus de 3.000 morts, selon des ONG, et au moins 700.000 déplacés. Human Rights Watch estime que depuis janvier 2020, au moins 285 civils ont été tués lors de 190 incidents environ dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.

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