Très souvent critiquées pour leur mutisme dans les crises que traverse le Cameroun, en particulier le conflit séparatiste en cours dans les régions anglophones, les célébrités camerounaises sortent peu à peu de leur torpeur. Certes, quelques-unes avaient commencé dès la mi-octobre à prendre la parole sur les réseaux sociaux pour demander à un retour à la paix. Mais la tendance s’est décuplée après la tragédie du 24 octobre. Outrées par un massacre attribué aux séparatistes qui a coûté la vie à sept écoliers à Kumba dans le Sud-Ouest anglophone, plusieurs stars ont décidé de se lever et plusieurs initiatives ont vu le jour.
C’est le cas du Mouvement des artistes camerounais (MAC) pour la paix dans les régions anglophones du pays. Ayant vu l’adhésion de nombreux acteurs du milieu culturel, le mouvement entend prendre un ensemble d’initiatives pour faire taire les armes.
«Nous comptons d'abord honorer la mémoire des enfants décédés car nous croyons, en tant qu’artistes et parents, que notre silence est complice […]. Nous comptons prôner la paix à notre manière jusqu'à ce que cette guerre s'arrête», confie à Sputnik l’artiste camerounais «Dynastie le tigre», l’un des instigateurs du MAC.
Ce mouvement va d’ailleurs organiser le dimanche 1er novembre à Yaoundé une manifestation «publique, pacifique et apolitique pour commémorer la mémoire de tous les enfants victimes de la crise» dans les régions anglophones.
Séance photo des stars du showbiz au lancement du mouvement.
Dans la même veine, à Douala, à la suite du massacre de Kumba, des stars de la musique, du cinéma et des personnalités médiatiques se sont spontanément réunies pour faire entendre leur voix. Une concertation qui a abouti au lancement du mouvement #PeaceAuCameroun, qui œuvre pour le retour à la paix.
Comme au Nigeria?
Si la dernière tragédie a contribué à délier encore plus les langues, le débat était déjà en cours dans le pays sur la nécessité d’une prise de parole de ces personnalités. De nombreux internautes n’ont pas manqué de prendre pour exemple l’implication des stars nigérianes dans la crise que traverse leur pays. En effet, début octobre, une mobilisation inédite est née sur les réseaux sociaux au Nigeria à travers le hastag #EndSARS pour dénoncer les violences policières. Une campagne qui s’est peu à peu muée en un mouvement contre le pouvoir en place et la mauvaise gouvernance.
Des ténors de la pop nigériane comme Wizkid, Davido ou Tiwa Savage ont mis leur popularité au service de ce combat contre les injustices. Au-delà des messages sur leur plateforme, ils ont même été aperçus aux côtés des manifestants dans les rues de leur pays.
Les artistes nigérians dans la rue pour protester contre la politique de leurs dirigeants !
— Voila Moi Music Blog (@voilamoiblog) October 22, 2020
Chez nous au Cameroun on se contente des posts sur Facebook et Instagram.#OnJossDeZik pic.twitter.com/vwBMll8nYa
Fascinés par cette mobilisation, des Camerounais n’ont pas tardé à faire des comparaisons avec leurs artistes nationaux. Sur les réseaux sociaux, de nombreux followers ont poussé leurs stars à copier l’exemple du grand voisin nigérian. Un débat qui a fait fleurir de nombreuses initiatives dans le monde artistique avec pour leitmotiv le retour de la paix dans les régions anglophones du pays. Sur les réseaux sociaux, beaucoup de vedettes de la musique et du cinéma n’hésitent plus à prendre position ou à partager de nombreux messages sous le hashtag #EndAnglophoneCrisis.
Nos artistes commencent à prendre position 👏🏽
— Marie Flore Mboussi (@FloreMboussi) October 22, 2020
SALATIEL
BEN DECCA
DAPHNE#EndAnglophoneCrisis pic.twitter.com/ANcXlw64gR
Pour l’artiste Dynastie le tigre, leur engagement récent est loin d’être un simple mimétisme de la tendance nigériane, mais plus une réaction au cri du peuple qui n’a «cessé d’appeler au secours». Mais d’autres acteurs culturels comme Bonas Fotio tiennent cependant à nuancer.
«L’impact de leur engagement a en quelque sorte encouragé les Camerounais en leur rappelant que le smartphone connecté à Internet est une arme de poids pour faire passer des messages forts. Et ce n’est pas une mauvaise chose d’imiter, car les bons exemples peuvent être copiés», poursuit-il au micro de Sputnik.
Si la tragédie de Kumba continue d’alimenter colère et indignation à travers le pays, beaucoup s’interrogent aussi sur l’efficacité de ces mobilisations tous azimuts.
Les artistes peuvent-ils réussir à ramener la paix?
Entre hashtags, projets de manifestation pacifique, concert de commémoration pour les victimes et chansons consacrées, que peuvent vraiment faire ces stars pour le retour de la paix? Pour Tony Mefe, la sensibilisation reste la seule arme de l’artiste. «L'attaque de Kumba ne laisse personne indifférent. Cependant, les artistes ne peuvent que sensibiliser», estime le promoteur culturel.
Pour David Eboutou, analyste politique, «les célébrités artistiques sont des modèles pour beaucoup de personnes. Ils incarnent souvent des figures inspirantes pour leurs suiveurs».
«De ce point de vue, il est évident que l'engagement d'un artiste pour une cause quelconque, à un moment donné, ne peut pas rester sans conséquence. [...] S'engager ne signifie pas seulement marcher. Il y en qui s'engagent à travers des chansons qui portent sur ces thématiques par exemple», poursuit l’analyste.
Si, auparavant, les prises de position des célébrités comme Richard Bona, Charlotte Dipanda ou Valsero au sujet de l’alternance au pouvoir avaient sérieusement divisé l’opinion au Cameroun, cette fois la donne a changé. Un constat logique, souligne Bonas Fotio, car contrairement à un engagement pour ramener la paix dans les régions anglophones, la bataille pour la succession à la tête du pays peut s’avérer bien plus clivante... et sensible.
«Même si une partie des stars voudrait voir un changement à la tête du pays, tout le monde n’est pas prêt à affronter la répression qui s’érige contre tout groupe sociopolitique manifestant contre le pouvoir en place», conclut le chroniqueur culturel.
En attendant que les voix des artistes portent leurs fruits et que des solutions aux conflits dans les régions anglophones soient trouvées, les populations continuent de vivre dans la crainte de nouvelles attaques.
Dans ces deux régions, où vivent la majorité des anglophones du pays, l’armée et les groupes séparatistes s’affrontent quasi quotidiennement, prenant en tenaille les civils, victimes collatérales d’exactions des deux camps. Depuis, les combats ont fait plus de 3.000 morts, selon des ONG, et au moins 700.000 déplacés. Human Rights Watch estime que depuis janvier 2020, au moins 285 civils ont été tués lors de190 incidents environ dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.