Fermeture des comptes bancaires du FN: la démocratie en danger?

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Les fermetures des comptes bancaires du Front National décidées par la Société Générale révéleraient-elles un problème démocratique? C’est en tout cas ce que pense Marine Le Pen. Si la question risque de ne pas être véritablement tranchée, on peut s’interroger sur la légalité de cette affaire et l’impact d’un possible boycott demandé pas le FN.

«Le président de la Société Générale, Frédéric Oudéa, est un haut fonctionnaire au profil classique, et également patron de la fédération bancaire de l'UE dont le but est […] d'œuvrer à l'établissement d'un marché unique du secteur bancaire en Europe. Et donc, compte tenu de nos positions sur ce sujet, la décision arbitraire de fermer les comptes du FN est évidemment politique, mais surtout fortement entachée de conflit d'intérêts.»

La position de Jean Messiha, haut fonctionnaire, conseiller de Marine Le Pen et ambassadeur de la refonte du Front national, est claire. Pour lui, la décision de la Société Générale de clôre les comptes de son parti est une décision politique. À l'inverse, Dominique Garabiol, professeur d'économie bancaire à l'université Paris VIII, ne pense pas que le secteur bancaire soit politisé et il donne une première réponse à la question de la légalité du choix unilatéral de la Société Générale de clôre les comptes du FN:

«Non il n'est pas politisé, sinon le FN n'aurait jamais pu ouvrir de compte. On leur [les banques, ndlr] reproche d'être très restrictives sur les problèmes des financements politiques, mais ce n'est pas leur vocation première. […] Elles n'ont aucune obligation d'ouvrir un compte. Il existe la liberté contractuelle qui fait qu'une banque peut être légitime à ne pas vouloir financer les partis politiques aujourd'hui.

Et d'ajouter sur la fermeture d'un compte d'un client par une banque,

«c'est parfaitement légal.»

Il est cependant possible que les banques, qui ont permis une ouverture de comptes pour le FN, aient pu décider de le fermer pour des raisons politiques. Mais notre expert en économie bancaire met donc en avant le choix des banques d'ouvrir ou de clôre le compte d'un de ses clients. Néanmoins, il existe une disposition légale qui permet à un client de recourir à la Banque de France. Cette dernière désigne donc une agence bancaire qui se doit d'ouvrir un compte au client demandeur:

«Nous avons, dans le cadre du code économique et financier, un des éléments du droit français, il y a quelque chose qui s'appelle le droit au compte. On ne peut pas interdire à quelqu'un d'avoir un compte bancaire.»

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Jean Messiha exprime ici le droit de toute personne physiques et morale. Alors que la Société Générale avait décidé de clôre plusieurs comptes du Front National (du siège et des fédérations), le Crédit du Nord s'était donc vue dans l'obligation d'accueillir le parti de Marine Le Pen comme nouveau client, ce qu'elle fit. Donc dans un premier temps, tout semble légal.
Mais le FN accuse le Crédit du Nord de ne pas répondre à ses obligations et son représentant l'explique simplement:

«La banque Crédit du Nord n'est qu'une filiale de la Société Générale. Donc elle obéit, si vous voulez, aux décisions de la Société Générale.»

Même si la banque n'a aucune justification à apporter à son client pour clôre son compte, elle ne le fait pas sans raison, surtout dans un secteur si concurrentiel. La difficulté pour ces entités, serait de prouver la provenance de certains fonds présents sur le compte du client. Ce que met en avant Dominique Garabiol:

«Les banques ont l'obligation de comprendre et de se renseigner sur la provenance des fonds lorsque l'argent arrive de l'étranger. Alors, j'ai cru comprendre que c'était arrivé au Front national, mais aussi pour d'autres cas politiques. Et donc elles peuvent être gênées parce qu'il faut qu'elles puissent justifier de la provenance des fonds. Tout cela peut poser des problèmes réglementaires aux banques pour maintenir des relations commerciales avec des clients.»

Jean Messsiha ne conteste pas cette lecture des faits et il demande même une justification à la Société Générale:

«S'il y a des justifications effectivement bancaires et financières, ce qu'avance d'ailleurs la Société Générale, à ce moment-là, qu'elle les mette sur la table, qu'elle les rende publiques et qu'elle nous dise quels sont les dysfonctionnements précis liés au fonctionnement du compte leur permettant de prendre cette décision.»

Une demande qui vient à l'encontre de l'un des piliers du secteurs: le secret bancaire. Ce dernier ne permettrait donc pas à la Société Générale de répondre aux récentes déclarations de Marine Le Pen et de motive sa decision, comme le rappelle Dominique Garabiol:

«La banque n'a pas le droit de donner des informations, même à la demande du client. Le client peut divulguer des informations qui le concernent, mais la banque n'a aucun droit de passer outre ses obligations légales en dépit de l'accord du client.»

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Ainsi, aucune réponse ne pourrait être apportée, malgré les demandes des leaders du Front national, Marine Le Pen, Gilbert Collard et Jean Messiha en tête. La légalité contraint ces institutions bancaires au secret, à moins qu'une procédure judiciaire soit ouverte comme l'a décidé la présidente du parti d'opposition, en portant plainte contre «discrimination».

«C'est une bataille […] juridique sur la base de la qualification juridique des faits, donc effectivement les plaintes que Marine Le Pen a faites sont parfaitement justifiées, parce que nous avons des éléments à faire valoir auprès de la justice.»

Si le conseiller de Marine Le Pen se montre confiant quant à cette procédure, Dominique Garabiol s'interroge:

«Oui c'est intéressant, parce qu'à ma connaissance, c'est le premier recours judiciaire. Pour que ce recours aboutisse, il faudrait qu'effectivement Marine le Pen puisse démontrer une discrimination. Si elle peut le démontrer, cela sera très intéressant.»

Mais comme le rappelle Jean Messiha, la procédure risque de s'éterniser et, ne pouvant prouver rapidement les torts de la Société Générale et la position de son parti en tant que victime, il évoque une action contre les banques, un boycott:

«Vous savez comme moi que les plaintes n'aboutissent que dans deux, trois ans, à la fin du cycle judiciaire, mais qu'en attendant, le mal est fait et les difficultés sont réelles. […] Je pense que l'initiative qui a été lancée sur les réseaux sociaux, le hashtag «je quitte la Société Générale», est une initiative excellente. Nous invitons, d'ailleurs, tous nos électeurs à réfléchir au choix de leur banque, parce que je pense que la Société Générale à beaucoup plus à perdre dans cette affaire que nous.»

Outre le différend entre le Front national et la Société Générale, Jean Messiha justifie son souhait de boycotter cette banque:

«En 2008, en pleine crise financière, la Société Générale avait reçu 1,7 milliard d'euros de prêts publics pour faire face à cette crise, donc c'était l'argent de l'État, l'argent des contribuables, dans le cadre du soutien du secteur bancaire. On sait que la  Société Générale possède à peu près 33% des parts de marché de l'activité de la banque de détail. Cela signifie, à priori, que 33% de nos 11M d'électeurs, possède un compte à la Société Générale. Et donc, cela veut dire que la  Société Générale abrite, à peu près, 3,7M de comptes patriotes dont elle veut l'argent, finalement, mais elle ne veut pas le vote.»

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Jean Messiha démontre le poids que pourraient avoir les électeurs du Front national s'ils décidaient de boycotter la Société Générale. Mais il faut rappeler que ces électeurs sont majoritairement issus des classes populaires et que le changement de banque est une contrainte certaine, a fortiori quand on dispose de peu de moyens. Cependant, la champagne semble prendre au sein du parti, comme l'expose Jean Messiha:

«Je voyage beaucoup, à la rencontre des militants et des adhérents, à la fois en région parisienne et dans toute la France et je peux vous dire que beaucoup de personnes ont d'ores et déjà commencé à quitter la Société Générale. À partir du moment où une banque fait de la politique, il appartient aussi à ceux qui font de la politique d'interférer dans les affaires bancaires et de fausser, par leurs actions vis-à-vis de cette banque, les affaires bancaires.»

Est-ce que le boycott fonctionnera réellement? Une première réponse pourrait être apportée ce samedi 25 novembre alors que Gilbert Collard sera au premier rang d'une manifestation à Rueil. Le conseiller de Marine Le Pen affirme aussi que cette affaire a des répercussions au-delà de son électorat et au sein même de ses opposants politiques:

«Cette histoire n'affecte pas simplement les membres du Front national. Je suis au contact d'un certain nombre d'opposants politiques qui trouvent la démarche parfaitement scandaleuse.»

Si les prochains jours répondront à la question de l'efficacité du boycott, celle d'un problème démocratique semble réelle, comme l'affirme Dominique Garabiol:

«Il y a une obligation pour les partis politiques d'ouvrir un compte bancaire, mais il n'y a aucune obligation pour les banques de l'ouvrir. […] Il y a un problème de contradiction dans les dispositions législatives.»

Alors que les banques semblent «quelque peu embêtées» par un système qui ne les contraint pas, mais qui ne leur propose non plus aucune alternative, la solution apportée par Dominique Garabiol est double:

«L'ouverture d'un compte est obligatoire pour les partis et cela on pourrait envisager de le rendre obligatoire aux banques. […] Une institution publique serait un grand atout pour la démocratie française. […] On pourrait envisager un organisme rattaché à la Caisse des Dépôts.»

Cette proposition évoquée par notre spécialiste fait écho à la volonté de l'ancien ministre de la Justice, François Bayrou, qui avait souhaité la création d'une «banque démocratique» dont les buts principaux étaient de «financer la vie publique» et qui permettrait aussi une clarification des financements des partis politiques. Cependant, le projet semblait complexe et il a été sévèrement critiqué par le Conseil d'État. Mais cette affaire pourrait relancer le débat.

Jean Messiha, qui souhaiterait aussi que la vie politique, et notamment son parti, ne soient pas dépendants d'entreprises privées, partage cette solution mais il met en garde sur son indépendance vis-à-vis de l'État, afin d'éviter un nouveau problème pour la démocratie:

«Si effectivement, l'État crée une institution et qu'il y a des garanties quant à son indépendance et son impartialité, il faut étudier la chose, effectivement toutes les initiatives sont bonnes.»

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