Néanmoins, est-il possible qu'après le tollé provoqué par l'annonce de la baisse des APL de cinq euros, qui concernait 20% de l'ensemble des ménages français, l'exécutif ne commence à prendre la mesure de ce que signifie gouverner un pays, fusse-t-il soumis aux règles européennes, et décide de soigner un peu plus sa communication afin de préparer le terrain aux prochains coups dans le portefeuille qui vont concerner tous les Français?… et ce dans des mesures qui dépassent allègrement le prix du paquet de pâtes apporté au palais Bourbon par le député de La France Insoumise, Alexis Corbière.
Une sortie qui n'a pas manqué de provoquer un certain nombre de réactions, dépassant la sphère politique. Mais au-delà de savoir si on pouvait ne pas savoir dans quel état se trouvent les finances françaises, cette concession du Premier ministre est-elle annonciatrice d'un nouveau tour de vis pour l'année à venir?
«Si on voulait procéder à des coupes on ne tiendrait pas un autre langage», réagit l'analyste financier Philippe Béchade, auteur du manuel de ré-information financière Fake News, post-vérité et autres écrans de fumée et rédacteur en chef de La Bourse au quotidien. S'il concède au chef du gouvernement que peu de personnes, même à Bercy, doivent être au fait de la réalité des comptes du pays, il a du mal à croire les propos d'Édouard Philippe. Par ailleurs, il tient également à souligner les «artifices de présentation» qu'offre un budget aussi complexe que celui de la France.
«Il suffit de déplacer un curseur par ici, un curseur par-là, et on peut soit réduire le côté rouge de la comptabilité soit l'aggraver en imputant des dépenses, en faisant des redressements etc.» Une sortie d'autant plus surprenante que l'actuel chef de l'État n'est autre qu'un ancien ministre de l'Économie de François Hollande:
«Je dois dire que monsieur Macron est effectivement le mieux placé pour savoir, ce serait extraordinaire qu'il n'en ait pas discuté avec son Premier ministre lorsqu'il l'a nommé. D'ailleurs je pense que les deux n'ont jamais cessé de se parler depuis l'ENA et depuis leur promotion conjointe aux Young Leaders 2012.»
«Je ne comprends pas vraiment pourquoi on tape sur le citoyen moyen, on lui demande des sacrifices, y compris aux communes, et puis de l'autre côté on ne montre aucun empressement à faire payer ceux qui en ont les moyens et qui le devraient.»
Philippe Béchade pointe notamment du doigt le peu d'entrain pour les poursuites du fisc à l'encontre des multinationales américaines, les fameux GAFA, qui cumulent une ardoise fiscale de plusieurs centaines de millions d'euros.
Quant à nos créanciers, l'analyste financier souligne que ces derniers sont actuellement loin d'avoir besoin d'être rassurés concernant la dette française «avec des taux à 10 ans à 0,70%, des taux à cinq ans négatifs, je ne perçois pas l'inquiétude de nos créanciers ni l'urgence de leur donner des gages de bonne conduite, de saine gestion».
Quant au Premier ministre, pour défendre ces coups de rabots, il évoque notamment dans son interview le fait que le gouvernement «a fait le choix […] d'assumer les dépenses annoncées par nos prédécesseurs mais qui n'étaient pas financées». On pense notamment au plan de formation dont Gérald Darmanin avait annoncé mi-juillet qu'il avait été sous-financé de 259 millions d'euros. On pense également à certains cadeaux électoraux de François Hollande avant la présidentielle. Autant de trous avec lesquelles le gouvernement a dû composer sans «augmenter les impôts» cette année, comme le souligne Édouard Philippe… Pas si simple pour Philippe Béchade, qui rappelle la hausse de la CSG, qui touchera un public bien plus large que celui des APL.
Aux mesures fiscales, s'ajoute la volonté du ministère de l'Économie de céder certains actifs comme les deux aéroports parisiens Roissy Charles de Gaulle et Orly afin de renflouer les caisses, un comportement qui n'est pas sans rappeler les politiques d'austérité observées ces dernières années à travers l'Europe avec des résultats plus que mitigés et donc les conséquences sont aujourd'hui critiquées par la Banque centrale européenne (BCE) elle-même.
«On n'a pas fait ce que la BCE demandait pendant des années, c'est-à-dire libéraliser le marché du travail. Maintenant, on le fait et maintenant que la BCE pense qu'il vaudrait mieux aller vers des politiques de relance, nous on serre les boulons de partout alors qu'il n'y a pas le feu, du point de vue des créanciers, la France n'a aucun souci à se refinancer.»
Comme le souligne Philippe Béchade, la BCE n'est pas la seule institution financière internationale à partager ce constat, «il y a également le FMI qui valide ce constat que, lorsque des pays ont des budgets serrés, créer de l'austérité ne fait qu'aggraver le problème».
En somme, réponse cet automne à l'occasion des débats sur le projet de loi de finances pour 2018.