Après les associations, puis les transporteurs routiers et si nous donnions la parole à ceux qui vivent et travaillent à proximité de la "Jungle" — et qui côtoient ses habitants —? Nous sommes allés à la rencontre de ces personnes — qui depuis un an et demi, font peu parler d'elles.
Nous nous sommes rendus route de Gravelines, l'axe résidentiel le plus proche de la jungle et de la rocade qui mène au port de Calais et à l'A16 en direction d'Eurotunnel. Autant dire que ses habitants sont aux premières loges… Nous avons commencé notre porte à porte par Dominique, un sapeur-pompier, son voisin possède une serre — régulièrement visitée la nuit par les migrants — des migrants qu'il suspecte, à la vue de l'état de ses haies, de passer par son terrain:
"On doit faire des frais, on a commencé à acheter de quoi faire des palissades pour en fin de compte… s'enfermer, malheureusement, c'est nous même qui nous nous enfermons… Est-ce que ça ne devrait pas plutôt être le contraire? Je ne sais pas…"
Une situation qui est loin d'être isolée, rajoute Dominique:
En effet, nous avons constaté que même si certains continuent à laisser leurs portails ouverts, la plupart des maisons sur la route ont de hauts murs à l'apparence bien neuve, voir pour certains des palissades, c'est le cas de Colette, pour qui le voisinage de la "jungle" est moralement éprouvant:
Ce n'est pas Franck qui la contredira. Il habite route de Gravelines et travaille comme docker au port de Calais, il subit donc les conséquences de la présence de la "Jungle" aussi bien chez lui que sur son lieu de travail. Il a d'ailleurs participé à la manifestation du 5 septembre sur l'A16.
"J'ai un prunier, je n'ai plus de prunes. Le fils de mon voisin s'est fait attaquer sur la route, ils lui ont balancé un bout de bois dans son carreau, il a même failli mourir ce garçon. Ici, c'est un passage, toutes les nuits on entend la police… c'est la guerre urbaine ici! Chaque nuit il faut voir la situation qu'on vit ici."
Si Franck n'a pas peur pour sa personne, après tout un docker en impose tout de même un peu, c'est pour sa famille qu'il se fait du souci:
Marie, habite la maison au croisement de la rue de Gravelines et de la rue des Mouettes — qu'empruntent les migrants de la "Jungle" souhaitant traverser le pont qui surplombe la rocade portuaire. Ses voisins le disent tous: elle ne dort plus que d'un œil, et on l'aura compris lors de l'interview, elle n'ose plus s'occuper de son jardinet qui longe la route.
"Le peu de personnes qui ont des animaux: des lapins, des chèvres. Un voisin s'est fait voler ses chèvres, des lapins, des poules. On a toujours la peur au ventre, c'est au quotidien. La nuit lorsqu'on entend du bruit, qu'on regarde à la fenêtre, ils nous font des menaces comme s'ils allaient nous couper la gorge — parce qu'on les regarde — donc on se met en retrait."
Continuons notre périple avec Freddy, qui habite un peu plus bas… il travaille à Auchan Calais. La grande surface est située juste à la limite de Coquelles, soit à la hauteur de la sortie du terminal d'Eurotunnel et sa bretelle d'autoroute, sur l'A16.
"Dans la journée on n'a pas à se plaindre, mais c'est surtout la nuit. Je travaille de nuit à Auchan — Calais, je m'en vais d'ici vers minuit et demi, il y en a partout, ils envahissent l'A16 tous les soirs entre minuit et six heures du matin. J'ai des collègues qui viennent travailler la nuit, ils arrivent le parebrise éclaté, rétroviseurs arrachés. Ils sont stressés, certains se mettent à l'arrêt. C'est le quotidien, tous les soirs."
Peu après le pont surplombant la rocade, toujours route de Gravelines, Jean-François Gratien, propriétaire d'un centre équestre décrit également son quotidien:
Plus loin sur la route de Gravelines, à hauteur de Fort Vert, commune limitrophe de Calais, Olivier Butez, agriculteur, n'est pas non plus épargné depuis que le camp s'est établi:
"On les subit tous les jours, les premières conséquences sont dans nos récoltes. Chez moi ils ont balancé du lin dans les cours d'eau, j'ai à peu près une surface d'un hectare et demi qu'ils ont mis dans les cours d'eau et sur l'autoroute, après ils s'attaquent à des champs de pommes de terre pour se nourrir ou pour vandaliser — pour s'amuser […] Nos premières craintes c'est pour les enfants, j'ai des enfants en bas âge ils ne peuvent plus circuler librement sur l'exploitation ou les abords de l'exploitation, parce que lorsque vous vous retrouver face à 100 migrants…"
Au-delà du nombre, Olivier Butez est également le témoin impuissant d'évènements de plus en plus graves:
Si ces habitants comprennent la difficile condition des migrants entassés dans la jungle, ils sont de plus en plus amers qu'on ne prenne pas plus en considération leurs propres difficultés.
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