Calais: Cazeneuve marche sur des œufs

© Philippe HuguenCalais
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Démanteler la Jungle de Calais, Cazeneuve en parle, les Calaisiens et les migrants en rêvent… chacun pour ses raisons, parfois opposées. En attendant, la situation dans le plus grand bidonville d’Europe dégénère. L’État apporte-t-il les bonnes réponses? Pas sûr, selon les acteurs de terrain.

Le gouvernement va "poursuivre avec la plus grande détermination" le démantèlement de la "Jungle" de Calais, a déclaré Bernard Cazeneuve.

Une annonce qui survient à la veille d'une visite du ministre de l'Intérieur dans une région où les tensions se sont cristallisées autour du camp de migrants: lundi, dès 7 h, routiers, agriculteurs et commerçants calaisiens bloqueront l'A16 pour exiger le démantèlement de la "Jungle". Deux convois partiront de Boulogne-sur-Mer et de Dunkerque à destination de Calais, où les incidents se sont multipliés ces derniers mois. C'est dans ce climat tendu que le ministre de l'Intérieur se rend à Calais vendredi 2 septembre, la 8e visite depuis son investiture place Beauvau.

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Cazeneuve à Calais pour poursuivre le démantèlement de la "jungle"
La "Jungle" a cristallisé les tensions humanitaires, sociales et économiques. En cause, un effet ciseaux, avec d'une part l'augmentation du nombre de migrants dans le camp et d'autre part la diminution des effectifs de CRS, réaffectés à d'autres villes dans le cadre de la lutte antiterroriste après à l'attentat Nice. La veille, dans un entretien accordé au quotidien calaisien Nord Littoral, le ministre de l'Intérieur a annoncé la poursuite "par étapes" du démantèlement de la partie nord de la "Jungle", qui compterait 9.000 migrants selon un comptage entrepris début août par deux associations actives sur le terrain: "l'Auberge des Migrants" et "Help Refugees".

Les responsables associatifs, qui ont tenu une conférence de presse ce matin, sont d'accord avec le ministre sur un point: la "Jungle" doit être démantelée, dans le sens que celle-ci ne doit pas être une finalité pour ceux qui y vivent, d'autant plus au vu des conditions d'insalubrité qui y règnent. Cependant, évacuer le camp n'est pas envisageable en l'état pour Julie Lavayssière, de l'association Utopia56:

"Le démantèlement de la Jungle n'est pas une solution […] parce que cela ne ferait qu'éclater la Jungle en des dizaines de petits camps autour. Le problème serait toujours le même, par contre cela rendrait le travail des associations, de la municipalité et de la police plus compliqué".

D'autant plus que, comme le souligne Maya Konforti, de l'association "l'Auberge des migrants", bon nombre des habitants du camp de la Lande aspirent toujours à rejoindre les îles britanniques:

"Il faut aussi que l'État reconnaisse le fait que tous les gens qui sont à Calais ne veulent pas partir en CAO et demander l'asile. Il y a peut-être la moitié des gens qui sont dans la Jungle qui n'a aucune intention de partir en CAO. Donc, si on détruit la Jungle trop vite, on va se retrouver avec des gens à la rue et des gens à la rue, ça s'installe n'importe comment et cela fait beaucoup plus de désordre que la Jungle qui existe en ce moment."

Maya Konforti semble par ailleurs vouloir s'inscrire dans une démarche de conciliation à l'égard de ceux qui manifesteront lundi contre la présence de la "Jungle", une présence qu'ils accusent d'être à l'origine de la détérioration de la situation sécuritaire et économique dans la région:

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"On a écrit une lettre ouverte à tout le monde, en particulier aux groupes de Chasseurs et Calaisiens, etc. en proposant une table ronde, en disant discutons de ce problème: parce qu'il y a une situation migratoire ici, elle ne plaît à personne! Elle ne plaît pas aux chasseurs, elle ne plaît pas aux routiers, elle ne plaît pas aux Calaisiens, elle ne plaît pas aux associations […] elle ne plaît pas aux réfugiés non plus!"

Si démantèlement il y a, qu'adviendra-t-il des migrants? Durant son entretien, Bernard Cazeneuve a annoncé que cette opération s'accompagnera de la création de 8.000 places d'accueil et d'hébergement supplémentaires en France pour désengorger Calais. Soit 2.000 nouvelles places d'hébergement en Centres d'Accueil et d'Orientation (CAO) et 6.000 places en centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA).

Une annonce qui s'inscrirait donc dans la continuité de ce qui avait été entrepris lors du démantèlement de la partie sud de la "Jungle", le 29 février dernier: comme le précise le ministre, "5 528 migrants en provenance de Calais ont déjà été accueillis dans les 161 centres d'accueil et d'orientation (CAO) que nous avons créés en France." Le ministre qui indique par ailleurs que 63 mineurs — Calais en compterait 900 — ont pu rejoindre leurs familles en Grande-Bretagne dans le cadre du regroupement familial, les demandes de rapprochement familial ayant été traitées par la sous-préfecture de Calais avant d'être transmises aux autorités britanniques.

Ces dernières ont déjà versé 100 millions d'euros à leurs homologues françaises. Une annonce de Bernard Cazeneuve qui rassure Maya Konforti de l'association "l'Auberge des migrants", active dans sur le camp de la Lande, même si elle attend plus:

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"C'est un pas en avant, on va attendre de voir si tout cela est vraiment créé, il faut en effet que tous les gens qui ont demandé l'asile à Calais, mais qui vivent toujours dans la Jungle partent en CAO, il faut que les gens qui ont l'intention de demander leur asile en France partent aussi en CAO et en CADA. Il faut aussi s'occuper de toute la filière!"

Quant à Julie Lavayssière, de l'association Utopia56, elle en appelle à la mobilisation citoyenne, ou plutôt à la ministre du Logement et de l'Habitat durable:

"Les associations ont proposé des solutions: d'abord mettre en place un suivi, en plus des places dans ces centres d'accueil ou pas assez de personnes travaillent. Deuxième chose, c'est peut être modifié les accords du Touquet, avec l'Angleterre. C'est à l'Angleterre de prendre en charge les rapprochements familiaux, les mineurs isolés — ce sont des choses qui normalement sont mises en place, mais qui ne sont pas respectées — troisième chose, la ministre Emmanuelle Cosse a commencé à parler d'accueil citoyen, donc on aimerait savoir ce qu'il en est de cette solution. En effet, il y a beaucoup de citoyens qui souhaitent s'engager, mais qui pour l'instant n'ont pas les moyens de s'engager dans l'accueil des réfugiés."

Un sentiment généreux, mais répond-il aux souhaits des migrants de la "Jungle"? Pas sûr. Rappelons que leur objectif est de passer en Angleterre, non de prendre racine en France. De nombreux migrants relogés en structure d'accueil loin de Calais lors du démantèlement de la partie sud du camp ont d'ailleurs préféré quitter le confort pour retourner dans la "Jungle", au plus près de leur rêve.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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