Une situation de surpopulation qui n'est pas sans conséquence pour les personnes amenées à vivre dans le camp — où les conditions de vie étaient déjà loin d'être enviables — comme nous l'explique François Guennoc, Vice-Président de l'association "l'Auberge des migrants". Une association active auprès des habitants du camp de la Lande, qu'elle accompagne dans leurs démarches, en plus de leur fournir des éléments de première nécessité: nourriture, vêtements, couvertures.
"Les deux conséquences visibles: la première, c'est l'entassement des gens, il y a aujourd'hui beaucoup plus de monde sur 35% de la surface qui était occupée avant la destruction de la partie sud en mars. Il n'y a plus de place aujourd'hui pour installer de nouvelles tentes, c'est très difficile, il y a des risques d'incendie liés à la proximité des habitations, des tentes, des caravanes, des abris. La deuxième, c'est l'allongement des files d'attente, aussi bien à La Vie Active, à Jules Ferry — c'est-à-dire l'endroit où cette association payée par l'État distribue à peu près 4000 repas — ou sur les points de distribution des associations qui travaillent sur le camp." […] "S'ajoute à cela le stress, une relative pénurie en matière de vêtements, de chaussures, etc."
Sébastien Rivera, Secrétaire Général du Syndicat routier FNTR (Fédération Nationale des Transports Routiers) Pas-de-Calais, témoigne de la dégradation de la situation. Il explique sa décision de se mobiliser après avoir alerté plusieurs fois les autorités publiques, des lettres de doléances restées pour l'heure lettre morte.
Une situation qui ne semble pas partie pour s'améliorer, selon Sébastien Rivera qui pointe également du doigt une passivité des autorités judiciaires:
"À notre sens il n'y a aucune raison que les choses s'arrangent, étant donné qu'il y a une totale absence de réponse du pouvoir judiciaire. Il n'y a aucune raison que les migrants changent leurs façons de faire actuellement: ils jouent le jeu du chat et de la souris avec les forces de l'ordre, ils se permettent même d'agresser les forces de l'ordre…"
Un mouvement rassemblant autant de corps de métiers différents, un phénomène rare. Jean-Pierre Clipet, Secrétaire général du Syndicat agricole FDSEA Pas-de-Calais, relève que si le centre-ville de Calais jouit maintenant d'une certaine attention des forces de police, le problème a été décalé dans les campagnes. Si les agriculteurs se mobilisent aux côtés des transporteurs routiers, c'est pour dénoncer le sentiment d'insécurité mêlé à l'amertume de ne pas voir leurs inquiétudes prises en considération: dégradations des cultures, mais surtout intrusions de groupes toujours plus nombreux dans les bâtiments de ferme:
"On est dans le même état d'esprit où aujourd'hui on en a assez, c'est vraiment très dur à supporter, derrière il y a les pertes liées à ça. Vivre avec, supporter des intrusions chez soi, dans nos fermes, c'est compliqué, on ne sait jamais les réactions qu'ils peuvent avoir. On n'en parle pas, mais la semaine dernière, quelqu'un a retrouvé un homme décédé sur sa parcelle, un autre qui avait pris un coup de machette et puis un groupe qui se sauve… on a peur pour sa propre personne. On a aussi des dégâts assez importants dans nos champs, on est déjà dans une situation économique assez délicate… donc on n'a pas besoin d'avoir des dégâts en plus. Ce que l'on veut c'est pouvoir travailler en sécurité et au-delà de ça, obtenir des indemnisations par rapport aux dégâts."
"On note également une montée de l'agressivité des attaques: cela fait maintenant près de six mois que quasiment toutes les nuits, les migrants prennent d'assaut la rocade portuaire et l'autoroute A16 entre Calais et Coquelles — c'est à l'entrée d'Eurotunnel — bloquent la circulation avec des barricades qu'ils érigent à l'aide d'arbres qu'ils coupent, de mobilier urbain, de pneumatiques, etc. qu'ils incendient. On a eu des véhicules qui se sont fait incendier — des cocktails Molotov qui sont jetés sur les véhicules — les pare-brise cassés à coups de barre de fer, de branchages, de pavés, donc des conducteurs qui sont clairement menacés. Les bâches des véhicules sont lacérées pour pouvoir s'y introduire, parce qu'une fois que la circulation est stoppée, ils s'introduisent dans les véhicules dans l'espoir de se cacher dans les marchandises pour passer en Grande-Bretagne. Vous vous doutez bien que la marchandise est totalement saccagée, on a eu des cas de vol des marchandises et tout cela dans une totale impunité."
Une mobilisation qui surprend désagréablement François Guennoc, de "l'Auberge des migrants", qui y voit des arrière-pensées politiques:
"On a appris comme vous qu'un certain nombre d'agriculteurs, commerçants, ouvriers du port même — ce qui est plus surprenant — et routiers voulaient organiser une manifestation le 5 septembre, bloquer l'autoroute, etc. Notre première réaction, un peu spontanée, c'est de dire que c'est extrêmement dangereux: cela va encore accentuer le climat de tension qui existe sur Calais. La deuxième, c'est qu'apparemment pour nous c'est une manœuvre politique contre l'État: c'est une manœuvre contre le gouvernement actuel, probablement très inspirée par la mairie de Calais et par l'opposition de Droite. Donc, c'est une opération politique par rapport à laquelle on va réfléchir. On va voir entre associations demain comment on réagit à ce projet."
Politisation du mouvement de grogne? Jean-Pierre Clipet s'en défend:
"En ce moment il y a beaucoup de nouveaux arrivants, donc le fait que la jungle est saturée… bah les gens vont où ils peuvent — c'est bien malheureux —, mais aujourd'hui c'est nous qui les supportons. On réagit aussi par rapport aux +No-Borders+ ou aux différentes associations qui à chaque fois qu'on parle des migrants — on cause une situation tout à fait déplorable, ça on est tout à fait d'accord — sauf qu'on sait… on ne peut pas non plus supporter tous les dégâts que cela occasionne…" On ne peut pas se contenter de dire aujourd'hui la "jungle est saturée" il faut trouver d'autres solutions. Il n'y a pas de débat politique, on est exploitants avec différents courants — on veut juste défendre notre métier des dégâts qui tournent autour du problème des migrants."
La solution… pourrait-elle venir de Grande-Bretagne? C'est en tout cas ce qu'a laissé entendre Nicolas Sarkozy, qui a proposé que les demandes d'asile soient traitées directement par l'Angleterre. Le vice-président de l'Auberge des migrants tient à rappeler que l'ancien Président de la République est à l'origine des accords du Touquet qui ont abouti à cette situation — en déplaçant en France la frontière des iles britanniques. S'il demeure "sceptique quant à la volonté réelle" du candidat d'opposition, il semble toutefois ne pas être en désaccord sur le fond:
"Effectivement, il faudrait que les Britanniques assument la responsabilité par rapport aux gens qui souhaitent avoir l'asile en Grande-Bretagne — et qui, en particulier, ont de la famille en Grande-Bretagne et donc pourraient bénéficier d'un rapprochement familial. Je pense aussi aux mineurs. Cela suppose, effectivement, probablement, un traitement sur leur territoire."
Autant dire que la solution n'est pas au bout du tunnel.
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