Le référendum qui se tiendra au Royaume-Uni à la fin du printemps 2016 pourrait bien donner une importance nouvelle et radicale à cette crise.
Un bilan largement partagé
Le désastre crée par le « marché unique » non équilibré par des capacités d'action à la mesure de ce dit marché est aujourd'hui patent. On le voit, sous nos yeux, avec la crise que traverse l'agriculture française. Mais, on pourrait tirer le même constat dans l'industrie ou dans le secteur des services qui est aujourd'hui complètement déstabilisé par la directive européenne sur les « travailleurs détachés ». Jamais, le dumping social et le dumping fiscal n'ont été aussi évidents. Ils prennent un tour particulièrement tragique pour les pays membres de la Zone Euro qui ne peuvent compenser les déséquilibres ainsi créés par des ajustements du taux de change de leurs propres monnaies.
L'Euro, poison de l'Europe
L'Euro, on le sait, provoque des dysfonctionnements de plus en plus importants dans les économies des pays qui l'ont adopté, sauf peut-être l'Allemagne. La Zone Euro se heurte en fait à la nécessité de l'existence de taux d'inflation différents selon les pays, quand leur démographie et leur situation structurelle sont trop différentes. C'est d'ailleurs là l'un des arguments de King. J'ai développé ce même argument dans mon livre Faut-il sortir de l'Euro qui fut publié en 2012 (3). L'Union Monétaire implique que la même politique monétaire sera conduite sur l'ensemble des pays de la zone, ce qui implique qu'elle sera soit trop restrictive soit trop accommodante suivant les différents pays. Il ne faut donc pas s'étonner que la monnaie unique soit à l'origine de crises répétées.
Un des grand lecteurs de Jean Bodin, Pierre Mesnard, l'avait écrit de manière très claire: « Posons la souveraineté, nous instaurons la République » (4). Nous en avons la démonstration par l'absurde; la suppression de la souveraineté entraîne la crise du projet républicain. Cela se traduit par la rébellion démocratique des peuples de l'Europe du Sud auxquels les institutions de l'Union Européenne et celles de la zone Euro cherchent sans cesse à arracher plus de richesse au profit de l'Allemagne et de ses satellites. Mervyn King prédit alors, une crise tant économique que politique si les pays membres de la zone Euro s'obstinent dans la voie folle et suicidaire de la monnaie unique, et on peut montrer que cet « oubli » du problème de la souveraineté est à la base de la crise politique qui monte (5).
Le pari de l'Euro et son échec
Le projet est ancien. On peut dater le début d'une réflexion sur une monnaie unique européenne de la fin des années 1960, et en particulier du rapport Werner (8). Mais, les obstacles étaient, eux aussi, bien connus. En 1977, le président de la Commission européenne, le Britannique Roy Jenkins, proposa la création d'une monnaie unique pour les pays qui composaient alors la Communauté économique européenne. Mais il liait sa proposition à un budget communautaire se montant à 10 % du produit intérieur brut (PIB) des pays membres. Cette idée était techniquement logique, mais fut politiquement rejetée par la totalité des pays concernés. Elle l'est toujours aujourd'hui où le budget de l'Union européenne ne dépasse pas les 1,25% du PIB. Or, sans budget fédéral, il était clair que l'Euro ne pourrait fonctionner. Pourtant, on a fait l'Euro et on l'a fait sans se donner les moyens de la faire fonctionner. Cela demande explication.
De fait, le débat sur l'Euro est sorti du domaine de la raison et il est entré dans l'espace du religieux. Si vous vous opposez à l'Euro, on ne cherchera pas à débattre ou à argumenter, mais à vous déconsidérer, à vous excommunier. Les arguments renvoient alors à dogme: l'Euro protège. Mais, de quoi, et comment, cela n'est jamais dit, et pour cause. L'Euro favorise la croissance est un autre point du crédo, que démentent pourtant les faits les plus évidents. Attaquez l'Euro sur un point et, si l'on consent à vous répondre, ce sera sur tout autre chose. Nous sommes donc sortis du débat rationnel, et il y a une raison à cela: c'est que l'Euro n'est pas — et ne peut pas être — un objet économique. Il n'est même pas un objet politique. Il est devenu un fantasme, celui qui dévoile en réalité ce grand désir de nombreux responsables et dirigeants politiques de se fondre dans une masse indifférenciée pour échapper à leurs responsabilités, à courir en toute impunité vers l'enrichissement personnel. Mais il s'agit d'un fantasme inconscient. Car nul ne peut objectivement avouer de telles pulsions. Il faut les enjoliver sous une forme où elles auront les habits de la décence. Et cela explique bien la violence des réactions que provoque toute critique de l'Euro.
Mais, l'Euro ne s'est pas contenté d'être un fantasme. Il est une réalité tragique. Il faut comprendre son œuvre mortifère et comment il détruit et la France et l'Europe.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.
(1) King, Mervyn A., The End Of Alchemy: Money, Banking And The Future Of The Global Economy, Londres, Little, Brown (à paraître)
(2) Stiglitz Joseph E., The Euro: And its Threat to the Future of Europe, New Yok, Allen Lane, 31 mai 2016, (à paraître)
(3) Sapir J., Faut-il sortir de l'Euro?, Paris, Le Seuil, 2012.
(4) Pierre Mesnard, (1952) L'essor de la philosophie politique au XVIième siècle, Paris, Vrin, p. 494.
(5) Sapir J., Souveraineté, Démocratie, Laïcité, Michalon, Paris, janvier 2016
(6) La déclaration se trouve dans le journal Neues Deutschland: http://www.neues-deutschland.de/artikel/820333.wirbrauchen-wieder-ein-europaeisches-waehrungssystem.html ainsi que sur le blog d'Oskar Lafontaine: http://www.oskar-lafontaine.de/linkswirkt/details/f/1/t/wir-brauchen-wieder-ein-europaeischeswaehrungssystem/
(8) Aris M. et N. M. Healey, « The European Monetary System », in N. M. Healey, The Economics of the New Europe, Londres-New York, Routledge, 1995, p. 45-67