A l'instar de ce qu'il s'était produit voici plusieurs jours avec les relations diplomatiques irano-saoudiennes, l'effet du « band wagoning » a encore joué dans la péninsule arabique; les monarchies pétrolières se suivent les unes les autres dans leur politique extérieure.
Pourquoi le Liban se retrouve-t-il dans cette situation? M. Antoine Sfeir, journaliste et politologue spécialisé du Moyen-Orient, nous répond:
« C'est en raison de la présence du Hezbollah, et en raison du fait que les troupes du Hezbollah et des troupes des Gardiens de la Révolution iranienne sont en Syrie et au Liban pour lutter contre DAECH. Et les monarchies du golfe ont peur d'être la cible de la part des milices chiites qui se trouvent dans la région. »
Après des décennies de guerre civile et d'interventions étrangères, le Liban est-il à nouveau au cœur de toutes les attentions?
Selon M. Sfeir, les attentats perpétrés en Arabie Saoudite par DAECH contre la communauté chiite relèvent de l'arroseur arrosé.
« Après avoir financé DAECH, l'Arabie Saoudite se retrouve cible de DAECH, parce que DAECH a besoin de se diversifier sur les terrains. On l'a vu en Libye, en Tunisie, au Sahel et en Afrique (en essayant d'adouber des mouvements comme Boko Haram; et aujourd'hui DAECH essaie de s'implanter dans la péninsule arabique.
La rapidité avec laquelle les évènements s'enchaînent montre une motivation commune de la part de ces pays. Quelles raisons ont motivé les monarchies pétrolières à se souder? M. Tigrane Yégavian, Journaliste auprès de la revue Conflit, nous explique:
« Deux Etats surtout, les EAU et le Bahreïn, contrairement au Qatar, n'ont pas une politique étrangère très autonome ni indépendante de celle de l'Arabie Saoudite. Le Bahreïn a même emboîté le pas sur l'Arabie Saoudite avec cette interdiction de se rendre au Liban. Cela prouve que ces pays ont une souveraineté limitée, et on l'a vu en 2011 au Bahreïn, qui n'a pas pu faire face au soulèvement populaire (donc la majorité chiite) et qui a demandé de l'aide à l'Arabie Saoudite pour rétablir l'ordre à Manama.
Dans le contexte actuel, Riyad fait monter la pression sur le Liban pour deux raisons: l'Arabie Saoudite a prévu de geler les programmes d'équipement militaires français pour un montant de 3 Milliards de Dollars; en demandant à ses ressortissants de partir, Riyad accuse Beyrouth de favoriser les intérêts de son rival iranien, officiellement à cause du Hezbollah; il s'agit bien sûr d'une mesure de rétorsion.
Officieusement, l'Arabie Saoudite a vu son influence au Liban s'affaiblir considérablement au cours de ces dernières années: les Saoudiens n'ont plus la main sur les dossiers liant la politique libanaise; la famille Hariri, les protégés de Riyad, sont binationaux; l'ancien premier ministre libanais et la famille Hariri ont fait leur fortune grâce aux Saoudiens: ils sont propriétaires de la seconde entreprise de BTP Saudi Oger LTD., qui gère plus de 50 000 employés, et qui fait face à de graves difficultés financières, dues à de mauvaises gestions, et M. Hariri a besoin des Saoudiens pour renflouer ses caisses, et notamment pour pouvoir acheter à sa clientèle au Liban.
Et les Saoudiens n‘ont plus l'intention d'aider leur protégé, car ce dernier a fait des déclarations désobligeantes sur certains dirigeants saoudiens, à des officiels étrangers. Donc ce règlement de comptes s'opère au moment où l'influence saoudienne est au plus faible au Liban. »
« Cette Guerre Froide est installée dans les faits. Le conflit israélo-palestinien occupe un rang périphérique, alors que sa place était centrale dans les années 80 et 90. Le gouvernement libanais est devenu par procuration le champ de bataille de l'Arabie Saoudite et de l'Iran, et le gouvernement libanais n'a pas du tout intérêt à faire monter la tension d'un cran.
Actuellement, Beyrouth tente de calmer le jeu, et joue sur la retenue. Le Premier Ministre libanais entend faire une tournée dans les pays du Golfe pour apaiser les tensions. Beyrouth fait face à un afflux massif de réfugiés syriens, et face à une instabilité politique (car il n'y pas de président, ni d'accord pour désigner un candidat consensuel pour la présidence de la République).
Si les raisons pour de telles positions de la part des monarchies pétrolières s'expliquent, le Liban risque bien, à nouveau d'être l'otage des politiques de ses voisins, à défaut d'avoir pu se maintenir comme la « Suisse du Moyen-Orient ».
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