On se souvient que la Russie avait commandé à la France ces deux navires, et que la France a refusé de livrer en raison du conflit en Ukraine. Un communiqué du gouvernement russe (1), confirmé par une déclaration de M.Le Drian, le Ministre de la défense, annonce que les deux pays ont trouvé un accord: la France va rembourser à la Russie les sommes payées par cette dernière, soit environ 1,16 milliard d'euros. Cet accord est plutôt avantageux pour la France. La Russie était en effet en droit d'exiger des pénalités de rupture de contrat pour un montant bien plus élevé. Pourtant, le gouvernement russe a décidé de ne pas poursuivre le gouvernement français et d'accepter un accord à l'amiable. Il y a là, incontestablement, un geste de bonne volonté de la part de Vladimir Poutine. La France s'en tire donc à bon compte. Mais, le coût, pour la France, de cette lamentable affaire risque d'être, en réalité, bien plus élevé (2).
Le coût pour la France
Il y a ensuite un coût industriel. L'annulation de cette vente compromet toute une série d'autres contrats que pouvaient espérer l'industrie française. C'est aussi au coup dur pour les chantiers navals français. Des transferts de technologies importants ont été consentis par les industriels français, que ce soit dans le domaine des moteurs diésels, dans celui de la conception même des navires, ou — plus simplement — dans la réorganisation industrielle des chantiers russes. En effet, on oublie que ces derniers vont construire deux unités jumelles de celles dont la vente a été annulée. Ces deux unités seront construites dans les chantiers navals de Saint-Pétersbourg, et ces derniers pourraient construire, à partir de 2020, un développement de la classe « Mistral », qui sera à la fois plus gros et plus rapide. Entre le transfert de savoir-faire, le développement d'une capacité de production concurrente, qui pourrait peser sur de futurs contrats car les coûts de production des chantiers navals russes sont inférieurs à ceux des chantiers navals français, et une perte en terme d'emploi, le coût industriel de cette annulation sera certainement élevé.
Un coût symbolique: une perte de crédibilité
Il y a, enfin, un coût symbolique élevé. La France ne peut être considérée comme un partenaire fiable par de nombreux pays, et en particulier des pays des BRICS qui sont intéressés par des équipements français et qui ont des moyens financiers importants. Ces pays, pour des raisons politiques, ne souhaitent pas (ou ne peuvent pas) acheter des équipements militaires aux Etats-Unis, à la Grande-Bretagne voire à l'Allemagne. La France était, logiquement, leur partenaire. C'est ce qui n'est plus vrai désormais, avec l'annulation de la vente des deux navires à la Russie.
Une annulation de vente devenue sans objet?
Ce qui pose le problème plus général non seulement du pourquoi de l'annulation de la vente des Vladivostok et Sébastopol mais au-delà de la dégradation des relations économiques entre la Russie et la France. Le prétexte était les événements d'Ukraine. Mais, la France a été, avec la Russie, cosignataire des accords de Minsk, qui devaient permettre non seulement un cessez-le-feu mais aussi un accord politique entre Kiev et les insurgés du Donbass. Mais, le gouvernement de Kiev s'est refusé à appliquer le volet politique de cet accord. Et, l'on a pu constater que la très grande fragilité du cessez-le-feu est largement due aux forces du gouvernement de Kiev qui se livrent à des bombardements réguliers sur des cibles civils dans le Donbass. Les gouvernements occidentaux s'en sont émus. Le gouvernement des Etats-Unis, qui n'est lui pas partie prenante des accords de Kiev, a reconnu que des unités déployées par le gouvernement de Kiev, comme le bataillon Azov étaient composées de néo-nazis. Ne serait-il pas temps de tirer les leçons de tout cela et d'annuler les sanctions économiques et financières qui ont été prises contre la Russie?
Mais, il est clair que même si la France annulait les sanctions économiques, elle resterait tributaire de la législation américaine en ce qui concerne le commerce et surtout les moyens de financement. En effet, les Etats-Unis se sont dotés d'un arsenal de loi extraterritoriales, qui leur permettent de poursuivre une société non-américaine uniquement parce qu'elle utilise le dollar dans des échanges avec un pays «sous sanctions» des Etats-Unis. En effet, le champ d'application des lois sur les sanctions s'est élargi de manière considérable à toute entreprise et personne dans le monde à partir d'une connexion aussi tenue avec le territoire américain qu'un email ou une communication téléphonique (3). Ceci confère un pouvoir extraordinaire au sens premier, soit sortant de l'ordinaire, aux autorités américaines. Dans la mesure où le gouvernement français n'a pas protesté, et n'a pas invoqué la cour d'arbitrage international ou la cour internationale de justice de La Haye dans ce type de conflits, il a accepté de se plier à la législation américaine. Cela pose un problème majeur quant à l'indépendance de notre pays.
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1) http://m.ria.ru/defense_safety/20150806/1165010806.html?rubric=sys_daynews&sort=sortkey
2) http://www.parismatch.com/Actu/Politique/Les-premiers-chomeurs-de-l-affaire-Mistral-809991
3) L'Office of Foreign Assets Control (OFAC): Réprime les actes de commerce internationaux effectués par des firmes de toute nationalité avec des pays qui sont sous embargo par le gouvernement américain: The Office of Foreign Assets Control (OFAC) of the US Department of the Treasury administers and enforces economic and trade sanctions based on US foreign policy and national security goals against targeted foreign countries and regimes, terrorists, international narcotics traffickers, those engaged in activities