Poulet lavé au chlore et maïs transgénique au menu, baisse du niveau de vie, services de santé au rabais, perte du pouvoir citoyen, libéralisation du secteur de l'éducation. Voilà à quoi ressemblerait la vie d'une Europe passée sous la mainmise du TTIP.
Un des symboles, le règlement des différends entre investisseur et Etat (ISDS), présent dans la plupart des accords commerciaux, permet à une multinationale d'attaquer un Etat dans un centre d'arbitrage pro-business si elle estime ses profits sous la menace d'une nouvelle législation, et ce même si l'intérêt général en souffrirait.
Ce mécanisme largement favorable aux multinationales crée un droit parallèle exclusivement réservé aux investisseurs étrangers, et donc inaccessible aux Etats, investisseurs nationaux et citoyens, qui passent ainsi au second plan.
Il existe plus de 600 litiges en cours dans le monde. Par exemple, la compagnie d'assurance Eureko a reçu deux milliards d'euros de l'Etat polonais suite à un conflit sur la privatisation du système de santé. La Russie a été condamnée à payer cinquante milliards de dollars à la compagnie pétrolière Ioukos.
Officiellement, l'ISDS a coûté à ce jour 3,5 milliards d'euros au contribuable de l'Union européenne. Mais seules 11% des décisions sont connues du public. On peut donc sans peine imaginer un chiffre nettement plus élevé, que l'accroissement des investissements transatlantiques du TTIP devrait amplifier plus encore.
Le paiement de ces sommes astronomiques, plutôt que d'être investies dans des politiques de bien commun, contribuera davantage à la dégradation d'un modèle social européen déjà mal en point.
La santé des Européens sous la menace de multinationales
Le volet du traité sur la coopération réglementaire maintient le même cap. Les standards plus élevés de l'Union européenne doivent être harmonisés avec ceux plus laxistes des Etats-Unis, car leurs différences sont un frein aux profits des multinationales. La protection de l'intérêt général se voit ainsi déconsidérée.
Or le complexe agro-industriel états-unien et ses alliés politiques, dont la Commission européenne, mettent tout leur poids dans la balance pour éliminer ces obstacles. Résultat des comptes: avec le TTIP, l'alimentation et la santé des Européens se trouvent sous la menace de multinationales qui s'efforcent quant à elles de maintenir la population dans la plus grande ignorance.
L'expérience montre qu'un nivellement des normes par le bas découle de ce type de processus. L'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) entre les Etats-Unis, le Mexique et le Canada a fêté ses 20 ans l'année dernière. Les conséquences sur les populations se révèlent tout à fait négatives. Les normes de protection du travail, de l'environnement et de la santé publique ont été revues à la baisse aux Etats-Unis. Nombre de petites exploitations agricoles ont été détruites au profit de grandes compagnies. En règle générale, les petites et moyennes entreprises ont perdu des parts de marchés au bénéfice des multinationales et les gains sont allés vers les 1%, voire 0,1% des populations les plus aisées.
Actuellement, les Etats-Unis ne reconnaissent que deux des huit Conventions fondamentales de l'Organisation internationale du travail. Or, la proposition de texte de la Commission européenne sur les droits de travailleurs dans le cadre du TTIP ne stipule pas explicitement la ratification de ces conventions.
Par ailleurs, les retombées économiques du TTIP pour les citoyens ordinaires sont plus que contestables. Le chiffre risible de 0,5% de croissance sur dix ans est annoncé (soit 0,05% par an) tandis que Gabriel Felbmayer, auteur d'une étude sur l'impact d'un accord de libre-échange Etats-Unis — Union européenne, admet que dans les scénarios les plus optimistes, les effets sur l'emploi seront très faibles, de l'ordre de 0,4%.
L'étude de l'économiste Jeronim Capaldo va encore plus loin. Elle annonce, pour la France seulement, une baisse des exportation après dix ans (1,9%), une baisse du PIB (0,48%), une baisse des revenus (5 500 €/an) et une augmentation du chômage (130 000 personnes). Sans oublier un accroissement du déséquilibre financier déjà responsable de la crise des subprimes, dont la majorité de la population a souffert.
Dans la plus grande opacité
Les voix citoyennes sont ignorées. Une pétition européenne a recueilli plus de deux millions de signatures et ne cesse de croître. En 2014, la Commission européenne a lancé une consultation publique sur l'inclusion d'un système de protection des investisseurs (ISDS) dans le TTIP. Résultat sans équivoque: 97% des 150.000 réponses ont clairement exprimé leur refus de l'ISDS. Malgré cela, le texte qui sera débattu au Parlement ne prend pas en compte l'énorme scepticisme des peuples et les négociations continuent dans la plus grande opacité.
Une sérieuse remise en cause de la nature des accords de soi-disant « libre-échange » devient nécessaire afin de mettre le cap vers un système au service des citoyens de chaque côté de l'Atlantique.