Ça a été le sort des centaines des prisonniers biélorusses dans le camp de travail à côté de Thil, en Meurthe-et-Moselle.
« Ces 37 jeunes filles étaient logées, si on peut appeler ça logées, dans un ancien camp militaire de la ligne Maginot, — nous raconte René Barchi, historien et fils du Résistant, — cette ligne de fortifications qui avait été construite par la France après la Première Guerre mondiale le long de la frontière allemande en Alsace et en Lorraine, ce qui n'a d'ailleurs pas empéché l'Allemagne d'envahir la France en 40 en contournant par la Belgique.
Dans les camps de prisonniers à travers toute la France, on décompte environs 120 000 prisonniers de guerre soviétiques, ainsi que 100 000 civils.
« Environ 800 femmes soviétiques étaient internées au camp d'Errouville, — poursuit René Barchi, — En particulier, il y a eu parmi elles un groupe de jeunes filles dont la plus jeune avait 15 ans et la plus âgée — environs 30 ans. Elles travaillaient à la mine de Thil, mine de fer dont l'Allemagne avait grandement besoin. Les habitants du village étaient abasourdis, en voyant pour la première fois des femmes entrer dans une mine, en Lorraine c'était un travail d'homme, un travail dur. Cette mine avait en plus une caractéristique, c'est qu'elle était utilisée comme atelier sous-terrain pour l'assemblage de fusées V1, ces fameuses fusées que les Allemands avaient utilisées pour bombarder la Grande Bretagne. »
On se rappelle que la plus grande base de fabrication de V1 et V2 était située en Allemagne sur une île Peenemünde dans la mer Baltique. Il s'agissait de deux camps installés près de l'aérodrome. Les prisonniers travaillent à l'aérodrome pour y mener des travaux de terrassement et de camouflage. Pour éviter le repérage d'essai des missiles, ils ramassaient les pistons de la catapulte de tir de la rampe de lancement Walther, après les lancements des bombes volantes V1. Malgré ces efforts de dissuasion, un anglais Reginald Victor Jones identifie une fusée sur une photo aérienne de Peenemünde. La nuit du 17 au 18 août 1943, l'opération de bombardement Hydra fait disparaître le centre de recherches et cause la mort d'environ 600 personnes.
A partir du moment que la base fut rasée par un bombardement allié, les Allemands ont cherché des sites plus sûrs. La mine de Thil offrait le nécessaire: elle était peu éloignée de la frontière allemande et on y entrait par une ligne de chemin de fer directement à flanc de coteau, alors que pour la plupart des mines c'était à travers un puits. Ainsi, cette mine offrait toutes les options de sécurités face aux bombardements.
« Les prisonnières étaient logées sur des lits de bois dans le camp d'Errouvilles, — explique René Barchi, — tous les matins elles étaient emmenées en train à Thil. Après avoir marché pendant 4-5 km à travers les bois, elles traversaient la ville et entraient dans la mine vers 6 heures du matin pour en ressortir le soir très tard, affamées, bien sûr.
Lorsque le train arrivait à Thil, vers cinq heures du matin, on les entendait venir. Elles avaient des sabots aux pieds, ça faisait beaucoup de bruit, tous les matins les habitants de la Grand Rue étaient réveillés. Il y a eu des actes de solidarité: comme elles n'avaient pas beaucoup à manger on leur jetait du pain, des pommes de terre, des habits chauds pour l'hiver, etc. lorsque les Allemands ne regardaient pas. Même s'il y avait des difficultés de communication, on se comprenait par gestes.
Le 1er Mai 1944 un évènement hors du commun s'est produit: ces filles ont décidé de commémorer la Fête du Travail. Elles avaient trouvé des chiffons rouges et elles avaient confectionné à la va-vite un drapeau soviétique. Elles avaient également mis autour de leurs têtes des foulards rouges. À partir du train et jusqu'à la mine, elles ont marché avec ce drapeau et elles ont chanté l'International. Tous les habitants sont sortis aussi, ils ont applaudi et chanté avec elles. Les Allemands étaient fous de rage, ils ont tiré en l'air, ont poussé les filles vers la mine à coups de crosse. Elles ont fait leur journée de travail et au retour les leaders de la manifestation furent jetées au cachot. C'était un peu inconscient, car cela a appelé une répréssion de la part des nazis. Malgré tout elles l'ont fait. »
La cellule des Résistais a décidé d'accélérer les choses et les partisans ont organisé l'évasion des « fautives » En pleine nuit, 37 jeunes filles parmi ces courageuses et 27 hommes se sont évadés pour rejoindre la Résistance française. Les partisans les ont fait marcher deux nuits de suite (c'était trop dangereux en journée) pour parcourir à peu près 60 kilomètres. Les Russes ont rejoint les camps de partisants dans les forêts de l'Argonne et dans la Meuse.
Ce détachement cent pour cent féminin qui a pris le nom « Rodina » (La Patrie), s'est battu jusqu'en septembre 1944, lorsque le territoire français a été libéré»
René Barchi, historien et fils du Résistant, accueille à Paris l'association des vétérans russes de la Résistance française. Toute une délégation a décidé de venir suite à cette extraordinaire histoire de la Résistance soviétique. Ce mouvement en France ne s'est pas limité à « Rodina », on connaît d'autres exploits, puisque la France a été remplie de camps avec des prisonniers soviétiques. Beaucoup parmi eux se sont évadés: rien que dans l'Est de la France 18 détachements sur 60, un bon tiers, compte parmi ses membres les prisonniers soviétiques.
D'autres histoires passionnantes vont suivre, alors…