Hitler et la coupure d'eau

© Sputnik . Archives de RIA Novosti / Accéder à la base multimédiaАдольф Гитлер
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C'est un épisode peu connu mais crucial de la guerre. Une opération commando qui a empêché Hitler de se doter de l'arme nucléaire. La question de savoir s'il l'aurait utilisée ou non ne se pose pas. Bien sûr que oui. Par chance, cela ne s'est pas produit.

Le 19 novembre 1942, la météo en Norvège, alors occupée par les Allemands, était exécrable. L'officier de permanence de la Luftwaffe comptait sur une garde sans complications, étant donné que les nuages bas, les chutes de neige et le vent en rafale rendaient improbable l'apparition de bombardiers ennemis. Mais le téléphone a sonné en début de soirée au poste de commandement en provenance du service d'interception: les opérateurs avaient identifié un trafic en anglais. La communication n'était pas chiffrée: "Dans la tempête. Nous sommes perdus. Le givrage a commencé". Toute la patrouille allemande au sol a été mobilisée d'urgence, des unités renforcées sont allées fouiller les environs. Une surprise les attendait.

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En fin d'après-midi, le même jour, deux bombardiers lourds quadrimoteurs britanniques Handley Page Halifax, tractant chacun un planeur d'assaut Airspeed Horsa, ont décollé de l'aérodrome de Wick, en Écosse. Ces derniers transportaient 34 commandos britanniques de la 1e division aéroportée, qui se sont portés volontaires pour participer à la dangereuse opération baptisée Freshman. Son scénario était inédit et audacieux: à l'approche de la côte norvégienne les planeurs devaient se décrocher et faire débarquer en silence les commandos près de Rjukan. Les pilotes des planeurs devaient réaliser l'une des plus importantes diversions de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. Mais le sort en a décidé autrement.

Les conditions météo difficiles ont fait perdre les repères au premier bombardier. Les pilotes pensaient voler au-dessus de la mer, alors qu'ils avaient déjà franchi la ligne côtière. L'avion a percuté une montagne. Les pilotes du bombardier ont été tués, mais le planeur eu le temps d'atterrir sur la neige, sachant que sur 18 "paras" 14 avaient survécu. Le second Halifax s'est retrouvé en ciel bas et dans une tempête de neige. Il a demandé l'autorisation de rentrer à la base, mais en faisant demi-tour le câble, gelé, s'est cassé et le planeur s'est détaché. De retour à Wick, l'équipage du bombardier ne pouvait pas dire grand-chose: le planeur avait disparu dans le brouillard descendant en spirale douce. Londres a considéré les commandos comme morts, mais en réalité ce planeur a réussi à atterrir. Parmi les 17 personnes à bord, seulement 9 sont restées en vie. Les troupes de la Wehrmacht ont capturé les équipages des deux planeurs. Les blessés ont été euthanasiés à l'hôpital de Stavanger, les autres prisonniers ont été fusillés sur place. Les Allemands n'ont pas réussi à découvrir ce que les commandos cherchaient à faire avec la grande quantité d'explosifs et de détonateurs retrouvés parmi les débris des planeurs.

Si les "paras" avaient été interrogés pour dévoiler leurs plans, le destin du monde d'après-guerre aurait pu être complètement différent. La petite usine chimique norvégienne de Norsk Hydro, que les SAS britanniques étaient censés détruire, produisait de l'eau lourde — une substance nécessaire pour faire avancer le programme nucléaire allemand Projet uranium — Uranprojekt. L'objectif de ce programme ultra-secret consistait à doter l'Allemagne de la bombe nucléaire d'ici 1944. Malgré une confidentialité très élevée, les membres de la Résistance norvégienne avaient découvert les plans d'Hitler pour les rapporter aux Alliés, qui ont décidé d'agir immédiatement. L'issue tragique de l'opération Freshman n'a été qu'un épisode de la grande bataille pour l'eau lourde, qui a été finalement perdue par les Allemands.

En fait, l'opération pour détruire Norsk Hydro a commencé par une nuit de décembre en 1941, quand le capitaine Odd Starheim de la Direction britannique des opérations spéciales a sauté au-dessus de la Norvège en parachute pour rejoindre ses amis de la Résistance au sol. Il avait décidé de faire cette promenade hivernale après avoir reçu des informations à Londres en mai 1940. Les experts britanniques étaient très préoccupés à l'époque par le fait que les Allemands avaient saisi en premier lieu l'usine nationale pour la production d'eau lourde.

Londres savait qu'à cette époque les physiciens allemands travaillaient depuis longtemps et avec succès sur la fission nucléaire, tandis qu'en Belgique les Allemands avaient mis la main sur la moitié des réserves mondiales d'uranium (1 200 tonnes). Il ne manquait plus qu'un ralentisseur — l'eau lourde — pour créer un réacteur nucléaire et transformer l'uranium naturel en plutonium 239. C'était désormais chose faite.

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Odd Starheim devait découvrir tous les détails sur l'usine Norsk Hydro et recruter un membre du personnel technique.

À Londres, Starheim avait reçu des indications sur Aynar Skinnorland, un ingénieur qui ne sympathisait pas avec gouvernement pronazi de Vidkum Quisling, connaissait bien le processus technologique et l'emplacement des locaux industriels de l'usine, et étant originaire de la région il pouvait servir de guide dans les montagnes environnantes. Starheim devait faire venir le Norvégien à Londres pour planifier avec son aide l'intrusion, puis le faire revenir. Une opération a été organisée en collaboration avec la Résistance. Dans différents ports du pays, des résistants (dont Aynar) se faisant passer pour des passagers ordinaires sont montés à bord du navire Haltersund. Quand Starheim est monté à bord, il s'est dirigé vers le pont et ordonné au capitaine de mettre le cap sur l'Écosse en le menaçant avec un pistolet. Bien que ce navire ne soit pas adapté à la navigation en pleine mer, l'équipage a patriotiquement accepté de se joindre aux "pirates". Une semaine plus tard, le navire a accosté à Aberdeen, en Écosse. Aynar a été ramené.

L'ingénieur, le colonel Wilson de la Direction des opérations spéciales et le chef de l'organisation Norvège libre Leif Tronstad ont immédiatement commencé à planifier une opération très complexe pour faire exploser l'usine d'eau lourde de Rjukan. En 11 jours, Aynar a suivi un entraînement spécial, y compris pour le saut en parachute. Il s'agissait de la formation la plus courte et la plus intense d'un agent de toute l'histoire de la Direction. Et pour cause: le 29 mars déjà, l'ingénieur est descendu en parachute sur le glacier dans les montagnes près de Rjukan. Il a été absent à son travail pendant moins de trois semaines et a pu expliquer son absence par une maladie. Les Allemands n'ont eu aucun soupçon.

Rapidement après le retour de Skinnorland, Londres a commencé la planification de la seconde étape de l'opération commando. Le 18 octobre 1942, quatre immigrés norvégiens formés dans les écoles britanniques de la Direction des opérations spéciales ont débarqué avec succès près de Vemork. Il ne leur restait plus qu'à se rendre à Rjukan. Le groupe a mis presque un mois pour y arriver! C'est seulement le 6 novembre qu'ils ont réussi à organiser une base provisoire dans une maison de ski abandonnée, près de leur objectif. Le chemin difficile, par les montagnes et les glaciers, a forcé l'équipe à abandonner une grande partie de sa nourriture pour pouvoir transporter les explosifs. Le 9 novembre, Londres a reçu le signal: "Trois éléphants roses". Cela signifiait que les commandos étaient à proximité du village de Rjukan.

L'opération Freshman devait leur envoyer des renforts. Mais le plan a échoué et les quatre SAS se sont installés au milieu d'un glacier pratiquement sans équipement et sans nourriture. Skinnorland les approvisionnait avec certains produits, ils chassaient le peu d'animaux qui vivait dans les montagnes arides et attendaient.

Pendant ce temps, l'ingénieur en chef de Norsk Hydro Electric, le professeur Jomar Brun, avait fui en Suède, puis en Grande-Bretagne. Il a fourni aux experts britanniques les photos des ateliers, de la centrale et des dépôts de l'usine, qui ont permis de construire une copie de Norsk Hydro en Grande-Bretagne. Le nouveau groupe censé intervenir dans la bataille décisive pour l'eau lourde s'entraînait sur cette maquette.

La préparation s'est achevée le 16 février 1943 et un groupe de six hommes a débarqué à 45 km de la maison de ski où quatre commandos les attendaient. Il n'y avait pas de temps à perdre. Aynar rapportait des informations inquiétantes sur l'envoi d'eau lourde en Allemagne. Il a donc fallu mener l'opération malgré l'activité accrue de la sécurité allemande et l'arrivée d'unités SS dans la zone.

Dans la soirée du 26 février, les commandos sont partis en direction de l'usine.

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Vers minuit, le groupe a pris position à 500 mètres de la clôture de l'usine. Le 27 février, à 3 heures du matin, après le changement de garde, les SAS se sont avancés en direction des objectifs désignés. Le barrage et l'usine étaient protégés d'un côté par une falaise verticale, de l'autre se trouvait un profond ravin avec une rivière.

Il y avait trois solutions pour se rendre au sous-sol, sous l'atelier d'électrolyse où se trouvait le cœur de l'usine — le dispositif de production d'oxyde de deutérium purifié: par l'atelier, par l'issue de secours au sous-sol ou par le tunnel de câbles. Il s'est avéré que les Allemands avaient renforcé la sécurité: devant chaque porte se trouvaient deux gardes qu'il était impossible de les éliminer en silence. Il a donc été convenu de ramper dans l'étroit tunnel de câbles en traînant des dizaines de kilogrammes d'explosifs. Ce parcours a été franchi avec succès: en démontant la grille, le groupe s'est discrètement rendu au sous-sol. Un seul garde s'y trouvait en train de dormir. Une fois réveillé avec le canon d'un fusil, les SAS ont découvert qu'il était norvégien et… n'avait rien contre le sabotage antifasciste.

Quand tous les explosifs ont été installés et les mécanismes de retardement ont été lancé, tout le monde s'est rué vers le tunnel. Il restait vingt minutes jusqu'à l'explosion, qui se sont écoulées en un instant. Les commandos ont eu le temps de s'éloigner suffisamment de l'usine. À la dernière minute ils se sont levés pour compter les secondes: 57, 58, 59… 60!

Mais aucune explosion n'a retenti. Ils ont entendu un bruit sourd, puis n'ont vu ni flammes ni fumée. Puis le silence s'est installé à nouveau dans les montagnes. Ignorant si l'opération avait réussi, quatre résistants norvégiens sont restés aux abords de l'usine pour en savoir davantage.

Le 28 février, Londres a reçu de Norvège le radiogramme tant attendu: "L'opération a réussi!". Le dispositif de haute concentration et l'équipement électrique ont été entièrement détruits. Même six mois après le sabotage, les Allemands n'avaient pas réussi à réparer l'usine pour l'exploiter à pleine puissance, mais quelque chose a tout de même été réparé…

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Immédiatement après cela, 143 bombardiers américains B-17 ont lancé 711 bombes sur l'usine. Mais 600 d'entre elles n'ont pas atteint leur objectif. Les autres ont fait mouche et détruit la centrale et une partie des communications, bien que l'usine n'ait pas été détruite en elle-même. Il était possible d'organiser une nouvelle opération commando, mais la sécurité renforcée par les Allemands ne laissait pratiquement aucune chance. Toutefois, la chaîne de production n'a pu apporter aux Allemands que quelques litres d'eau lourde. Il a été décidé d'envoyer les réserves accumulées en Allemagne. Mais la Résistance a eu connaissance de cette opération. Le 20 février 1944, trois agents britanniques ont pénétré à bord du cargo transportant des tonneaux de 15 000 tonnes de litres d'eau lourde. Les mines qu'ils avaient posées ont explosé au milieu du lac Tinn (Tinnsjå en norvégien), enterrant les rêves nucléaires d'Hitler à 400 mètres sous l'eau.

C'est ainsi que s'est terminée la confrontation (peu connue aujourd'hui) entre la Résistance norvégienne et Hitler, qui n'a rien à envier, de par sa signification, à la défense de Sébastopol ou à la bataille de Koursk. 

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