"Les gamins de quinze ans de la Hitlerjugend se vantaient de qui avait tué plus d'innocents. L'un a même sorti de sa poche une liasse d'oreilles coupées pour les montrer à son copain — tous les deux ont ri. Un fermier a trouvé un Russe qui se cachait dans une étable avec des moutons, et l'a poignardé avec un couteau — l'homme s'est débattu dans des convulsions, et la femme du tueur a égratigné le visage du mourant. 40 cadavres éventrés ont été entassés dans la rue du village Ried in der Riedmark, leurs organes sexuels exposés à la vue de tous: les jeunes filles passaient devant les cadavres et riaient". En lisant les archives du camp de concentration de Mauthausen, moi, qui avait été en Afghanistan, en Irak et en Syrie, je devais faire des pauses pour me calmer — le sang se glaçait dans mes veines en apprenant ce que les paysans autrichiens respectables avaient fait avec des prisonniers de guerre soviétiques évadés — juste trois mois (!) avant la Victoire. Une seule femme en Autriche, Maria Langthaler, mère de nombreux enfants, a caché, en risquant sa propre vie, des prisonniers de Mauthausen pendant que ses quatre fils combattaient sur le front de l'Est…
Dans la nuit du 2 au 3 février 1945, une évasion collective a eu lieu à Mauthausen, unique dans l'histoire du camp. Un groupe de prisonniers du bloc №20 a attaqué les tours de garde et les mitrailleurs avec des pierres et des manches de pelle, tandis que le second groupe court-circuitait les barbelés électriques avec des couvertures et des vestes mouillées. 419 officiers soviétiques prisonniers ont réussi à sortir du camp. Le commandant du camp, le SS-Standartenführer Franz Ziereis, a appelé les habitants des villages avoisinants à participer à la recherche des fugitifs: "Vous êtes des chasseurs passionnés et là, c'est beaucoup plus amusant que chasser des lapins!" Les vieillards et les adolescents se sont joints à la SS et à la police pour attraper dans les bois et exécuter sauvagement ceux qui tenaient à peine debout, épuisés par la faim et le froid. En une semaine, presque tous les fugitifs sont morts. Seuls 11 d'entre eux ont survécu à la chasse dont deux — les officiers Mikhaïl Rybtchinski et Nikolaï Tsemkalo — ont été cachés par la paysanne Maria Langthaler.
"Les Russes ont frappé à notre porte en plein jour, raconte la fille de Maria, Anna Hackl, qui avait 14 ans à l'époque (elle en a 84 aujourd'hui). Ils nous ont demandé de leur donner quelque chose à manger. Après, j'ai demandé: pourquoi les prisonniers ont-ils osé entrer dans notre maison, tandis que tous les gens sont devenus complètement fous? Ils ont répondu: "Nous avons regardé par la fenêtre, vous n'avez pas de portrait d'Hitler sur les murs". Ma mère a dit à mon père: "Aidons ces gens". Mon père a eu peur: "De quoi tu parles, Maria! Les voisins et les amis vont nous dénoncer!" Et ma mère a répondu: "Peut-être Dieu épargnera alors nos fils".
"Je ne sais pas d'où ma mère avait tant de sang-froid, raconte Anna Hackl. Une fois, ma tante est venue nous voir et s'est étonnée: "Pourquoi gardez-vous le pain? Vous n'avez rien à manger vous-mêmes!" Ma mère lui a dit qu'elle séchait du pain pour manger en route: "On bombarde — au cas où il faudrait déménager…" Une autre fois, le voisin a regardé le plafond et a dit: "Il y a quelque chose qui grince là-haut, comme si quelqu'un marchait…" Ma mère a ri et a répondu: "Mais qu'est-ce que tu racontes! Ce sont des pigeons!" Tôt le matin du 5 mai 1945, les troupes américaines sont venues à notre ferme et les détachements du Volkssturm ont fui. Ma mère a mis une robe blanche, est montée au grenier et a dit aux Russes: "Mes enfants, vous rentrez à la maison". Et elle s'est mise à pleurer.
Fous de sang
Malheureusement, Maria Langthaler est morte peu de temps après la guerre, mais les personnes qu'elle avait sauvées ont vécu une longue vie. Nikolaï Tsemkalo est mort en 2003 et Mikhaïl Rybtchinski lui a survécu de 5 ans, ayant élevé des petits-enfants. La fille de Maria, Anna Hackl, âgée de 84 ans, continue à donner des conférences sur les événements du "sanglant février". Hélas, Maria Langthaler n'a reçu aucune récompense pour son exploit de la part du gouvernement soviétique, bien qu'en Israël, les Allemands qui avaient caché les Juifs pendant la guerre soient décorés et se voient attribuer le titre de "Juste". Chez nous aussi, ce terrible massacre est peu connu: on ne dépose guère de fleurs au monument à Ried in der Riedmark: toutes les cérémonies commémoratives ont lieu à Mauthausen. Mais vous savez ce qui est le plus important? Les quatre fils de Maria Langthaler sont par la suite rentrés vivants du front de l'Est — comme en signe de reconnaissance pour les bonnes œuvres de cette femme. Voilà le vrai miracle, même parmi les plus ordinaires.