Science africaine : "dire que les pays prédateurs ont laissé l’Afrique évoluer serait se tromper"

En cette Semaine internationale dédiée à la science et à la paix, le doyen de l'université de Kinshasa au Congo a confié au micro de Sputnik Afrique que les Africains doivent toujours se battre pour la liberté totale de leur continent, y compris pour leur souveraineté scientifique et technologique.
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Le développement de la science africaine, l’une des plus anciennes au monde avec l’héritage des Egyptiens ou les manuscrits de Tombouctou, a longtemps été freiné par l’oppression de l’Afrique par les colonisateurs. Cette époque est loin d’être terminée, le continent doit poursuivre son combat pour regagner sa souveraineté dans tous les domaines, a déclaré à Sputnik Afrique Jean-Marie Beya Kamba, doyen de la faculté polytechnique de l'Université de Kinshasa.
"Dire que les pays prédateurs ont laissé l'Afrique évoluer, que ce soit dans le domaine économique ou dans le domaine scientifique, ce serait se tromper sur la réalité", a-t-il indiqué à l’occasion de la Semaine internationale de la science et de la paix qui se tient du 9 au 15 novembre.
À son avis, pour résoudre leurs problèmes, les pays africains doivent avant tout maîtriser la technologie dans tous les secteurs économiques, comme par exemple l’industrie minière, le secteur énergétique, le traitement des déchets etc...
"Ici au Congo, il y a beaucoup de mines. Nous avons toutes les matières premières du monde. Ça doit d'abord être quelque chose que les nationaux maîtrisent. Il y a aussi le changement climatique, qui est une véritable crise dont les effets sont bien visibles en RDC, à cheval sur l'équateur. Il faut la maîtrise de l'énergie, tout ce qui peut nuire à l'environnement, le traitement des déchets, l'économie circulaire, tous ces domaines, nous devons les maîtriser, parce que sinon le monde va disparaître […]. Tous les domaines de la science qui concourent au bien-être de nos populations doivent être maîtrisés davantage par nos concitoyens, ça c'est clair !".

Science, paix et développement vont de pair

M.Kamba pense que la science, qui sert à améliorer in fine la qualité de la vie des populations, ne peut se développer que dans la paix.
"L'éducation est forcément la paix, et la paix c'est le premier critère pour que les gens puissent bien vivre", a-t-il souligné.
Dans ce contexte, les pays africains devraient avoir "beaucoup d'écoles et d'universités de qualité, qui puissent contribuer dans tous les domaines scientifiques, à l'amélioration les conditions de vie".

Découvertes africaines

La plupart des récentes découvertes des chercheurs du continent ont été faites sur les maladies, a précisé M.Kamba. Comme exemple, il a cité Jean-Jacques Muyembe, doyen honoraire de la Faculté de médecine de Kinshasa et directeur général de l'Institut national de Recherche biomédicale (INRB) de Kinshasa. Ce virologue congolais a découvert des stratégies pour pouvoir lutter contre le virus Ebola.
"C'est une référence en Afrique [...]. C'est quelque chose qui a été reconnu mondialement avec le professeur [Jean-jacques] Muyembe", a-t-il ajouté.

Comment éviter la fuite des cerveaux?

Pour Jean-Marie Beya Kamba, le principal obstacle au progrès de la science en Afrique, c'est le manque de financement entraînant la fuite des cerveaux.
"Si la recherche n'est pas financée, il y a beaucoup de talents qui disparaissent, qui s'étouffent […]. C'est vrai que dans certains pays africains, il y a des efforts qui sont faits pour pouvoir financer la recherche, mais de manière globale, c'est un peu comme ça", a-t-il précisé.
Il a déploré le fait que de nombreux jeunes chercheurs africains "qui veulent bien rester dans la recherche et l'enseignement" sont obligés d'aller travailler ailleurs "à défaut des moyens financiers qui devraient soutenir des recherches dans tel ou tel autre domaine".
Au moins 40% des professeurs de la faculté polytechnique de l’Université de Kinshasa vivent à l'étranger, "la plupart sont dans des pays occidentaux". Cela s’explique par l’absence de conditions nécessaires pour leur travail sur le sol africain.
"Ces scientifiques n'ont pas la facilité ici, quand ils viennent, de rester ici. Encore une fois, les pays africains doivent faire un gros effort pour financer la recherche et l'enseignement de qualité. C'est une grosse perte que nous avons des jeunes talents, de jeunes étudiants qui finissent leurs études ici et que faute de financement suffisant ils sont obligés d'aller travailler ailleurs. Presque 60-70% de ces jeunes talents restent à l'étranger, dans des pays occidentaux", a noté M.Kamba.

Le monde multipolaire peut changer la donne

M.Kamba trouve que dans un monde multipolaire, l'approche serait différente parce que les gens auront peut-être d'autres options.
"Lorsqu'il y a plus d'offres, les gens vont commencer à regarder les choses différemment et peut-être que le développement économique aidant, les moyens mis à la distribution de l'enseignement aidant, les choses peuvent être regardées différemment".
Par exemple, un pays comme la Russie offre beaucoup de bourses aux pays africains et il y a des échanges en cours entre Kinshasa et Moscou. En 2022, "un accord de partenariat a été signé avec notre cellule de coopération universitaire et certaines institutions universitaires russes au travers de l'ambassade russe en RDC", précise M.Kamba.

"La Russie forme environ 500.000 ingénieurs par an […]. Il est important pour nous, qui avons à peine une centaine d'ingénieurs que l'on forme par an, d'entamer avec la Russie toutes les coopérations pour augmenter ce nombre" a-t-il estimé.

Et d’expliquer que plus le pays forme d’ingénieurs par an, plus il est développé et puissant, puisque ce chiffre "est un élément important de l'augmentation du PIB".

Intelligence artificielle, un bien ou un mal?

Prié de commenter le développement de l’intelligence artificielle, le chercheur congolais a surtout appelé à "utiliser l’IA à bon escient". M.Kamba trouve que l'intelligence artificielle va aider à simplifier beaucoup de choses dans la recherche et sur le plan économique. Selon lui, il y a beaucoup de prédictions qui peuvent se faire au travers de l'intelligence artificielle dans des estimations commerciales ou des projections sur le climat.
"L'IA est un bon accompagnement par rapport à ce que l'homme est capable de faire, parce que après tout l'IA, c'est l'homme qui crée cette technologie, qui crée les programmes informatiques, qui sont derrière [...]. L'avènement de l'IA est un plus", parce que toutes les nouvelles technologies et l'innovation, la science en général, cela sert à élever la qualité de vie des gens [...]. Il faut l'utiliser à bon escient comme dans tous les domaines de la science. Si c'est bien utilisé, cela va améliorer la qualité de vie des personnes, mais si c'est mal utilisé, cela va abrutir les gens, si ce n’est pas les détruire".
Le professeur en science dit ne pas avoir peur que l'IA puisse faire augmenter le chômage. Il rappelle qu’à un moment, "il a été dit qu'avec l'avènement des ordinateurs ou des tablettes, le papier disparaîtrait, les livres disparaîtraient. Pourtant les livres n'ont pas disparu, les papiers n'ont pas disparu".
"C'est vrai que les gens peuvent avoir peur que notre travail puisse être effectué par des machines ou des robots, mais ce ne sera jamais au point de créer du chômage, ce n'est pas possible", a-t-il conclu.
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