Les rapports conflictuels entre la France et le Maroc depuis des années, surtout après l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron ont provoqué "un véritable ras-le-bol au niveau des populations marocaines. Et cette volonté d'imposer aussi aux Français un visa est parfaitement compréhensible", a déclaré à Sputnik Afrique Abdelhak Najib, écrivain, politologue, essayiste et conférencier, spécialiste de l'Afrique et des relations internationales.
"Avec cet acharnement des médias français contre le Maroc et ce message inapproprié filmé par le Président de la République française, Emmanuel Macron, qui s'est permis de s'adresser aux Marocains comme dans un irrespect total de leur douleur et du deuil que vivaient et vivent toujours tous les Marocains", a-t-il indiqué.
Selon le politologue, il y a eu une campagne de dénigrement et d'insultes de la part de certains journaux alors que les Marocains étaient en train d'enterrer leurs morts après le séisme. Ce tremblement de terre, le plus puissant à avoir jamais été mesuré au Maroc, s’est produit dans la nuit du 8 au 9 septembre. Il a fait au moins 2.122 morts et 2.421 blessés, selon le dernier bilan du ministère de l'Intérieur.
Difficulté pour obtenir des visas
Tout en s’interrogeant sur les catégories humaines, le spécialiste de l’Afrique et des relations internationales pointe du doigt le fait que les Français peuvent entrer facilement au Maroc, tandis que les Marocains peinent à se rendre en France.
"La France a refusé plus de 80% des demandes de visa des Marocains ces dernières années. Il se trouve que les Marocains ont dépensé plus de 10 millions de dollars en dossiers et en frais de dossier pour déposer leurs visas. Non seulement ils reçoivent en réponse une fin de non-recevoir, mais ils doivent payer pour le refus", a-t-il souligné.
Pas convaincu que le Maroc souhaite vraiment imposer un visa aux Français, M.Najib pense que l'attitude du gouvernement marocain est celle d’une main tendue, de conciliation, de respect et d'estime mutuels.
"Je suis loin de penser que le gouvernement marocain veuille vraiment en arriver là avec les Français. S’il décide d'imposer un visa aux Français, il le fera et il jugera selon les intérêts du gouvernement marocain et du pays […]. Si cette histoire de visa devait aboutir et devenir une réalité. Mais il y a beaucoup de Français qui vont en pâtir aussi et ils vont ressentir ce que d'autres, Marocains, Maghrébins, Africains, Arabes ont ressenti vis-à-vis de cette question-là", a-t-il prédit.
Politique anti-arabe, anti-musulmane et anti-africaine?
M.Najib estime qu’il y a des choses aberrantes, absurdes qui se passent à ce niveau-là et pense que ce quota d'imposer une restriction de 70-80% aux pays tels que le Maroc, l'Algérie, mais aussi la Tunisie, le Liban, certains pays africains et même le Qatar, fait croire que la France suit une politique qui est clairement anti-arabe, anti-musulmane et anti-pays africains.
"Cet aveuglement-là n'est pas bon pour la France qui est en perte de vitesse dans tous les domaines. La France a perdu le Maroc. La France n'a pas pu récupérer l'Algérie. La France n'a pas pu récupérer la Tunisie. La France s'est fait huer et éjecter de toute l'Afrique, de ses anciennes colonies, son pré carré français, ce qu'on appelait avant la Françafrique".
Cette politique d'Emmanuel Macron aujourd'hui a achevé de rompre les derniers liens véritablement minces qui lient encore la France au Maghreb et au reste de l'Afrique, analyse-t-il.
Un signe de réciprocité
Prenant l’exemple de la Turquie, qui a imposé un visa aux États-Unis, le spécialiste en relations internationales explique que c'est aussi une manière de montrer à l'autre "qu'il faut que ça soit des deux côtés".
"Soit on a le visa des deux côtés, soit il n'y a pas de visa. Parce que pourquoi la France est meilleure que le Maroc, la terre française est meilleure que la terre marocaine? Je ne comprends pas ça cette histoire-là".
De plus, ce serait une réponse claire à l'égard de la France, à l'égard du gouvernement français, de lui signifier que le Maroc ne veut plus de cette dynamique de rapports fondée sur des attaques injustifiées.
Les touristes français toujours les bienvenus
M.Najib trouve que les Marocains, tout en étant blessés par le comportement du gouvernement et de certains médias français, n’ont pas de problème avec les ressortissants français, "il faut nuancer".
Il y a des Français "qui vivent au Maroc en bonne entente avec les Marocains depuis de longues années. Il y a des expatriés français qui travaillent au Maroc et qui jouissent d'une vie et d'une qualité de vie exceptionnelle à leurs yeux", rappelle-t-il. "Il y a des liens de famille, il y a des liens d'amitié, il y a des liens de respect et d'estime", poursuit l’écrivain.
"Non, aller jusqu'à dire qu'on peut se passer des touristes français, non. Maintenant, économiquement, oui, mais humainement non. […]. On dit au contraire: ‘Welcome, bienvenue’ à tous les touristes français ou d'ailleurs et qui peuvent venir au Maroc parce que c'est un pays qui les attire, parce que c'est un pays où ils se sentent bien, parce que c'est un pays stable, un pays sécurisé", précise-t-il.
Et de rappeler que le tourisme au Maroc est florissant: l'objectif, qui était de dépasser les 10 millions de visiteurs de touristes par an, a été largement dépassé.
Un pays souverain
Commentant le refus du Maroc d’accepter l’aide française suite au récent séisme, M.Najib estime qu’en tant pays souverain, le Maroc a le droit de dire non à un pays avec lequel il n’a pas de relations cordiales.
"La France n'est ni un pays ami et les relations entre le Maroc et la France ne sont pas cordiales du tout […]. Par contre, le Maroc a accepté l'aide de pays amis qui ont des liens solides avec le Maroc et dont les relations sont véritablement amicales et cordiales. Le Maroc a accepté ce qu'il voulait accepter."
Le Maroc a montré qu'il pouvait gérer et il l'a géré de manière exemplaire avec son expertise, son savoir-faire, ses moyens techniques, logistiques et humains, s’est-il félicité.
Le hashtag "imposer un visa aux Français"
Des internautes marocains plaident pour l’instauration d’un visa pour les touristes français depuis l’expulsion des deux journalistes français qui n’étaient pas accrédités, et qui ont été épinglés pour une couverture controversée du tremblement de terre du 9 septembre. Ces deux personnes ont ensuite fait part de leur indignation sur les réseaux sociaux, accusant les autorités marocaines de mener des actions jugées "répressives". Le gouvernement marocain a plus tard expliqué que ces deux ressortissants français étaient au Maroc en tant que touristes, sans demander aucune autorisation et sans déclarer qu’ils agissaient en tant que journalistes.
La mauvaise couverture par certains médias français du séisme et de ses conséquences a aussi provoqué un très fort mécontentement au Maroc. Certains commentateurs la qualifient de "partiale et orientée", selon le site Bladi.net.
Le hashtag "imposer un visa aux Français" s’est rapidement répandu sur X (anciennement Twitter) et Facebook*, ressuscitant la vieille discussion sur la nécessité de la réciprocité du régime de visas en vigueur entre les deux pays.
* Meta (Facebook et Instagram) est interdite en Russie pour activités extrémistes