Ce 4 avril, des élus corses se sont retrouvés à Cozzano, un village rural de Corse-du-Sud, où vivent quelque 300 habitants. Emmanuel Macron s'y rend dans le cadre du Grand Débat pour échanger avec les maires, comme il l'a déjà fait dans d'autres régions. Seuls 150 des 360 maires de l'île ont répondu favorablement à cette invitation. Et les opérations de blocage, à l'appel de la coalition nationaliste corse appelant à une autonomie renforcée de la Corse, Pè a Corsica («Pour la Corse») se multiplient sur l'île. De nombreux Corses ont répondu «présents» à l'appel à l'opération Isula morta.
Fait inédit depuis 2016, plusieurs plasticages de villas ont eu lieu ces derniers jours. Les autorités ont aussi retrouvé deux charges explosives, qui n'ont pas détonné, devant des bâtiments des finances publiques à Bastia. Malgré l'absence de revendication ou d'inscription sur place, les autorités estiment qu'il s'agit de « messages politiques » et les affaires ont été confiées à la section antiterroriste du parquet de Paris.
«Nous avons essayé de faire entendre raison à Emmanuel Macron, participé à des dizaines de réunions, mais tous les ministres que nous avons rencontrés avaient pour feuille de route d'"ignorer notre projet". Maintenant, Emmanuel Macron arrive en Corse et nous invite à participer à une opération de communication», tempête le président de l'Assemblée de Corse Jean-Guy Talamoni.
Pour le président de l'Assemblée, la rencontre à Cozzano «n'est pas une réunion qui permettrait d'engager un dialogue fructueux avec Paris.» Pourtant, la proposition de venir à l'Assemblée de Corse n'a rien d'exceptionnel: François Hollande, ainsi qu'un bon nombre de ministres l'ont fait. «C'est dommage, cela aurait pu être le début d'un dialogue,» regrette Jean-Guy Talamoni.
«[À la rencontre à Cozzano, ndlr] il n'y aura pas l'ensemble d'élus représentatifs de la Corse, certifie à Sputnik Jean-Guy Talamoni. À mon avis, ce ne sont pas les soutiens de notre majorité territoriale, plutôt ceux de l'opposition.»
«Je suis invité. J'ai l'habitude de me rendre là où on m'invite, explique à Sputnik Jean-Martin Mondoloni, y compris pour dire que je ne suis pas d'accord. Je ne suis pas macroniste de la première heure, je n'ai pas contribué à son élection, je serai à l'aise […] à Cozzano sans pour autant donner l'impression que je fais allégeance.»
Pour Jean-Martin Mondoloni, le fait d'aller à ce rendez-vous fixé par Macron, «n'interdit pas de dialoguer après». Et il dénonce la façon de la majorité de «jouer au chat et la souris pour ne pas se parler et se dire des choses, y compris désagréables.»
«Cette posture n'apporte rien de bon à la Corse, affirme à Sputnik le président du groupe d'opposition Per l'Avvene. Voilà trois ans que les nationalistes essayent d'engager un rapport de force qui n'a strictement rien produit de positif en Corse. Si ça avait des vertus, ça se verrait.»
«Le titre de l'interview d'Emmanuel Macron à "Corse-Matin" est très intéressant, puisqu'il parle d'"un dialogue pour l'histoire", analyse Jean-Guy Talamoni. C'est exactement ce que nous attendons: établir un dialogue qui permet de s'inscrire dans l'histoire en réglant la question corse — 40 années de conflits. Mais le contenu d'interview ne correspond absolument pas au titre. On n'y voit aucune avancée au bénéfice de la Corse, aucune prise en compte du projet qui a été validé par les Corses à 56% des suffrages.»
Antoine Versini, maire du village montagnard de Cristinacce, à 150 km d'Ajaccio, fait partie des élus qui ont accepté l'invitation d'Emmanuel Macron, même s'il avoue que «Macron, ce n'est pas sa tasse de thé, loin de là». Pour lui aussi, l'interview dans «Corse-Matin» est «un coup de comm»»:
«Pour moi, le ton [de l'interview, ndlr] est adouci. Sur le fond, cela ne bouge pas, il n'y a pas de signe fort, dit à Sputnik Antoine Versini. Sur la forme, il y a une petite évolution, mais Macron reste sur son texte fondateur du 7 février.»
«Nous devrions être honorés que ça se passe à Cozzano, qui donne un exemple de la vitalité rurale, qu'il faut mettre en avant comme un résultat des efforts conjoints de l'État et des collectivités,» appuie Jean-Martin Mondoloni.
Pour le maire Antoine Versini, on devrait poursuivre le travail entamé par Jacqueline Gourauld, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, qui est venue dans sa commune Cristinacce, où «on a débattu de choses concrètes.» Des pas supplémentaires sont nécessaires, voilà les revendications qu'il a partagées avec Sputnik:
«Je me demande quand le Président de la République décidera de faire un "plan Marshall" pour le rural profond et la montagne au niveau fiscal, mettre le paquet sur certaines matières premières — le bois, la viande, le lait.»
Un autre dossier que le maire compte évoquer avec le Président de la République, c'est la réforme fiscale. Et ses propositions sont bien concrètes.
«À 80%, la Corse est au même niveau de fiscalité, tous sont logés à la même enseigne. Ici, on a proposé d'introduire la notion de "zone franche de montagne" et de lister les villages concernés, dit à Sputnik Antoine Versini. Il faut une volonté politique forte. Si c'est pour le saupoudrage de tout le monde, ce n'est pas la peine. Il faut renforcer les entreprises qui existent, puis inciter les gens à venir s'installer et travailler dans ces zones.»
Cette proposition pourrait faire partie de ce que Jean-Martin Mondoloni, le président du groupe Per l'Avvene, appellerait «un dialogue fertile, qui consiste à dire les choses qui ne vont pas.» Cela lui permet, entre les lignes, de dénoncer la position de la majorité nationaliste: «Pour cela, il ne faut pas tourner le dos à celui à qui on parle»:
«Nous aurions besoin demain de l'État pour apporter les solutions beaucoup plus ambitieuses qui seraient de nature à répondre à la précarité, le fléau qui touche toutes les régions, particulièrement la nôtre, plaide Jean-Martin Mondoloni dans un entretien avec Sputnik. Les régions pauvres ont besoin de se positionner en quémandeurs de la solidarité nationale et des efforts que l'État induit en Corse.»
«On lit dans l'interview [de Macron pour "Corse-Matin", ndlr] que "tout va bien", que "l'État fait beaucoup pour la Corse" et "Madame Gourault a fait un travail considérable", précise à Sputnik le président de l'Assemblée corse. Ce n'est pas l'avis des Corses.»
Avant la venue du Président, un post Facebook largement relayé prétendait qu'Emmanuel Macron allait interdire le drapeau corse lors de son prochain déplacement sur l'île. L'Élysée a confirmé à Franceinfo que le drapeau corse ne serait pas présent à la tribune, mais les habitants pourront tout à fait «se promener dans la rue» avec la tête-de-Maure, symbole de l'île. Une habitude pour laquelle les Corses n'ont pas besoin d'une autorisation spécifique.
«À Cristinacce, il y a toujours un drapeau corse à la mairie, assure Antoine Versini. Quand la ministre est venue, on avait — dans l'ordre protocolaire — les drapeaux français, européen et corse. Et dans le cortège, il aura des drapeaux corses, c'est certain.»
«Le drapeau corse, je le porte dans mon cœur, dit Jean-Martin Mondoloni. Je n'ai pas besoin de l'accrocher à une fenêtre ni être péremptoire à ce sujet. La Corse est quelque chose d'intime, qui doit se construire respectueusement, d'une façon conciliée et conciliante avec l'État.»
«Les gens qui acclameront Macron sur les routes ne seront pas nombreux, sincèrement, a confié à Sputnik Jean-Guy Talamoni la veille de la visite présidentielle en Corse. Si vous voyez quelques personnes sur les routes, je vous garantis que ce sont les figurants». Effectivement, le matin même plusieurs actions étaient organisées sur l'île: une manifestation de la CGT devant la préfecture de Haute-Corse à Bastia, plusieurs établissements scolaires de la région bloqués, une manifestation devant la gare de Bastia, des Gilets jaunes présents à l'embranchement du village de Cozzano. Les syndicats ont également organisé une manifestation devant la préfecture d'Ajaccio en présence de Jean-Guy Talamoni… qui refuse définitivement de «de jouer le rôle des figurants dans une opération de communication de la République» «Ce n'est pas notre fonction,» clame le président de l'Assemblée de Corse, ce qui lui a valu une pique de Joselyne Mattei Fazi, maire de Renno, en Corse-du-Sud, lors de la rencontre avec Macron: «Il est temps de renouer le dialogue avec ceux qui ne sont pas là aujourd'hui. Mais je pense que les absents ont toujours tort.»