Si le passage à 2019 est l'occasion de faire le bilan de l'année écoulée, l'exercice est doublement pertinent en Corse: la coalition nationaliste a remporté les élections territoriales le 10 décembre 2017.
Un an d'exercice du pouvoir régional, est-ce beaucoup ou peu? En un an, quels résultats pour les élus du parti politique autonomiste Femu a Corsica (en français: «Faisons la Corse») et du mouvement nationaliste Corsica Libera qui ont créé une coalition Pé a Corsica pour, enfin, rafler la majorité de sièges au sein de l'Assemblée de Corse?
Un an, ce n'est peut-être pas beaucoup pour tirer des conclusions, mais déjà, «le décompte n'est pas bon» pour Valérie Bozzi, tête de file de l'opposition Les Républicains:
«Pour les nationalistes, on est à mi-mandat, parce qu'il faut compter à partir du 2015, déclare à Sputnik France Valérie Bozzi. Et aujourd'hui, le bilan de mi-mandat n'est pas bon.»
Bien sûr, malgré l'absence de «réussite visible», l'élue compte «les laisser terminer leur mandat». Néanmoins, Madame le maire parle au nom du «sentiment général de la population, que l'on ressent encore plus qu'il y a un an.» Pour elle, les espoirs mis dans la collectivité unique étaient «mal constitués et dans la précipitation». Et même si «au niveau de l'organigramme des services, rien ne fonctionne encore bien», c'est surtout l'absence de nouveaux projets qui l'inquiètent.
«Une année blanche pour les investissements de la collectivité et pour les communes représente un manque économique important pour l'ensemble de l'île,» se désole la maire de Grosseto-Prugna-Porticcio.
«Je trouve qu'on voit toujours petit, il n'y a pas de nouveau projet structurant. On gère l'existant», conclut Valérie Bozzi.
La réforme constitutionnelle est le projet le plus important aux yeux des nationalistes corses. Gilles Simeoni, président autonomiste du conseil exécutif de Corse, abordant le projet d'article dédié à la Corse, a estimé en mai 2018 que le fait «qu'on nous ferme systématiquement toutes les portes y compris politique et symbolique» créait «une situation de tensions». Depuis, l'abandon des négociations avec Paris par Jean-Guy Talamoni, le président de l'Assemblée de Corse, a laissé le projet en suspens.
«Sur la réforme constitutionnelle, c'est un échec pour les nationalistes, mais c'est un échec pour tout le monde aussi, analyse pour Sputnik Valérie Bozzi. Ils ont placé la barre tellement haut qu'ils n'ont rien pu obtenir.»
Pour elle, «si vous braquez le gouvernement et le Président [on se rappelle d'une manifestation avant sa visite destinée à faire pression sur lui, ndlr]), vous entrez dans un bras de fer que l'on ne peut pas gagner». Valérie Bozzi croit que lors de ces discussions, on a manqué la chance d'inscrire un statut particulier pour la Corse dans la Constitution. «Désormais, ça se complique. Malgré qu'on les a soutenus», estime l'élue.
«On pourrait penser que les discussions avec Paris allaient se faire normalement des deux côtés, que Paris allait prendre en compte cette victoire démocratique et examiner d'une manière sérieuse nos demandes», déclare à Sputnik France Jean-Guy Talamoni.
Pour le président de l'Assemblée de Corse, il aurait été logique de la part de Paris, «qui donne des leçons de démocratie au reste du monde», de prendre en compte le résultat d'une «élection qui est organisée selon des règles fixées par le Parlement français.»
«Les règles étaient fixées par l'adversaire de la discussion. Il faut parler "d'adversaire", compte tenu de la manière dont les choses se passent,» avance le président de l'Assemblée de Corse.
«Au bout de plusieurs mois et après de nombreuses réunions, j'ai commencé à ne plus recevoir certains ministres qui venaient en Corse. Pourquoi? demande le président de l'Assemblée de Corse. Parce que j'estimais que ces rencontres relevaient de la mise en scène et pouvaient tromper par leur médiatisation l'opinion corse.»
M. Talamoni considère qu'«être photographié avec un ministre revient à donner un message aux Corses que "les affaires avancent". Alors qu'il n'y a pas eu de vraies discussions, ni de volonté d'avancer.» Mais pour autant,
«Les nationalistes n'ont pas claqué la porte, clame Jean-Guy Talamoni, dès qu'il y aura une réunion avec un ordre de jour précis sur les questions essentielles, j'y participerai.»
«Un véhicule en Corse rurale n'est pas un "supplément", mais une "obligation", précise l'élu à Sputnik France. Ce n'est pas un objet de luxe, mais une mode de déplacement qui fait partie de la vie des gens.»
Pour M. Mondoloni, derrière les manifestations des Gilets jaunes, «il y a une mise au jour d'une attente qui était mise sous cloche et qui explose aujourd'hui». En Corse, dans la région officiellement la plus pauvre de France, avec 20% de la population qui vit sous le seuil de pauvreté, on ne s'attendait quand même pas de voir «tant de gens en activité vivant dans une vraie souffrance, inquiétude et angoisse matérielle.»
«Ce qui gêne les gens, c'est non pas le niveau de la fiscalité étouffante, précise Jean-Martin Mondoloni, mais l'impression que leurs impôts ne servent pas à l'intérêt général.»
Et c'est là que la question de l'autonomie de la Corse revient, une fois de plus, sur le tapis. Pourtant, l'opposition n'a pas plus que la majorité de moyen pour agir sur une fiscalité pénalisante: comme toutes les régions françaises, la collectivité corse a peu de leviers fiscaux. Mais sur la question de taxes, les dirigeants corses sont parmi les rares à agir de front avec leur population et à avoir demandé au gouvernement le gel de la hausse du carburant.
«La proposition de taxes doit être mieux posée, affirme Jean-Martin Mondoloni. On ne peut pas parler de fin du monde aux gens qui se préoccupent de la fin du mois.»
«Je suis régionaliste et considère que l'État central devrait donner plus d'oxygène aux territoires. Il y a des sujets sur lesquels l'État central doit se décrisper, détendre un peu ses rapports avec les territoires, en premier lieu sur les compétences fiscales.»
Et, finalement, c'est l'épicentre de toutes les discussions autour de l'avenir de la Corse: la responsabilité politique dans les décisions prises par l'Assemblée corse. Son président s'enorgueillit que sa parole «pèse au sein de la société» et que «les Corses ont une tendance à se tourner vers l'Assemblée sur tous les sujets», mais il réclame toujours «des leviers pour pouvoir donner satisfaction aux Corses.»
«Aujourd'hui, on a la responsabilité politique sans avoir de moyens,» se désole Jean-Guy Talamoni. Nous souhaitons avoir un réel pouvoir législatif.»
C'est dans ce contexte et à mi-mandat que les nationalistes corses doivent visiblement revoir leurs arbitrages entre l'urgence des questions quotidiennes et les perspectives à long terme.