AFP, Radio France, LCP: Macron place-t-il ses pions à la tête des médias publics?

Des énarques et des proches d’Emmanuel Macron prennent les commandes de l’Agence France Presse et de Radio France. Dans une lettre à la ministre de la Culture, trois administrateurs de l’AFP dénoncent le rôle joué par l’État lors de l’élection de leur patron... Faut-il craindre pour la liberté de l’information?
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Une valse de nominations à la tête des médias, sous influence de l'Élysée? L'hypothèse a fait couler beaucoup d'encre. Après la nomination de Sibyle Veil, une camarade de promotion d'Emmanuel Macron à l'ENA, c'est au tour de Fabrice Fries, magistrat à la Cour des comptes et ancien dirigeant de Publicis Consultants, de prendre la tête de l'Agence France Presse (AFP). Un candidat sans concurrent, entré en lice après le retrait-surprise d'Emmanuel Hoog, qui avait subitement renoncé à briguer sa propre succession, faute d'obtenir «les soutiens nécessaires et indispensables de l'État».

«Il faut voir que cette nomination s'inscrit dans une séquence, qui a commencé le 14 mars, avec la nomination de Bertrand Delais à la tête de la chaîne parlementaire, LCP-Assemblée nationale», relève Claude Chollet, président de L'Observatoire des journalistes et de l'information médiatique (OJIM). Il est surtout pour avoir fait un documentaire extrêmement élogieux d'Emmanuel Macron», poursuit-il.

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Que leurs liens avec la présidence soient avérés ou non, les dernières nominations de patrons de presse ont soulevé beaucoup de questions, certains s'étonnant même du «triomphe des énarques»: «Est-ce donc un hasard? Une tendance historique? Le résultat d'une volonté politique? Même dans l'information, l'État Macron est dirigé par des membres des grands corps». Car Sibyle Veil, nous l'avons évoqué, est issu de l'ENA, ce qui est aussi le cas de Fabrice Fries.

Seul candidat, élu peu après que le personnel de l'Agence France-Presse ait débrayé pour réclamer que le Conseil d'administration sursoie au vote le temps de trouver un second candidat, sa nomination ne fait pas l'unanimité. Il faut dire que sa carrière, entre la Cour des comptes ou la direction de l'agence de communication Publicis, connue pour avoir organisé les campagnes de nombreux hommes politiques, l'homme n'a pas un profil de journaliste, affirment ses détracteurs. Pourtant, il sera directeur de la stratégie puis directeur général adjoint de Havas, le pôle presse du groupe Vivendi de 1997 à 2002, supervisant des magazines comme L'Express, L'Expansion, L'Étudiant ou L'Usine nouvelle.

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Dans une lettre adressée à la ministre de la Culture, François Nyssen, trois administrateurs de l'Agence France Presse ont dénoncé l'attitude de l'État et les conditions de son élection.

Ce courrier se veut «une alerte», note le quotidien La Croix, qui se l'est procurée. C'est une «mise en garde vis-à-vis d'une gouvernance qui n'assure pas selon eux "une réelle indépendance de l'agence vis-à-vis de l'État" et soulève des questions de "conflits d'intérêts"», relate le quotidien. Faut-il pour autant craindre une mainmise du pouvoir sur l'AFP?

«L'indépendance de l'AFP est un mythe! L'AFP est financée à au moins 50% par l'État, elle est la propriété de l'État. D'une certaine manière, c'est la voix de la France… Donc cette indépendance, elle est fictive»,

déplore Claude Chollet, qui ne voit cependant pas d'impact sur l'indépendance rédactionnelle de l'agence:

«Pas plus qu'avant, pas moins qu'avant. Ne nous faisons pas d'illusion, les présidents des grandes sociétés publiques d'audiovisuel ou de l'Agence France Presse ont toujours été nommés avec l'assentiment de l'Élysée, que ce soit sous Sarkozy, Hollande et maintenant Macron»,

poursuit-il, espérant juste que les journalistes soient «un peu plus ouverts au pluralisme idéologique!» Le politologue Eric Verhaeghe, diplômé de l'ENA, émet pour sa part un constat plus sévère:

«Il y a un problème grandissant, de moins en moins compris de l'opinion publique, c'est l'intervention de l'État dans le domaine de l'information. […] L'État, à travers le ministère de la Culture, est à la recherche d'une présence dans les médias […] Je ne vois pas pourquoi ce qui est condamné en Russie ne le sera pas en France»,

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poursuit le politologue, en faisait référence aux accusations régulières d'ingérence du Kremlin dans les médias russes en France. Un Soft-Power russe qui passe mal en France, alors que l'AFP, présente dans 151 pays avec 201 bureaux, ne cache rien de ses objectifs:

«Avec nos 1.500 journalistes, nous sommes un actif stratégique du "Soft-Power" français»,

déclarait Emmanuel Hogg aux Échos en juillet 2017. Il demandait alors à l'État d'investir «60 millions d'euros pour les cinq années à venir, pour poursuivre et accélérer sa transformation».

Le Syndicat national des journalistes, majoritaire chez les journalistes de l'AFP, s'inquiète par ailleurs d'un changement de statut de l'agence, qui accompagnerait l'arrivée de son nouveau président. Le syndicat prévient qu'il «n'acceptera pas que son "statut de la liberté" soit sacrifié au profit de la mise sur pied d'une société à capitaux "publics demain, privés très vite" qui menacerait gravement son indépendance». Indépendance vis-à-vis de qui au juste? Rappelons que c'est l'agence de presse Havas, nationalisée par le gouvernement de Vichy, qui deviendra l'AFP à la libération en 1944.

«Il ne faut pas que l'agence devienne le énième organe d'une grande fortune française, qui en fait sa danseuse», commente Eric Verhaeghe, qui ne se dit pas contre une privatisation, mais «tout dépend des conditions, il ne faut pas que ce soit un prétexte pour faire rentrer l'agence dans un capitalisme de connivence.»

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Dans son discours à Albi, en mai 2017, Emmanuel Macron, dans le cadre de la «composition du gouvernement et dans les investitures aux élections législatives», déclarait «nous recomposerons jusqu'au bout, nous renouvellerons jusqu'au bout! Nous tiendrons la promesse de la recomposition et du renouvellement jusqu'au bout!»… Entendait-il par là aussi renouveler les pratiques de l'audiovisuel public et pas uniquement ses têtes? C'est peu probable, estime Eric Verhaeghe:

«Le renouvellement, il faut voir de quoi il est l'alibi: une recomposition du paysage? ou on reparle de la réalité? Si c'est un gadget pour continuer cette espèce de doctrine permanente du consensus obligatoire sur tout, de l'étouffement systématique des débats, c'est en effet ce qu'il est en train de faire.»

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