Une valse de nominations à la tête des médias, sous influence de l'Élysée? L'hypothèse a fait couler beaucoup d'encre. Après la nomination de Sibyle Veil, une camarade de promotion d'Emmanuel Macron à l'ENA, c'est au tour de Fabrice Fries, magistrat à la Cour des comptes et ancien dirigeant de Publicis Consultants, de prendre la tête de l'Agence France Presse (AFP). Un candidat sans concurrent, entré en lice après le retrait-surprise d'Emmanuel Hoog, qui avait subitement renoncé à briguer sa propre succession, faute d'obtenir «les soutiens nécessaires et indispensables de l'État».
«Il faut voir que cette nomination s'inscrit dans une séquence, qui a commencé le 14 mars, avec la nomination de Bertrand Delais à la tête de la chaîne parlementaire, LCP-Assemblée nationale», relève Claude Chollet, président de L'Observatoire des journalistes et de l'information médiatique (OJIM). Il est surtout pour avoir fait un documentaire extrêmement élogieux d'Emmanuel Macron», poursuit-il.
Seul candidat, élu peu après que le personnel de l'Agence France-Presse ait débrayé pour réclamer que le Conseil d'administration sursoie au vote le temps de trouver un second candidat, sa nomination ne fait pas l'unanimité. Il faut dire que sa carrière, entre la Cour des comptes ou la direction de l'agence de communication Publicis, connue pour avoir organisé les campagnes de nombreux hommes politiques, l'homme n'a pas un profil de journaliste, affirment ses détracteurs. Pourtant, il sera directeur de la stratégie puis directeur général adjoint de Havas, le pôle presse du groupe Vivendi de 1997 à 2002, supervisant des magazines comme L'Express, L'Expansion, L'Étudiant ou L'Usine nouvelle.
Ce courrier se veut «une alerte», note le quotidien La Croix, qui se l'est procurée. C'est une «mise en garde vis-à-vis d'une gouvernance qui n'assure pas selon eux "une réelle indépendance de l'agence vis-à-vis de l'État" et soulève des questions de "conflits d'intérêts"», relate le quotidien. Faut-il pour autant craindre une mainmise du pouvoir sur l'AFP?
«L'indépendance de l'AFP est un mythe! L'AFP est financée à au moins 50% par l'État, elle est la propriété de l'État. D'une certaine manière, c'est la voix de la France… Donc cette indépendance, elle est fictive»,
déplore Claude Chollet, qui ne voit cependant pas d'impact sur l'indépendance rédactionnelle de l'agence:
«Pas plus qu'avant, pas moins qu'avant. Ne nous faisons pas d'illusion, les présidents des grandes sociétés publiques d'audiovisuel ou de l'Agence France Presse ont toujours été nommés avec l'assentiment de l'Élysée, que ce soit sous Sarkozy, Hollande et maintenant Macron»,
poursuit-il, espérant juste que les journalistes soient «un peu plus ouverts au pluralisme idéologique!» Le politologue Eric Verhaeghe, diplômé de l'ENA, émet pour sa part un constat plus sévère:
«Il y a un problème grandissant, de moins en moins compris de l'opinion publique, c'est l'intervention de l'État dans le domaine de l'information. […] L'État, à travers le ministère de la Culture, est à la recherche d'une présence dans les médias […] Je ne vois pas pourquoi ce qui est condamné en Russie ne le sera pas en France»,
«Avec nos 1.500 journalistes, nous sommes un actif stratégique du "Soft-Power" français»,
déclarait Emmanuel Hogg aux Échos en juillet 2017. Il demandait alors à l'État d'investir «60 millions d'euros pour les cinq années à venir, pour poursuivre et accélérer sa transformation».
Le Syndicat national des journalistes, majoritaire chez les journalistes de l'AFP, s'inquiète par ailleurs d'un changement de statut de l'agence, qui accompagnerait l'arrivée de son nouveau président. Le syndicat prévient qu'il «n'acceptera pas que son "statut de la liberté" soit sacrifié au profit de la mise sur pied d'une société à capitaux "publics demain, privés très vite" qui menacerait gravement son indépendance». Indépendance vis-à-vis de qui au juste? Rappelons que c'est l'agence de presse Havas, nationalisée par le gouvernement de Vichy, qui deviendra l'AFP à la libération en 1944.
«Il ne faut pas que l'agence devienne le énième organe d'une grande fortune française, qui en fait sa danseuse», commente Eric Verhaeghe, qui ne se dit pas contre une privatisation, mais «tout dépend des conditions, il ne faut pas que ce soit un prétexte pour faire rentrer l'agence dans un capitalisme de connivence.»
«Le renouvellement, il faut voir de quoi il est l'alibi: une recomposition du paysage? ou on reparle de la réalité? Si c'est un gadget pour continuer cette espèce de doctrine permanente du consensus obligatoire sur tout, de l'étouffement systématique des débats, c'est en effet ce qu'il est en train de faire.»