Loi fake news: «La menace qu’elle représente est totalement disproportionnée»

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La ministre de la Culture, Françoise Nyssen, a exposé dans un entretien au HuffPost quelques-unes des réformes envisagées dans le cadre de la loi contre les «fake news». Sputnik a interrogé Ricardo Gutierrez, Secrétaire général de la Fédération européenne des journalistes sur les dérives potentielles et les difficultés d’appliquer une telle loi.

Une loi contre les fake news?: «C'est une stratégie disproportionnée et contre-productive», s'emporte Ricardo Gutierrez, membre du groupe de travail sur les fake news de la Commission européenne, au micro de Sputnik.

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Il se montre en effet très critique envers le projet de loi défendu par Emmanuel Macron, qui représenterait une atteinte aux valeurs fondamentales des droits de l'Homme. Selon le Secrétaire général de la Fédération européenne des journalistes, les obstacles que rencontrera le gouvernement à l'heure d'appliquer une loi censée faire un tri parmi la quantité colossale d'informations circulant sur Internet sont pléthore.

«Nous sommes opposés à ce projet de loi à la fois sur les principes et sur le caractère pratique. Il me semble qu'on va vers une loi qui sera totalement impraticable, qui ne pourra pas être mise en œuvre».

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Le premier problème qui se pose, tout particulièrement à l'heure de s'attaquer aux phénomènes viraux sur la toile, est celui de la rapidité de réaction. Mme Nyssen a déclaré compter sur les «jugements en référé pour retirer rapidement des nouvelles considérées comme portant atteinte à la transparence du scrutin». Pourtant, un tweet a largement le temps de devenir viral avant que la plainte ne soit instruite et le jugement rendu malgré la rapidité de la procédure de référé. C'est pourquoi Ricardo Gutierrez estime que

«l'idée de demander à un juge de décider si vite de la vérité est absurde», d'autant plus qu'«il y a beaucoup d'informations grises et il est difficile de décréter juridiquement ce qui est vrai et ce qui est faux.»

Autre obstacle, le champ d'application d'une loi sur les «fake news». Un homme politique pourrait-il être mis en cause pour avoir diffusé des informations erronées ou tronquées? Il semblerait que la ministre soit de cet avis. Interrogée à ce sujet, elle a répondu que si l'information incriminée se trouvait sur une plateforme comme Facebook ou Twitter, alors on pourrait «imaginer être dans ce cas de figure». M. Gutierrez ne voit pas en quoi cette nouvelle disposition «apporte quoi que ce soit», estimant que «d'autres dispositions permettent de lutter contre ces phénomènes».

Le point qui soulève le plus d'inquiétude est probablement savoir à qui reviendra la responsabilité d'établir ce qui est une information valable et ce qui relève de la «fake news», ce qui a une incidence sur la «transparence du scrutin» et ce qui n'en a pas:

«Nous n'aimons pas, par principe en tant que journalistes, que la Justice voire l'État, encore pire, soit l'instance habilitée à décréter le vrai ou le faux», estime M. Gutteriez.

Il rappelle que de nombreux pays européens ont mis en place des instances de régulation spécifiques et souligne dans le même temps la nécessité «d'inclure la société civile, car l'information appartient à la société».

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Alors que la Commission européenne, en plus d'un volet répressif, a fait le pari d'inclure une part de pédagogie en déployant des groupes de «fact checkers» pour répondre aux fake news, le gouvernement a choisi de filtrer l'information existante. Un filtre qui passe concrètement par la suppression de contenus, voire de sites Internet ou de comptes sur les réseaux sociaux. Une façon de procéder qui présente des risques potentiels pour la liberté et l'indépendance de la presse.

«Je ne comprends pas pourquoi la France choisit la voie de la répression, d'une mesure à ce point liberticide», s'est insurgé M. Gutierrez à ce propos.

Il estime en outre qu'elle aura «un impact sur l'ensemble de la profession. […] C'est une restriction supplémentaire à la liberté des journalistes à enquêter».

«La menace que l'on fait peser sur la liberté de la presse et la liberté d'expression est totalement disproportionnée par rapport à l'objectif, puisque des études ont démontré les effets très relatifs des fake news sur les campagnes électorales.»

En outre, selon l'expert, les informations difficilement vérifiables, comme les commentaires en «off» ou les données extraites de documents ayant fuité sont un nœud gordien, car le journaliste a un devoir éthique de protection de ses sources qui peut l'empêcher d'apporter la preuve de la véracité de ses propos. C'est d'autant plus vrai dans le cadre des lanceurs d'alerte, qui doivent être particulièrement protégés. Le Secrétaire général de la Fédération européenne des journalistes développe en disant:

«Le juge ne pourra pas vérifier la véracité de certaines informations dans la mesure où le journaliste, en conformité avec sa déontologie professionnelle, dira au juge: « Je ne peux pas présenter de preuve, car je dois protéger mes sources ».»

 

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