La communauté internationale suit avec attention la situation politique en cours en Tunisie où le Président Kaïs Saïed a actionné, dans la soirée du dimanche 25 juillet, une disposition constitutionnelle lui octroyant des pouvoirs d'exception.
Minoritaire, le premier camp comprend essentiellement la Turquie et des partis politiques affiliés à l’organisation internationale des Frères musulmans* qui ont dénoncé «un coup d’État» contre leur allié islamiste Ennahdha.
Mustafa Sentop, le président du parlement turc, a ainsi accusé le chef de l’État tunisien d’avoir opéré un putsch «militaire-bureaucratique» contre un parlement présidé par le leader d’Ennahdha, Rached Ghannouchi.
إن ما يجري في تونس يبعث بالقلق. وكل قرار يمنع عمل البرلمان والنواب المنتخبين يعتبر انقلابا على النظام الدستوري. وكل انقلاب عسكري/ بيرقراطي فعل غير شرعي. كما هو غير شرعي في تونس. والشعب التونسي سيدافع عن القانون والنظام الدستوري.
— Mustafa Şentop (@MustafaSentop) July 26, 2021
«Ce qui se passe en Tunisie est inquiétant. Les décisions interdisant au parlement élu et aux députés d'exercer leurs fonctions sont un coup contre l'ordre constitutionnel. Le coup d'État militaire-bureaucratique est illégitime en Tunisie comme partout. Le peuple tunisien s'accrochera à l'ordre constitutionnel et à la loi», a écrit lundi 26 juillet Mustafa Sentop sur son compte Twitter.
Le camouflet d’Alger à ses islamistes
Les partis et associations islamistes marocains membres de l’internationale des Frères musulmans* se sont rangés aux côtés d’Ennahdha. Au Maghreb, la réaction la plus radicale est à mettre sur le compte du Mouvement pour la société pour la paix (MSP) dont le chef, Abderrazak Makri, a dénoncé «un coup d’État» et a appelé le gouvernement algérien à soutenir «les institutions légitimes tunisiennes».
Sans surprise, le MSP algérien (FM) qualifie ce qui se passe en Tunisie de "coup d'État" et appelle les autorités algériennes à soutenir "les institutions légitimes" tunisiennes. https://t.co/lM7vw9cpdJ
— Hamdi (@HamdiBaala) July 26, 2021
Alger, qui entretient des relations stables avec son voisin de l’est, a réagi rapidement… mais pas dans le sens espéré par Abderrazak Makri. Mardi 27 juillet, l’Algérie a dépêché à Tunis Ramtane Lamamra, son ministre des Affaires étrangères, où il a été reçu par le Président Kaïs Saïed. Contacté par Sputnik, Ahmed Ounaïes, ancien ministre tunisien des Affaires étrangères et politologue, y voit «un geste d’encouragement» du Président Abdelmadjid Tebboune à son homologue tunisien.
«Cela ne m’étonnerait pas que ce soit un geste d’encouragement de la part du nouveau régime algérien au Président tunisien qui a pris de lourdes responsabilités. Alger continue de se méfier, à juste titre, de l’hégémonie des partis islamistes. Cela me paraît logique, mais je n’ai aucun élément qui pourrait valider cette hypothèse ou autre chose», a-t-il indiqué.
Garanties démocratiques
Par ailleurs, Moscou a fait part de sa préoccupation au sujet de la situation politique en Tunisie tout en estimant que «les relations saines entre la Russie et la Tunisie continueront à se développer progressivement». Paris a appelé à «un retour, dans les meilleurs délais, à un fonctionnement normal des institutions», Washington a encouragé «le Président Saïed à respecter les principes démocratiques et les droits humains qui sont au fondement de la gouvernance en Tunisie», tandis que Berlin insistait sur «l’importance de revenir à l’ordre constitutionnel le plus rapidement possible». Malgré cette inquiétude, aucune capitale n’a évoqué un coup d’État.
«L’Union européenne a fait savoir indirectement à la Tunisie qu’elle comprenait parfaitement les raisons politiques des décisions prises dimanche 25 juillet par le Président de la République. Cependant, l’UE est inquiète que ces mesures n’aient pas été suivies de décisions complémentaires qui éclairent davantage les semaines à venir et la nature du tournant qui a été pris. Cela signifie que l’Europe approuve la fin de crise sans pour autant être tranquille au sujet du régime qui va être instauré provisoirement», note l’ancien ministre des Affaires étrangères.
Selon lui, l’ensemble des capitales occidentales partagent une position quasiment identique concernant la situation en Tunisie.
«Les ambassades à Tunis sont en consultation et les capitales analysent la situation avec assez de détails. D’une manière modérée, les hauts responsables occidentaux ont pris contact avec leurs homologues et ont présenté la même démarche qui sollicite une meilleure clarification de la nature du changement entrepris en Tunisie. Ce sont des réactions positives, modérées mais interrogatives», estime Ahmed Ounaies.
Le diplomate considère que son analyse est confortée par la déclaration du Fonds monétaire international (FMI), partenaire vitale pour une Tunisie qui subit une crise économique.
«À mon avis, il faut retenir la déclaration du Fonds monétaire international qui a indiqué, lundi 26 juillet, qu’il est en mesure de prêter assistance à la Tunisie dans ces circonstances exceptionnelles. Si nous comprenons bien cette initiative du FMI, cela signifie que les principaux États membres de cette institution monétaire donnent le feu vert à cette fin de crise politique en Tunisie», signale Ahmed Ounaies.
Quelles pourraient être les garanties complémentaires du Président Kaïs Saïed sur la nature du régime en cette phase de transition? «Une affirmation suffisamment convaincante que l’option démocratique n’est pas remise en question ainsi que le respect franc et engageant des libertés fondamentales», répond l’ancien ministre tunisien des Affaires étrangères.
Il semble que Tunis commence à afficher ses intentions dans ce sens. Le Président tunisien a en effet chargé son ministre des Affaires étrangères, Othmane Jarandi, de rassurer les partenaires étrangers. Mercredi, lors de communications téléphoniques avec le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian, le secrétaire d’État allemand aux Affaires étrangères Miguel Berger et le haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borrell, le chef de la diplomatie tunisienne Othmane Jarandi a fait part de «la détermination du chef de l’État à préserver les droits et libertés et à ne pas y toucher».
*Organisation terroriste interdite en Russie