Jugé trop répressif: la Tunisie appelée à réformer son arsenal juridique antiterroriste

© Sputnik . Natalia SeliverstovaDrapeau de la Tunisie
Drapeau de la Tunisie - Sputnik Afrique, 1920, 04.06.2021
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Un rapport de l’International Crisis Group a démontré que le djihadisme était en net recul en Tunisie. En outre, l’étude recommande aux autorités de réformer les lois antiterroristes jugées répressives et de mettre en place des mécanismes de réinsertion afin d’éviter que les djihadistes ne versent dans la criminalité après avoir purgé leur peine.

La Tunisie est en phase de tourner la page du terrorisme islamiste. C’est une des conclusions du rapport de l’International Crisis Group, organisation non-gouvernementale dont le siège est à Bruxelles, rendu public vendredi 4 juin 2021.

​«La diminution des violences djihadistes sur le territoire tunisien entre 2016 et 2021 est manifeste. Elle est principalement liée à la déroute d’Al-Qaïda* et de l’État islamique* à l’échelle régionale. Même si plusieurs milliers de Tunisiens sont partis combattre au Moyen-Orient et en Libye entre 2011 et 2016 et que des Tunisiens ont commis quatre attentats en France et en Allemagne en 2016 et 2021, le pays n’est pas menacé par un mouvement djihadiste armé de masse», est-il indiqué dans ce rapport élaboré par le bureau tunisien de l’ICG.

Le retour des vaincus

Contacté par Sputnik, Michaël Béchir Ayari, analyste à l’International Crisis Group Tunis, a indiqué que cette étude avait démontré qu’en matière d’adhésion l’idéologie djihadiste était en déclin en Tunisie au même titre qu’en Algérie et au Maroc. «Les pays du Maghreb connaissent la même tendance, contrairement à la région du Sahel où nous assistons à une recrudescence de ce phénomène», souligne-t-il. Selon lui, le djihadisme «n’attire plus les jeunes».

«Les Tunisiens qui se sont engagés dans les groupes djihadistes en Irak et en Syrie dès 2011 et qui ont survécu sont revenus, car ils ont été vaincus. Ils sont déçus. Nous ne sommes pas dans la situation des Algériens qui ont fait l’Afghanistan durant les années 1980 et qui sont revenus en vainqueurs dans leur pays», précise Michaël Béchir Ayari. 

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À propos «des revenants tunisiens», qui avaient intégré les organisations terroristes en Libye en Syrie et en Irak, le rapport de l’ICG souligne que leur nombre a «souvent été surestimé». «Plusieurs avocats et journalistes affirment que leur nombre avoisine les 10.000, tandis que le gouvernement fait état de 2.929 combattants, une estimation probablement plus proche de la réalité», note l’ONG. International Crisis Group reconnaît que la régression du djihadisme est également le résultat d’une stratégie antiterroriste menée par les services de sécurité qui se sont appuyés sur un arsenal juridique «largement répressif». «L’arsenal législatif dont s’est doté le pays a sans doute dissuadé nombre de djihadistes de se livrer à de la propagande, mais les abus auxquels il a donné lieu ont créé un sentiment d’injustice chez ceux qui en ont été victimes», écrit l’ONG.

«Certains mécanismes de loi antiterroriste [adoptée en 2015, ndlr] sont encore appliqués, notamment la disposition qui autorise jusqu’à 14 jours de garde à vue et permet, dans certains cas, au procureur de priver le prévenu de l’assistance de son avocat. La question de fichés S est également problématique, car certaines personnes ont été identifiées à tort comme djihadistes. Il y a eu d’énormes abus. Aujourd’hui, l’administration pénitentiaire fait face à une surpopulation carcérale à cause du recours abusif à la détention provisoire avec les risques de radicalisation que cette situation peut provoquer. Des efforts ont été faits par les institutions tunisiennes, mais c’est insuffisant», affirme l’analyste.

Effets pervers

Le rapport fait état de probables «effets pervers» liés aux «mesures de lutte contre le terrorisme». «La majorité des près de 2.200 détenus en lien avec des affaires de terrorisme quitteront les prisons tunisiennes au cours des trois années à venir», alerte l’ICG.

«En l’absence de programmes d’insertion professionnelle, les djihadistes ou les personnes qui ont flirté avec cette mouvance risquent de tomber dans la criminalité une fois sortis de prison. Nous avons voulu démontrer que c’est le moment propice pour lancer des réformes, pour faire plus de prévention et engager des programmes de réinsertion. Mais il est important que ces actions ne ciblent pas uniquement les personnes condamnées pour djihadisme sinon les autres prisonniers vont dire qu’ils sont mieux traités qu’eux donc nous allons faire pareil pour être reconnus», ajoute Michaël Béchir Ayari.

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Les recommandations contenues dans ce rapport ont été adressées au gouvernement et aux membres de la Commission nationale de lutte contre le terrorisme (CNLCT). Michaël Béchir Ayari explique que les responsables politiques sont sensibles à ces questions. Cependant, la crise politique et institutionnelle bloque le lancement de ces réformes juridiques et sécuritaires. «Il est difficile d’avancer dans un pays où le Président de la République est en conflit avec le chef du gouvernement et où les ministres ne sont pas installés officiellement, tout ceci dans un contexte de crise économique», regrette-t-il.

*Organisation terroriste interdite en Russie

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