Il arrive parfois que la vie soit simple comme un coup de fil. Vous appelez pour obtenir un rendez-vous avec un contact très au fait des conflits dans le centre du Mali et la personne vous propose de partir à Ségou dès le lendemain pour assister à une grande rencontre pour la paix et la réconciliation.
La poignée de main
Cela se passait les 18 et 19 septembre 2020, sous un soleil de plomb et le haut patronage du Cheick Lassana Kané, grand marabout de Ségou et chef spirituel des Soufis du Mali. Dans ce pays, il n’y a pas eu de gouvernement entre juin et octobre, mais en réalité, cela fait beaucoup plus longtemps que les populations des deux tiers du territoire sont livrées à elles-mêmes. Il n’est donc pas étonnant que telles initiatives soient portées par des chefs religieux et traditionnels, des associations ou de simples acteurs de terrain qui tentent de trouver par eux-mêmes des solutions pour sortir leur pays de l’ornière. Un des participants ose même avouer, en aparté et mezzo voce, que «c’est parce qu’il n’y a plus d’État qu’il y a des accords de paix, sinon il aurait encore instrumentalisé l’affaire».
Lors de leurs discours respectifs, tous les participants ont célébré la diversité, la différence, les spécificités, les subtilités maliennes, la cohabitation et le brassage harmonieux qui existaient avant la guerre de 2012. Les liens sociaux complexes qui permettent de résoudre les conflits ont également été mis en avant, rappelant ainsi que seules des négociations entre Maliens peuvent aboutir.
Labyrinthique
Il règne déjà une certaine accalmie dans quatre des cercles de la région de Mopti: Bankass, Bandiagara, Koro et Douentza. Néanmoins, la situation est inextricable et très différente selon les zones et les forces en présence. Tout est mélangé.
Les habitants, qu’ils soient Peuls, Bozos, Bambaras ou Dogons, aspirent à la paix, veulent pouvoir se déplacer sans risquer leur vie, cultiver leurs champs et que tous ceux qui ont fui leur village puissent y revenir. Certains campements sont totalement désertés, dans d’autres endroits, il ne reste plus que les femmes, les personnes âgées et les enfants. Il n’y a plus de bras valides pour l’agriculture ou l’élevage. Les jeunes se sont engagés de l’autre côté avec les terroristes et les djihadistes ou encore avec les groupes d’autodéfense. Au sein de ce magma se trouvent aussi dans chaque camp des coupeurs de route, des rançonneurs et des voleurs de bétail.
Actuellement, le plus hostile à la paix est Youssouf Toloba, le chef de la branche armée du groupe d’autodéfense dogon composé de Dozos, Dan Na Ambassougou. Lui ne veut pas entendre parler d’accord de paix. Dans un message vidéo posté le 27 septembre, il donne un ultimatum aux nouvelles autorités de Bamako en réclamant une intervention de l’armée dans le Centre: si d’ici à 15 jours il n’a pas de réponse, il plantera son drapeau et ira rejoindre les mouvements indépendantistes de l’Azawad!
En agissant ainsi, Youssouf Toloba tente de faire pression sur le Comité national de salut du peuple (CNSP), qui a renversé IBK, et lui rappeler qu’il existe. Depuis le coup d’État du 18 août, c’est devenu un sport national, chacun essaye de se faire une place et de compter dans le nouveau système. Mais c’est aussi une manière de reprendre la main alors qu’il est affaibli et contesté par les Dogons eux-mêmes. Deux messages vocaux enregistrés par des notables du cercle de Koro et diffusés sur les messageries privées détaillent les crimes commis par Youssouf Toloba et sa milice dans village de Berdosso depuis avril 2020. Les deux personnalités en arrivent aux mêmes conclusions: il faut arrêter Toloba, il faut désarmer la milice. D’autant que Dan Na Ambassagou n’hésite non plus pas à commettre des assassinats ciblés sur ceux qui œuvrent à la réconciliation.
«Nous qui travaillons aux négociations, nous sommes pris en étau des deux côtés, mais aujourd’hui, nous avons plus de facilité à rencontrer les djihadistes que les Dozos. Au début, c’était un groupe d’autodéfense, maintenant c’est une milice de bandits, de voleurs de bétail. S’il y a la paix, ils ne pourront plus prospérer», déclare un enseignant de la région de Mopti.
Par ailleurs, les Peuls qui ont rejoint le groupe djihadiste Katiba Macina d’Hamadou Kouffa souhaitent faire la paix mais à leurs conditions: hors de question de voir l’État revenir, ni armée, ni école, ni administration, et les habitants ne doivent pas parler français ni s’habiller à l’européenne.
Cette forme de paix est-elle acceptable? Pour la majorité des populations, il est urgent d’arrêter les combats, d’en finir avec les drames à répétition et de continuer à négocier. C’est ce à quoi œuvrent les participants à la rencontre de Ségou. La libération de 100 prisonniers djihadistes intervenue le 5 octobre pour obtenir celle du chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé et de l’otage française Sophie Pétronin, montre que les canaux de discussion sont toujours ouverts. L’espoir pour la paix et la réconciliation dans le Centre est toujours de mise, même si chacun sait que le chemin sera long et difficile.
*Iveris: Institut de veille et d’étude des relations internationales et stratégiques.