La politique malienne est un véritable casse-tête, tous les revirements de dernière minute, les «combinazione», les alliances contre nature étant possibles. Personne ne peut être mis dans une case, rien n’est manichéen, ce qui apparaît clairement à l’instant T peut devenir confus quelques heures plus tard. Pour tenter de décrypter la situation extrêmement volatile actuelle et lever un coin du voile sur les réelles motivations de ce coup d’État, il faut donc s’en tenir aux faits.
État de grâce
Dès le premier jour, le Comité national pour le salut du peuple (CNSP), avec à sa tête le colonel Assimi Goïta, a de l’or dans les mains: un soutien populaire massif, tant au Mali que dans la sous-région. Les militaires sont accueillis en héros pour avoir destitué un Président décrié dans la rue et avoir ainsi mis fin à une crise politique et institutionnelle qui durait depuis le mois de juin. Même les Maliens de l’intérieur du pays, qui vivent sans aucune présence de l’État et qui d’ordinaire ne se soucient guère des événements et des joutes politiciennes de Bamako, se prennent à espérer un retour des services publics -mairie, santé, éducation- dans leurs régions respectives.
Aucun autre dignitaire du clan IBK n’a été inquiété, malgré les rumeurs persistantes des 19 et 20 août qui faisaient état d’arrestations possibles dans leurs rangs. Le 21 août, la junte a communié sur la place de l’Indépendance avec la foule des partisans du M5-RFP, une coalition qui manifestait depuis le 5 juin dernier pour obtenir le départ d’IBK. Puis, toujours dans un souci d’ouverture, elle a organisé une tournée des grands ducs: elle a rencontré les autorités religieuses, les familles fondatrices de Bamako, les syndicats, etc. Elle a également rendu visite à l’ancien Président de la République, le tant honni Moussa Traoré, déposé lui aussi par un coup d’État en 1991. Et c’est passé sans problème, personne n’a semblé s’en offusquer. À la fin de la première semaine, le CNSP a bénéficié d’une large reconnaissance de fait et la page IBK a été tournée.
L’agenda international
Dès les premiers jours, le CNSP a consulté à tout-va ses partenaires étrangers qui se sont pressés au camp militaire de Kati. Elle a tenté de desserrer l’étau puisque la communauté internationale a condamné unanimement le coup de force. Comme à son habitude, la Cedeao a sorti l’artillerie lourde traditionnelle: embargo terrestre, aérien et maritime -pour un pays enclavé, ce dernier n’était peut-être pas nécessaire! Mais la population n’a pas encore ressenti l’effet des sanctions, il reste des stocks et la junte est d’autant moins sous pression que la Cedao fait l’unanimité contre elle, au Mali comme dans la sous-région.
Premiers nuages…
Alors qu’à ce stade, le CNSP n’a encore dévoilé ni son agenda ni ses intentions politiques, hormis les quelques nobles intentions classiques -bonne gouvernance, fin de la gabegie, sécurité-, il a accordé une audience à Mamadou Goudienkilé, président de la coordination du mouvement Dan Na Ambassagou, milice tenue pour responsable, bien qu’elle s’en défende, des deux terribles massacres d’Ogossagou en mars 2019 et février 2020 qui ont fait au total plus de 150 victimes.
En revanche, il a raté son rendez-vous à Kidal avec les mouvements de l’Azawad (CMA). Annoncée le 2 septembre pour le lendemain, cette «réunion de haut niveau» inédite, qui devait jeter les bases de la collaboration entre la CMA et CNSP, avait créé l’espoir. Son report sine die, pour des raisons de météorologie qui n’ont convaincu personne, a jeté un froid à la hauteur des espérances qu’elle avait fait naître.
Finalement, trois jours de consultations ont été reprogrammés les 10, 11 et 12 septembre pour écrire la charte de la transition. Après l’annulation de la visite à Kidal, la CMA a décidé de ne pas y participer. Ces journées se sont déroulées dans une grande confusion. Pendant ces débats, un seul point a vraiment fait consensus: la durée de la transition de 18 mois. La Cedeao avait demandé une année mais aucune élection ne peut se dérouler pendant la saison des pluies. Donc, lors de la rencontre à Accra ce mardi 15 septembre entre le CNSP et Akufo Ado, le nouveau président en exercice de la Cedeao, afin de négocier l’arrêt des sanctions, ils invoqueront la météo.
La charte publiée avant même la fin des débats est un document de cinq pages aussi indigent que les «Termes de référence». Elle entretient le flou et la confusion. La transition sera-t-elle civile ou militaire? Qui composera le collège choisi par le CNSP pour désigner le futur Président malien? Pourtant, ce texte est considéré comme un accord politique qui servira de base légale à la transition et c’est sur la base de ce dit accord politique que le CNSP négocie à Accra. Ce document est pourtant très contesté par le M5-RFP, tête de proue de la contestation contre IBK. Au début timides, puis empreintes de méfiance, les relations entre la junte et cette coalition ont viré à une hostilité ouverte entre des alliés qui apparaissaient naturels.
Un coin du voile…
La junte a justifié son irruption sur la scène politique par la mauvaise gouvernance, l’insécurité et la corruption. Cependant, elle ne s’est pas inscrite dans une posture «révolutionnaire», elle s’est bien gardée de mettre en avant une volonté de changement, elle est restée sur les arguments habituels de communication -inclusivité, nécessité d’unir les Maliens, etc. Elle s’est légitimée grâce à la contestation populaire menée par le M5-RFP, dirigée par l’imam Mahmoud Dicko.
Un mouvement proche d’Ousmani Haidara, le président de l’actuel du Haut conseil islamique, le MP4, vient de naître pour appuyer le CNSP. Le président Haidara a été un soutien d’IBK jusqu’au dernier jour et se place en opposition avec l’imam Dicko. Au passage, les deux sont souvent présentés de manière caricaturale, le premier serait le «bon soufi», le second le «méchant wahhabite», en réalité, comme toujours, les cases sont trop étroites et l’affaire plus complexe.
S’il est encore trop tôt pour affirmer que le CNSP a réalisé le putsch pour sauver l’ancien système, il ne fait néanmoins aucun doute qu’il a été préempté par les figures de celui-ci.
La violence des propos des responsables du M5-RFP au sortir des concertations nationales laisse présager la prolongation de la crise politique et sécuritaire au Mali puisque les milices ne seront pas dissoutes et que l’Accord de paix d’Alger continuera à végéter. Il est à craindre de probables épisodes plus violents que le coup d'État fort amical du 18 août dernier.