Les élections législatives se sont imposées au forceps, envers et contre tout, au risque de déclencher une crise politique alors que le Mali devait faire face à tant d’autres difficultés: sécuritaires bien sûr, mais aussi sanitaires, éducatives, entre pénuries d’eau, d’électricité, malnutrition, état des routes délabré, etc.
De nombreuses voix s’élevaient pour que ce scrutin soit reporté et plusieurs raisons plaidaient en ce sens. Le 25 mars, quatre jours avant le premier tour, un événement inédit s’est produit: l’enlèvement, par la Katiba Macina d’Hamadou Kouffa, du chef de file de l’opposition Soumaïla Cissé, alors qu’il était en campagne électorale dans sa région de Tombouctou.
À elle seule, cette prise d’otage aurait dû retarder ces élections. La lutte contre la propagation du coronavirus aurait, elle aussi, justifié un ajournement. D’autant que le Mali pouvait attendre puisque le scrutin avait déjà été reporté à trois reprises depuis 2018. Mais le Président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) est resté intraitable, enlèvement du principal opposant ou pas, déplacés ou pas, sécurité ou pas, couvre-feu ou pas. Voter était, selon lui, indispensable pour faire avancer… l’Accord d’Alger signé en 2015!
L’illusion démocratique
Résultat: peu de Maliens se sont rendus aux urnes. Hormis à Kidal où, et c’est assez savoureux, l’élection s’est très bien déroulée grâce à un accord politique signé entre la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et le RPM le parti d’Ibrahim Boubacar Keïta… en attendant la mise en œuvre de l’Accord d’Alger! Pour comprendre certains arcanes de la politique malienne, il faut avoir lu, relu, voire appris par cœur Le Prince de Machiavel.
Ailleurs dans le pays, non seulement l’abstention a été forte, mais les résultats de ce scrutin ont été très contestés. La Cour constitutionnelle a mis le feu en «repêchant» des candidats du RPM, bouleversant ainsi les résultats provisoires connus une semaine plus tôt. Parmi ces «rescapés» de la défaite figurent dix personnalités, dont le président de la nouvelle Assemblée nationale, Moussa Timbiné, un proche du Président de la République, et des députés du cercle de Koro, représentants des milices dogons. Et ce qui devait arriver arriva, ces corrections opportunément favorables au chef de l’État ont cristallisé les mécontentements. Plusieurs villes du pays –Kati, Bougouni, Sikasso, Mopti– ont été le théâtre de manifestations violentes.
Parallèlement à cette crise se développait une autre. Des soulèvements se sont propagés dans d’autres communes pour demander l’abrogation du couvre-feu. Lors d’une manifestation dans la ville de Kayes, située à l’ouest du pays, un jeune de vingt ans a été tué par la police. La situation a alors dégénéré, les émeutes se sont amplifiées, trois protestataires ont été abattus, deux commissariats ont été brûlés. À l’heure actuelle, la ville est toujours en proie à une extrême tension.
Finalement, les événements de Kayes ont réussi à faire oublier la contestation électorale. Ils ont également permis de faire passer à l’arrière-plan l’arrestation, aussi surprenante qu’inattendue, de Clément Dembélé, une figure de la lutte anticorruption. Officiellement, les autorités maliennes l’accusent de «sédition» pour s’être élevé contre l’ouverture du feu sur les manifestants désarmés de Sikasso. Officieusement, Clément Dembélé s’apprêtait à relancer des dossiers de corruption sur les contrats d’armement.
Au Mali, une crise vient toujours en cacher une autre. Pour autant, cela ne résout rien, l’Assemblée nationale restera entachée d’illégitimité jusqu’au prochain scrutin, ouvrant ainsi une crise postélectorale sur le long terme, à l’instar de la présidentielle contestée de 2018. Comme si le Mali avait besoin de renforcer ses fragilités…
«Un État Potemkine»
En 2018, deux chercheurs d’une université californienne ont publié une étude dans laquelle ils se demandaient si l’État malien n’était pas un «État Potemkine», une construction fictive dans laquelle le conflit jouait un rôle crucial dans la mesure où il offrait à ce pays «d'importantes opportunités de se mettre en scène, de développer et de multiplier les institutions, et d'obtenir un soutien extérieur».
Or, si ces soutiens extérieurs –Union européenne, Nations unies, France qui intervient militairement– contribuent à entretenir cette construction fictive, c’est à leur corps défendant. Ils ne cessent d’ailleurs de répéter à longueur de déclarations, de colloques que le terrorisme se nourrit de la déliquescence des États. Mais «en même temps», ils continuent à maintenir le Mali sous perfusion au nom d’arguments dignes du café du Commerce –«On sait ce qu’on a, on ne sait pas ce qu’on perd» «Qui pour remplacer le Président si le système s’écroule?»– qui leur tiennent lieu de politique. Le très noble principe de souveraineté est également rabâché pour justifier le silence devant les fraudes électorales, l’inaction de la Minusma lorsqu’il s’agit de protéger les populations, alors que c’est pourtant une des principales missions de son mandat, etc.
Récemment, le commandant de la force Barkhane s’est félicité des «victoires tactiques» remportées par l’armée française et des pressions mises sur un «ennemi aux abois». Le choix du vocabulaire n’est pas innocent, le général Pascal Facon n’ignore pas que la multiplication de «victoires tactiques» n’a jamais permis de victoire stratégique, en clair, de gagner la guerre. Quant à l’expression «l’ennemi aux abois», elle avait déjà été utilisée deux ans plus tôt par son prédécesseur, la suite est connue...
Le développement est l’autre cheval de bataille des acteurs extérieurs qui prônent tous cette devise: «Il n’y a pas de développement sans sécurité, ni de sécurité sans développement.» Cependant, la litanie de tous les maux vécus par les Maliens citée au début de cet article prouve l’inefficacité des efforts internationaux pour reconstruire le pays. Surtout, ne changeons rien. Et pourtant, comme l’écrit un journaliste malien avec sa plume trempée dans le vitriol, «on ne cache pas la fumée d’une maison qui brûle».