Urgence Identité Afrique: les enfants «fantômes» ont désormais leur fonds

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Parce que moins de la moitié des naissances en Afrique sont déclarées et enregistrées à l'état civil, Urgence Identité Afrique, un fonds placé sous les auspices de la Fondation Roi Baudouin, vient d’être créé. Son délégué général, André-Franck Ahoyo, explique à Sputnik pourquoi l’enregistrement de ces enfants jusqu’ici «fantômes» est fondamental.

«En travaillant main dans la main avec les gouvernements africains, nous souhaitons mettre en commun nos énergies, expériences et expertises pour réduire de façon significative le nombre d’enfants fantômes d’ici à 2030», a déclaré mercredi 16 septembre le délégué général d’Urgence Identité Afrique, UIAfrica, André-Franck Ahoyo, à l’occasion du lancement officiel de cette initiative de la société civile à Paris et à Bruxelles.

© Photo UIAfricaAndré-Franck Ahoyo est délégué général du nouveau fonds Urgence Identité Afrique
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André-Franck Ahoyo est délégué général du nouveau fonds Urgence Identité Afrique

À la tête de l'équipe opérationnelle qui va gérer ce nouveau fonds appelé «UIAfrica»,  ce juriste béninois -qui vit en France- entend «promouvoir la création d'une culture de l’enregistrement des naissances à l’état civil» qui soit désormais partagée par toutes les parties prenantes, «depuis les parents jusqu’à l’État».

«UIAfrica doit surtout aider les États à atteindre l’Objectif 16.9 de développement durable qui prévoit de garantir à tous, d’ici à 2030, une identité juridique, notamment grâce à l’enregistrement des naissances. On peut donc s’attendre à une progression raisonnable de l’ordre de 30% de l’enregistrement des naissances dans les pays concernés», a précisé André-Franck Ahoyo au micro de Sputnik France.

Pour lui, les «enfants fantômes», c’est-à-dire les enfants privés d’identité légale faute de déclaration administrative à la naissance, sont une réalité bien vivante. En 2014, le livre de Laurent Dejoie et Abdoulaye Harissou (Les enfants fantômes, Albin Michel) avait révélé leur existence, souvent ignorée du grand public. Depuis, de nombreuses personnalités et organisations de la société civile se sont coalisées pour leur venir en aide.

«Le 16 septembre représente une étape symbolique. Je suis pour ma part déterminé à aider plus d'enfants à avoir une identité légale afin que chaque nouvelle naissance devienne une chance pour cet enfant, sa famille, son pays et le continent africain», a déclaré lors du lancement le président d’Urgence Identité Afrique, Me Abdoulaye Harissou, qui en est le cofondateur avec Me Amadou Moustapha Ndiaye.

© Photo UIAfrica Maitre Abdoulaye Harisou, qui a cofondé le fond Urgence Identité Afrique, est lui même un ancien enfant fantôme
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Maitre Abdoulaye Harisou, qui a cofondé le fond Urgence Identité Afrique, est lui même un ancien enfant fantôme

Placée sous les auspices de la fondation belge Roi Baudouin, UIAfrica vise à mobiliser «des fonds essentiellement privés provenant de la philanthropie et du mécénat», selon ses fondateurs.

À l’instar du Fonds en faveur des victimes de violences sexuelles du Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la paix, UIAfrica accueillera des fonds publics «au cas par cas» en veillant à ce que ces derniers «ne remettent pas en cause notre indépendance et notre gouvernance», précise André-Franck Ahoyo.

Plus de 115 millions d'enfants africains sans identité légale

À ce jour, selon la Banque mondiale, plus de 500 millions d’Africains ne peuvent pas prouver leur identité. Pour les moins de cinq ans, selon Unicef, ce chiffre est de «95 millions d’enfants sans existence légale». Et si les tendances actuelles se poursuivent, «plus de 115 millions d'enfants de moins de 5 ans seront sans identité légale d’ici à 2030», selon cette agence des Nations unies dédiée à l’enfance.

Pour le délégué général d’UIAfrica, ces estimations «donnent le tourni» et montrent, s’il en était besoin, l’ampleur du problème. Des solutions, toutefois, existent:

«Notre fonds souhaite travailler prioritairement sur le flux (les nouveaux-nés) et pas sur le stock (adolescents et adultes). Car c’est en s’attaquant aux causes de ce fléau que l’on pourra inverser de manière sensible la tendance qui semble, aujourd’hui, être affectée par les conséquences de la pandémie de Covid-19», commente André-Franck Ahoyo.

La déclaration et l’enregistrement des naissances sont des actes administratifs et volontaires qui confèrent la qualité de citoyen et octroient des droits fondamentaux. Toutefois, selon le délégué général d’UIAfrica, «l’extrême pauvreté, le déficit d’information, le poids des traditions, les conflits armés et la pandémie actuelle de Covid-19 constituent autant d’entraves majeures à la consolidation de l’état civil en Afrique», explique-t-il.

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Cela crée, selon lui, un véritable frein au succès de l’Objectif de développement durable des Nations unies avec une cohorte d’enfants «sans aucun droit reconnu dans leur propre pays». Or, cette absence d'identité légale constitue un «risque majeur» en termes politiques, économiques, sociaux et sécuritaires car elle «expose ces enfants fantômes aux pires abus tels que les mariages précoces et/ou forcés des jeunes filles, les adoptions illégales, les violences sexuelles, la prostitution infantile, les enfants-soldats», avertit André-Franck Ahoyo.

Le test du Togo et du Sénégal

S’il n’a pas pour vocation à se substituer aux États africains, UIAfrica entend les accompagner dans leur politique d’identification «en travaillant avec les collectivités locales  en charge de l’état civil», préconise André-Franck Ahoyo.

Pour ce faire, explique-t-il, le fonds mettra en place le label «Commune zéro enfant fantôme» permettant de faire travailler, aux côtés des collectivités locales, les différents acteurs proches des populations cibles tels que le personnel médical, le personnel d’enseignement primaire, les chefs de village, les chefs religieux ou les associations villageoises. Le but est de rendre la démarche d’enregistrement des naissances «incitatrice» et «source d’émulation».

«Il faut pouvoir donner une chance à tout nouveau-né de devenir un citoyen à part entière afin que toute nouvelle naissance devienne une chance pour lui, sa famille et son pays», insiste André-Franck Ahoyo.

Même si le fonds a vocation à travailler sur toute l’Afrique, l’Afrique subsaharienne sera privilégiée: «C’est la partie du continent qui présente le taux d’enregistrement des naissances le plus bas», affirme-t-il. Avec, donc, dans un premier temps, le choix de deux pays pilotes -le Sénégal et le Togo- afin de mieux concentrer les efforts.

«Toutefois, nous répondrons également, en fonction de nos ressources, à toutes les sollicitations qui nous seront adressées. À l’instar de notre gouvernance, nous sommes ouverts à toutes les aires linguistiques du continent: francophone, anglophone et lusophone voire hispanophone», précise-t-il.

Même si la tâche s’annonce dantesque, elle n’en est pas moins «exaltante» et «passionnante», et «pas insurmontable», affirme André-Franck Ahoyo avec optimisme. Il considère, que la trajectoire de vie de millions d’enfants peut être radicalement changée, à l’instar de celle d’un des cofondateurs d’UIAfrica, Me Harissou, notaire honoraire au Cameroun et ancien président des notaires d’Afrique, qui a été lui-même un enfant fantôme.

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«Parce qu’une bonne âme s’est penchée sur sa situation à un moment donné, sa vie en a été bouleversée. Aussi souhaite-t-il, avec son complice de toujours, Me Ndiaye qui est notaire au Sénégal, contribuer à offrir cette même chance aux millions d’enfants encore pris en étau. À eux deux, ils possèdent une grande légitimité sur cette question», affirme-t-il.

Pour lui, la dynamique observée sur le continent africain depuis une dizaine d’années en faveur d’une accélération de l’enregistrement des naissances est réelle. Elle a notamment abouti, fait-il remarquer, à l’organisation d’une journée africaine de l’identité (célébrée chaque année le 10 août, ndlr) et à la déclaration de la décennie 2017-2026 par l’Union africaine en tant que «Décennie du repositionnement de l'enregistrement des faits d'état civil et des statistiques de l'état civil en Afrique».

«Une véritable volonté politique des États africains existe pour éradiquer cette tare, mais il faudrait pouvoir l’accompagner raisonnablement tout en respectant les prérogatives des uns et les engagements des autres», conclut-il.
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