Penda Mbow: «Il y a comme une folie collective qui s’installe au Sénégal»

© AFP 2024 SEYLLOUUne femme manifeste contre les violences faites aux femmes à Dakar, le 25 mai 2019.
Une femme manifeste contre les violences faites aux femmes à Dakar, le 25 mai 2019. - Sputnik Afrique
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Alors que les crimes et les violences contre les femmes ne cessent d’augmenter, le Sénégal a réagi en adoptant une loi criminalisant le viol et la pédophilie. L’historienne Penda Mbow analyse pour Sputnik France les dérives d’une société en pleine mutation. Entre religiosité et conservatisme, le vivre-ensemble à la sénégalaise serait-il compromis?
«Le Sénégal est un pays qui a beaucoup de ressort. Par exemple, la tentative (lors de l’élection présidentielle de 2000, ndlr) d’instrumentaliser les confréries religieuses a conduit à le tenue d’Assises nationales (1er juin 2008-24 mai 2009). L’héritage commun de la démocratie, personne ne prendra le risque de le remettre en question. À condition que l’on aille vers un approfondissement de cette démocratie car il ne faudrait pas qu’elle devienne fossoyeuse de la République», s’est insurgée l’historienne Penda Mbow au micro de Sputnik France.
© Photo pendambowPenda Mbow, historienne, milite pour le dialogue interreligieux au Sénégal et la préservation de la Téranga.
Penda Mbow: «Il y a comme une folie collective qui s’installe au Sénégal» - Sputnik Afrique
Penda Mbow, historienne, milite pour le dialogue interreligieux au Sénégal et la préservation de la Téranga.

Invitée Afrique de Sputnik France à l’occasion de la célébration de la journée internationale de la femme, le 8 mars, Penda Mbow, cette «activiste du droit féminin en Islam» comme elle aime à se définir, a défrayé la chronique dans son pays. En septembre dernier, elle s’était prononcée publiquement contre le port du voile islamique et donc en faveur de l’interdiction faite par l’école Jeanne d’Arc de Dakar du port du hijad par ses élèves. Sauf que l’institution a fini par reculer et réintégrer les jeunes filles qui avaient été expulsées parce qu’elles refusaient d’enlever leur voile.

Une décision qui a outré l’ancienne ministre de la Culture, par ailleurs grande militante du dialogue interreligieux au Sénégal, en plus de son engagement de toute une vie en faveur des libertés civiques. Ce qui lui a valu de recevoir à Rome, le 22 mai 2011, le prestigieux prix pour la paix Jean Paul II décerné par le Vatican. Avant de devenir, à partir de 2012, la représentante personnelle du Président Macky Sall auprès de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), institution auprès de laquelle elle fait valoir les valeurs de tolérance et vivre-ensemble à la sénégalaise, aussi appelées «Téranga».

«Qu’on le veuille ou non, le fait de voiler la femme est le symbole de la soumission et ce n’est pas ce que l’islam –si on le lit bien– nous demande. Pourquoi de surcroît l’imposer à des fillettes? Il faut leur laisser le choix, plus tard, de décider. Dans nos écoles, en tout cas, il faut veiller à ce qu’il n’y ait de distinction ni entre les riches et les pauvres, ni entre les religions. Car l’école est l’institution par excellence pour former les citoyens et gommer les inégalités. Or, porter le voile est un signe distinctif qui n’est conforme ni à l’islam, ni à notre culture sénégalaise», a martelé Penda Mbow au micro de Sputnik France.

La question identitaire

Elle regrette également que, prises en étau entre des valeurs contradictoires, les femmes africaines musulmanes soient les premières à faire les frais d’un «choc des civilisations». Ce concept, élaboré par le politologue Samuel Huntington, professeur de sciences politiques à Harvard, dans un livre éponyme publié en 1996 résume le mieux, selon elle, ce que le continent dans son ensemble est en train de vivre, tiraillé qu’il est «entre Occident et islam, ancienne métropole et monde colonisé», argue-t-elle.

«Moi, en tant qu’Africaine, la question que je me pose est d’abord identitaire: est-ce que je veux rester ce que je suis ou bien me métamorphoser et accepter d’autres valeurs qui viennent d’ailleurs, que ce soit d’Occident ou du monde arabe, même si nous sommes et restons des musulmanes?», se demande l’historienne des religions.

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Or, dans des sociétés africaines en pleine mutation, qui craquent de tous les côtés sous le poids démographique et celui de l’urbanisation poussée, sa réponse est sans détour quant à la question de la préservation de son identité, que ce soit sur les plans religieux, sociétal ou politique.

«L’institution Jeanne d’Arc est peuplée de chiites libanais qui ont d’autres projets de société pour leurs enfants que nous, les femmes sénégalaises. On peut vivre avec mais on ne peut pas faire nôtre la manière de vivre de ces chiites libanais, des wahhabites saoudiens ou bien des Occidentaux en ce qui concerne, par exemple, les droits des homosexuels (au mariage), sauf à perdre notre propre identité culturelle», insiste-t-elle.

Récemment, le débat sur l’homophobie –réelle ou supposée– du Sénégal a soulevé beaucoup d’émotion. Le Président Macky Sall a, à nouveau, dû s’exprimer sur ce sujet à l’occasion de la visite à Dakar du Premier ministre canadien Justin Trudeau, en février dernier. Lors d’une conférence de presse, la question lui a été posée de savoir en quoi des lois interdisant l’homosexualité au Sénégal ne relevaient pas de l’homophobie. Il a répondu que l’islam n’autorisait pas cette préférence sexuelle et encore moins les mariages gays.

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Pour Penda Mbow, le repli du Sénégal sur cette question s’explique par les bouleversements dans la société qui provoquent une «religiosité» et un «conservatisme accru», y compris de la part des jeunes générations. À telle enseigne que ce qui était accepté hier ne l’est plus aujourd’hui comme pour les «hommes/femmes» (goor djiguène, en wolof) qui ont, pourtant, toujours été acceptés et jouent même un rôle clé lors de certaines cérémonies familiales.

«Compte tenu de la montée de l’islam chez nous et de sa non-acceptation de l’homosexualité, plus l’Occident exercera de pression, plus ils (les homosexuels) seront rejetés. Au-delà de la question de l’homophobie, c’est davantage l’opposition entre deux idéologies et deux mondes qui se fait jour», explique-t-elle.

Dégradation des mœurs

Quant à la nouvelle loi, dont le Président Macky Sall a signé le décret d’application le 10 janvier dernier, pour criminaliser le viol et la pédophilie au Sénégal, elle se réjouit de cette nouvelle protection offerte aux femmes pour les aider à sortir des violences sexuelles. Mais elle doute qu’une loi, seule, parvienne à faire évoluer les mentalités face à ce qui pourrait apparaître comme une dérive jamais égalée des mœurs au Sénégal «mais n’est, peut-être, que de la violence psychologique d’hommes et de femmes qui se sentent de plus en plus déracinés», se risque-t-elle.

«Dans ce qui apparaît aujourd’hui comme une recrudescence des viols et des crimes sexuels en tout genre, il y a beaucoup d’éléments que nous ne maîtrisons pas. Par exemple, un cas qui a défrayé la chronique, c’est celui d’une jeune fille ayant commis un infanticide. Or, il apparaît que c’est son féticheur qui le lui aurait demandé. Il lui a dit: ‘si tu n’assassines pas ta petite fille, les djinns vont te poursuivre.’ Il y a effectivement comme une folie collective qui s’installe dans ce pays», déplore Penda Mbow.

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Le vote de la loi est intervenu après plusieurs crimes sexuels particulièrement odieux contre des jeunes femmes qui ont suscité beaucoup d’indignation. Or, selon les chiffres compilés par l’Association des juristes sénégalaises, l’association la plus active au Sénégal pour la défense des droits des femmes au sein de la famille, les violences domestiques y compris au sein du couple sont en constante augmentation. Qu’est-ce que cette loi va changer?

«Les femmes oseront, sans doute, davantage porter plainte. Mais aujourd’hui, il y a quelque chose qui ne va plus. Notre société est vraiment malade. C’est pourquoi il va falloir aller vers d’autres formes d’éducation et de sensibilisation pour contenir toute cette violence psychologique», s’indigne Penda Mbow.
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