Covid-19: Bataille politique sur les mosquées au Maroc

© AFP 2024 FADEL SENNALa mosquée Hassan II à Casablanca, Maroc.
La mosquée Hassan II à Casablanca, Maroc. - Sputnik Afrique
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Depuis près de quatre mois, les 52.000 mosquées que compte le Maroc sont fermées. Même après le déconfinement partiel décrété depuis peu dans le pays, leurs portes restent closes. Des fidèles en sont mécontents et des politiques tentent d’en profiter.

Vendredi 3 juillet. D’ordinaire, c’est jour de grande prière collective pour les Marocains, musulmans dans leur majorité. Ce jour-là, l’esplanade entourant la mosquée de Hassan II est remplie de promeneurs. À l’intérieur de ce lieu de culte, le plus grand du Maroc et l’un des plus importants au monde, il n’y a pas âme qui vive. Depuis le 16 mars dernier, la mosquée est fermée, comme les 51.999 autres du royaume, selon les chiffres officiels. Seuls les appels des muezzins à la prière, lancés cinq fois par jour, redonnent vie à ces lieux sacrés.

«La préservation de la vie contre tous les périls prime, du point de vue de la charia, sur tout autre acte», y compris le culte, expliquait le Conseil supérieur des oulémas quand il avait décidé, à la mi-mars, la fermeture de l’ensemble des établissements religieux du pays.

L’objectif de cette instance, directement placée sous l’autorité du roi en sa qualité de Commandeur des croyants et seule habilitée à se prononcer sur les questions du culte, est d’éviter que les prières collectives ne donnent lieu à des contaminations massives. Un risque apparemment toujours à l’ordre du jour, même après le déconfinement quasi généralisé décidé depuis le 25 juin dernier et qui a épargné les lieux de prière en les maintenant fermés.

Une église, image d'illustration - Sputnik Afrique
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Dans sa dernière déclaration, datée du 10 juin, le Conseil a fait savoir que «la réouverture des mosquées aura lieu en temps opportun, en pleine coordination avec le ministère de la Santé et les autorités compétentes, en tenant compte de l'évolution de la situation épidémiologique dans le pays». Deux principaux arguments sont apportés. Le premier est d’ordre religieux, du fait de la proximité rituelle des fidèles pendant la prière. Le deuxième relève de l’impossibilité logistique: du personnel en grand nombre, des tonnes de produits désinfectants et de gel hydroalcoolique seraient nécessaires si les 52.000 mosquées venaient à rouvrir.

Néanmoins, certains fidèles se posent des questions, à travers les réseaux sociaux, sur le maintien de la fermeture des établissements religieux. Ils affirment ne pas comprendre la décision des autorités, la jugeant sélective. Pour eux, si les usines, cafés et restaurants ont rouvert, les lieux de prière devaient naturellement l’être aussi.

Au-delà de la contestation virtuelle, à Larache, petite ville côtière du nord du pays, un groupuscule de manifestants est sorti dans la rue sous un soleil de plomb, mardi 30 juin. Devancés par des jeunes qui portaient le drapeau national, ils scandaient à l’unisson: «Usines ouvertes, mosquées fermées.»

La vidéo de la marche a été postée le même jour sur Facebook. En la visionnant, certains commentateurs s’attardent sur le non-respect des règles préventives de distanciation toujours de mise dans le pays. D’autres, plus nombreux, appuient ce mouvement de protestation.      

La plupart des commentateurs de cette vidéo applaudissent les manifestants et appellent à leur tour à la réouverture des mosquées.    

À première vue, rien de plus normal que de voir des fidèles exprimer, pacifiquement, leur impatience de reprendre leurs prières collectives. Sauf que la politique n’est jamais loin.

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Preuve en est la déclaration d’Al Adl Wal Ihsane («justice et bienfaisance» en arabe), au lendemain de la manifestation de Larache. Cette association politique islamiste marocaine, non officiellement reconnue, a publié une tribune sur son site. Signé par Abdessamad Rida, le coordinateur de la commission scientifique d’Al Adl Wal Ihsane, ce brûlot reprend les mêmes parallèles faits par les protestataires. En plus des cafés et usines ouverts face aux mosquées fermées, il y est question aussi de hammams et de salles de sport ayant repris leurs activités.

Jugeant la décision des autorités «injustifiée», il écrit:

«Malheureusement, le Conseil supérieur des oulémas insiste sur le même point, celui des risques sanitaires liés à une éventuelle réouverture des mosquées. Mais il ne tient pas compte de l'évolution de la situation épidémiologique dans le royaume… Même les pays non musulmans ont trouvé un équilibre entre la sécurité sanitaire des fidèles et leurs besoins spirituels.»

Interrogé par Sputnik, Fathallah Arsalane, le porte-parole de l’association islamiste, estime que le gouvernement marocain doit trancher cette question en urgence. «Les Marocains attendent avec impatience la réouverture des mosquées. Les excuses données au début par les autorités ne sont plus valables aujourd’hui. Le flou n’est plus acceptable. C’est pour cela que nous réclamons une décision officielle rapide», explique-t-il.

Innocente concomitance?

Le jour de la parution de la tribune d’Al Adl Wal Ihsane, le parti de la justice et du développement (PJD, islamiste), est monté lui aussi au créneau sur le même sujet. Mercredi 1er juillet, son groupe parlementaire a demandé une prise de parole exceptionnelle au Parlement. Cette requête a été transmise officiellement au président de la Chambre des représentants. Elle a été rédigée au nom du chef du parti de la lampe (l’emblème du PJD) que dirige Saad Eddine El Othmani, qui n’est autre que le chef du gouvernement.

Sans ignorer que le gouvernement, aussi islamiste qu’il puisse être, n’est pas habilité à se prononcer sur l’ouverture des mosquées, un cadre du PJD explique:

«Nous avons recouru à l’article 152 du règlement intérieur en demandant à monsieur Ahmed Taoufik, ministre des Habous et des Affaires islamiques, des éclaircissements par rapport aux mesures préparées par son département pour les mosquées», précise à Sputnik Noureddine Karbal.

En réponse à la présomption d’instrumentalisation des mosquées en politique, ce député PJD et membre de la commission des Affaires étrangères, de la Défense nationale et des Affaires islamiques botte en touche. Ce faisant, il évite de parler directement de la revendication par les PJDistes de la réouverture des mosquées. Mais il n’est question que de cela dans la reprise sur leur site officiel de la teneur de la demande parlementaire d’urgence.

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«Comme on a décidé de vivre avec le virus en ouvrant la plupart des établissements, il faut que nous songions aussi aux mosquées… Surtout que les mosquées ont une place spéciale dans le cœur des fidèles. Dans des situations de crise comme celle que nous vivons aujourd’hui, la religion doit jouer son rôle et apaiser les angoisses des citoyens», argumente-t-il. Comme Fathallah Arsalane, le député PJD réfute toute coordination entre ce parti et Al Adl Wal Ihsane au sujet des mosquées.

Les propos de Noureddine Karbal ne satisfont pas les détracteurs de la ligne islamiste de sa formation politique. Pour eux, même s’il est difficile de prouver que la manifestation de Larache, la déclaration d’Al Adl Wal Ihsane et la demande de prise de parole du PJD relèvent de l’action coordonnée, il y a quand même anguille sous roche.

Contacté par Sputnik, le chercheur marocain spécialisé dans les questions de l'islam politique, Said El Akhal, n’y va pas par quatre chemins. Pour lui, ceux qui poussent les gens à protester pour l’ouverture immédiate des mosquées n’ont nul autre objectif que de faire pression sur l’État en vue de montrer aux peuples qu’ils sont les sentinelles de la foi.

«Leur véritable volonté est d’ériger les mosquées, à chaque fois qu’ils le peuvent, en tribunes où ils exercent leur dirigisme politique tacite au profit du parti islamiste. Maintenant que les prochaines élections approchent [législatives 2021, ndlr], ils peinent à voiler leurs visées électoralistes», analyse El Akhal.

Driss El Ganbouri abonde dans le même sens, en réponse à Sputnik. Ce politologue et chercheur marocain spécialiste de l'islamisme estime que les différentes réactions et prises de positions des parties au sujet des mosquées relèvent purement de la surenchère politique.

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«Fidèle à lui-même, Al Adl Wal Ihsan souffle sur les braises en ces temps de crise, comme il l’a toujours fait dans ce genre de situation. Il ne pouvait pas rater l’occasion d’exploiter cette question pour faire pression sur les autorités», ajoute-t-il.

Pour calmer les esprits et répondre, par anticipation, aux parlementaires du PJD, six conseils locaux des oulémas ont publié, vendredi 3 juillet, chacun un communiqué, appuyé pour certains par une vidéo. Leur principal message est on ne peut plus clair: «Rien n’est au-dessus de la préservation de la santé des citoyens. Même pas la prière dans une mosquée.»

Dans leurs appels, ils disent se référer au Conseil supérieur des oulémas, seule instance habilitée à se prononcer sur la question.

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