Affaire Ramid: le droit à la sécurité sociale gêne le ministre marocain des droits de l’Homme

© Photo Pixabay /ActivediaLe maillet du juge
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Droits de l’Homme et droits sociaux ne semblent guère faire bon ménage au Maroc. C’est ce que laisse croire la double affaire, abracadabrante, qui met à mal le ministre marocain en charge des Droits de l’Homme, Maître Mustapha Ramid et son collègue, ministre du Travail, Maître Mohamed Amekraz. Décryptage.

Jamila Bachar a passé plus d’une vingtaine d’années de bons et loyaux services comme secrétaire dans le cabinet de Me Mustapha Ramid. Elle l’a vu grandir, sur les plans politique et professionnel. Il est maintenant ministre. Elle est maintenant morte, dans la souffrance à cause de la maladie, après avoir passé la majeure partie de sa vie, et jusqu’à peu avant son décès, à travailler pour Monsieur Ramid. Sauf que ce dernier ne l’a jamais déclarée à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS).

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La sidérante nouvelle est parvenue à travers un enregistrement audio, largement diffusé sur WhatsApp le 18 juin dernier. Une voix anonyme, mais manifestement bien informée vu les détails révélés, y fait l’éloge de Jamila Bachar, décédée une huitaine de jours auparavant, avant de préciser qu’elle n’avait jamais bénéficié d’une couverture maladie.

Des internautes marocains se sont aussitôt saisis de ce scandale présumé pour critiquer vigoureusement l’illustre accusé. Le silence inhabituel de celui-ci, pourtant si prompt à communiquer sur les réseaux sociaux, semble confirmer la teneur du message anonyme qui l’accable. Ce témoignage embarrasse le ministre avocat, qui est une grande figure du parti islamiste au pouvoir, le PJD.

Sa défense l’enfonce

Au mutisme inexpliqué du dirigeant islamiste, qui perdure, se sont ajoutées les différentes tentatives de sauvetage maladroitement menées par Me Abdelghani Elidrissi, qui gère le cabinet de son oncle le ministre. Étrangement, ce dernier a même eu droit à des défenseurs insoupçonnés: la famille de la défunte. Les deux parties ont tenté d’étouffer le scandale en soutenant que c’était la regrettée secrétaire qui ne voulait pas être déclarée. Les proches de Jamila Bachar ont même posté une vidéo et publié un papier dûment signé et légalisé pour appuyer cette thèse.

Dans une lettre «explicative», largement relayée sur les réseaux sociaux, Abdelghani Elidrissi avance que Mustapha Ramid était depuis plusieurs années principalement occupé par ses responsabilités politiques et parlementaires plutôt que par les «affaires du bureau». «Nous n’avons découvert que feue Jamila Bachar n’était pas inscrite à la CNSS que l’année dernière. C’était une grande surprise pour nous et particulièrement pour Me Ramid, qui a ordonné aussitôt la régularisation de sa situation. Mais la défunte a décliné l’offre et a refusé de nous remettre une copie de sa carte d’identité nationale», justifie-t-il.

Témoignage de Me Abdelghani Elidrissi, avocat qui gère le bureau du ministre Mustapha Ramid.

De son côté, Hassan Bachar, père de la défunte, a lui aussi avancé pratiquement les mêmes justifications pour tenter de blanchir Ramid. Dans une lettre datée du samedi 20 juin 2020, il est même allé plus loin en louant la générosité du ministre: «Monsieur Ramid a donné à ma fille la somme de 230.000 dirhams [21161,28 euros, ndlr] après son refus… Il a également pris en charge les frais d’hospitalisation, qui s’élevait à 67.000 dirhams [6164,37 euros, ndlr]», souligne-t-il.

​Ces faux-fuyants exaspèrent les internautes marocains. Quelques heures après la publication de la lettre signée par le père, le hashtag #Ramid_degage a pris la tête des tendances sur Twitter au Maroc. Cette vague d’indignation continue de déferler sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes réclamant avec insistance la démission du ministre.

«Ramid est avocat. Il sait donc pertinemment que l’inscription à la CNSS est une obligation légale, pas une option proposée aux salariés pour qu’ils l’acceptent ou la refusent», s’indigne Abderrahim El Allam, politologue et spécialiste du PJD, parti dont il a longtemps côtoyé les militants, en réponse à Sputnik.

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Certains hommes politiques ont également réagi à l’affaire. Parmi eux, Jamal Rhmani, ancien ministre marocain de l’Emploi, et Rachid Hammouti, député du Parti du progrès et du socialisme (PPS).

Le premier a publié sur sa page Facebook un long post, dans lequel il rappelle le caractère obligatoire de la déclaration à la CNSS. Il reprend le texte de loi qui lui est consacré pour rafraîchir la mémoire du ministre contrevenant. Le deuxième a profité de son intervention au parlement ce lundi 22 juin pour poser une question au ministre du Travail sur la non-déclaration de certains ministres de leurs propres employés à la CNSS. L’emploi du pluriel n’était pas innocent.

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Quelques jours après la révélation du scandale Ramid, un autre a éclaté. Me Mohamed Amekraz, actuel ministre PJD en charge du Travail et de l’insertion professionnelle, est lui aussi accusé par le site d’information marocain Barlamane.com de n’avoir pas déclaré à la CNSS deux salariés de son cabinet d’avocat. Pourtant, le département qu’il dirige est censé être le protecteur des droits sociaux des travailleurs. Il chapeaute notamment les inspecteurs qui verbalisent les «fraudeurs sociaux».

Comme son collègue et camarade Ramid, Amekraz s’est indirectement défendu. Son cabinet a fait publier un démenti prétendant que tous les salariés étaient déclarés, mais personne ne veut le croire. Le site d’information marocain le360.ma indique que le ministre aurait tenté d’étouffer sa fraude présumée en régularisant la situation de ses deux salariés, vendredi 19 juin, par effet rétroactif. Mais sa manœuvre n’a pas échappé aux médias. Pour El Allam, «la double affaire Amekraz-Ramid n’est que l’arbre qui cache la forêt».

«Le scandale Jamila Bachar n’est pas un cas isolé. Malheureusement, plusieurs hommes politiques marocains fraudent. Ils ordonnent aux citoyens de respecter des règles et des lois qu’ils ne respectent pas eux-mêmes, surtout, pour ce qui est des droits sociaux de leurs salariés.
C’est grave, parce qu’ils sont censés donner l’exemple. J’espère vraiment que cette affaire va lever le voile sur ces pratiques illégales, mais courantes dans la scène politique marocaine. Il y a des milliers de Jamila Bachar qui sont aussi privés de leur droit à la sécurité sociale», conclut le politologue.

Parti islamiste ayant fondé sa crédibilité sur l’intégrité de ses cadres, dirigeants et militants, le PJD semble avoir été déstabilisé par la double affaire Ramid-Amekraz. Sa «commission d’intégrité et de transparence» a attendu plusieurs jours avant de tenir, vendredi 19 juin, une réunion extraordinaire.

Le parti de la lampe en mal d’éclairage 

«Après délibération, la commission a décidé d’auditionner Mustapha Ramid et ensuite soumettre un rapport au secrétaire général», peut-on lire sur le site du PJD. Aucune date de l’audition n’a été avancée et rien non plus n’a été dit concernant Amekraz. Ce dernier a même adressé un message à la deuxième chambre du parlement, qui a été transmis par écrit par son collègue au gouvernement, Mustapha Ramid. Il portait refus du ministre du Travail de venir répondre à la question posée par les représentants de la Confédération démocratique du travail (CDT) sur les affaires de non-déclaration à la CNSS. Les internautes n’en reviennent pas.

 

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