Le Premier ministre Joseph Dion Ngute a dévoilé dans un arrêté début avril le cadre relatif au plan de construction et développement du Nord-Ouest et Sud-Ouest du Cameroun, deux régions en proie à une violente crise séparatiste. Dénommé «Plan présidentiel de reconstruction et développement des régions du Nord-Ouest & Sud-Ouest», ce programme vise la réhabilitation et l’aménagement des infrastructures de base, la revitalisation économique et la promotion de la cohésion sociale.
«Cette démarche relève simplement de la fuite en avant et du déni de réalité. C’est véritablement un défi au bon sens et à la raison que de parler d’une reconstruction alors que la guerre est toujours en cours et que nous sommes loin d’y mettre un terme», affirme à Sputnik Franck Essi, secrétaire général de Cameroon people’s party (CPP), parti de l’opposition.
Dans le pays, l’initiative passe au crible des critiques diverses. Pour Wannah Immanuel Bumakor, spécialiste en gestion des conflits et de la paix, «la démarche est incohérente». Il s’agit, pense-t-il, d’un subterfuge pour faire baisser la pression internationale.
«Le pouvoir veut montrer au monde que la guerre est finie et qu’il n’est plus sensible aux pressions de la communauté internationale étant donné que les États-Unis et l’Union européenne exigent toujours un dialogue inclusif pour résoudre pacifiquement ce conflit», analyse l’expert au micro de Sputnik.
À Yaoundé, on semble presser le pas et le budget dédié au démarrage des opérations est déjà connu: plus de 90 milliards de francs CFA (137 millions d’euros) mobilisés par le gouvernement et les bailleurs de fonds. Le 15 avril dernier, Joseph Dion Ngute dévoilait les principaux chantiers prévus: reconstruction de 12.000 maisons, 40 ponts, 115 centres de santé, 600 km de routes, 400 points d’eau, 350 écoles, etc.
Même si, pour beaucoup, il semble prématuré de parler de reconstruction, cette initiative fait pourtant partie des résolutions du Grand dialogue national qui s’était tenu du 30 septembre au 4 octobre dernier à Yaoundé. Pour Anicet Ekané, membre de la commission Reconstruction lors de ces pourparlers de Yaoundé, par ailleurs président du Manidem (Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie), parti d’opposition, «on ne peut pas attendre que la guerre soit complètement finie».
«Toutes les zones qui sont plus ou moins sécurisées doivent déjà faire l'objet d'une attention particulière de l'État qui commence à créer des conditions pour un retour à la normale», confie-t-il à Sputnik.
Les préalables à la reconstruction
Si la volonté de Yaoundé est d’implémenter les résolutions issues du Grand dialogue national, ne faut-il pas constater qu’elles n’ont pas jusqu’ici permis de faire taire les armes dans les régions anglophones où les combats se poursuivent?
«Étant donné que ce conflit est une guerre asymétrique, les employés de ces chantiers seront des cibles faciles pour les combattants séparatistes qui voudront alors saper cette initiative», poursuit le spécialiste en gestion des conflits.
Le gouvernement multiplie les annonces qui laissent croire que la situation est de plus en plus sous contrôle, cependant, l’invalidation et la reprise des élections locales dans les circonscriptions des régions anglophones encore en crise apparaît comme la preuve qu'il est difficile d’y envisager, pour le moment, des actions de développement. Franck Essi souligne dès lors l’urgence «d’un cessez-le-feu» comme préalable à toute initiative de reconstruction.
«Il faut réussir à obtenir la fin des hostilités par la négociation politique», conseille-t-il
Un point de vue qui contraste avec celui d’Anicet Ekane, qui considère qu’«il serait difficile d'attendre que la zone soit totalement pacifiée car nous sommes désormais dans une confrontation entre l'État et les terroristes».
Difficile retour à la paix
En 2017, les séparatistes des régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ont pris les armes contre le gouvernement de Yaoundé pour réclamer la création d’un État indépendant. Depuis, les combats ont fait plus de 3.000 morts, selon des ONG, et au moins 70.000 déplacés.
«Avant de commencer la reconstruction, il va falloir que la région soit pacifiée. Il va falloir aboutir à un accord de paix entre les bandes armées et le gouvernement camerounais. C’est indispensable pour pouvoir lancer la reconstruction», a-t-il déclaré.
Comment y arriver, toutefois, alors que toutes les initiatives prises jusqu’ici semblent ne pas porter leurs fruits? Pour Franck Essi, il se pose encore un problème de diagnostic de la situation.
«Il faut, de manière inclusive, à travers un vrai dialogue politique, traiter les problèmes politiques, institutionnels, économiques, sociaux et humanitaires qui sont soit à l’origine de la crise, soit nés de la crise», suggère-t-il.
Après l’échec du Grand dialogue national, beaucoup appellent à l’organisation d’un véritable dialogue inclusif pour trouver une solution au conflit. Au début de cette année, le Forum des anciens chefs d’État et de gouvernement africains pour la paix, encore appelé le Forum Afrique, envisageait d’organiser ce mois d’avril à Nairobi au Kenya un colloque sur la situation au Cameroun.
«Il faut deux camps pour commencer une guerre et il en faut également deux pour y mettre fin», précise le spécialise de la gestion des conflits.
En attendant de trouver une solution efficace pour un retour à la normale, le gouvernement vient d’admettre l’implication de l’armée dans le meurtre de 13 civils, dont 10 enfants, en février dernier dans la région du Nord-Ouest séparatiste.Dans un rapport publié ce mardi 21 avril, la présidence a admis que les civils avaient été tués par trois militaires et des membres d’un groupe d’autodéfense, un massacre dans lequel Yaoundé avait jusqu'alors nié toute responsabilité de son armée.
Le gouvernement avait à l’époque affirmé que la mort de civils était la conséquence d'un «malheureux accident». Sous la pression internationale, le Président Paul Biya avait exigé l'ouverture d'une enquête sur la tuerie.