Qui est responsable de la mort de civils dans le Nord-ouest séparatiste du Cameroun?

© AFP 2024 COLIN DELFOSSEYaounde, Cameroun
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La controverse persiste au Cameroun au sujet d’une tuerie dans le Nord-ouest séparatiste. Alors que l’Onu annonce 22 morts, dont 14 enfants, Yaoundé conteste et parle de cinq victimes, parmi lesquelles quatre enfants, «conséquence collatérale» d’un accident au cours d’une opération de sécurisation. Des voix s’élèvent pour condamner ces atrocités.

Le conflit meurtrier opposant l’armée aux combattants séparatistes dans les régions anglophones du Cameroun continue de faire des victimes. Dimanche 16 février, le Bureau de la coordination des Affaires humanitaires (Ocha) de l’Onu a annoncé que le 14 février, des hommes armés avaient tué 22 civils, dont 14 enfants et des femmes, dans le Nord-ouest du Cameroun.

«Dans la plupart des cas, ils ont été tués par balle et leurs corps ont été brûlés dans des maisons qui ont été incendiées», a expliqué à RFI James Nunan, le chef d’Ocha pour les régions du nord-ouest et du sud-ouest, les deux provinces anglophones.

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Si l’Onu n’a pas évoqué les raisons de ce massacre, et encore moins l’identité des auteurs des atrocités, dans le pays, des voix s’élèvent pour condamner ce regain de violence qui sème la tristesse dans des villages.

«Village de Ngar, Donga Mantung–La souffrance, les tueries et la mort sont désormais la norme. Comment en sommes-nous arrivés là pour que la vie humaine perde toute sa valeur?», s’interroge l’opposant Akere Muna, dans un message sur Twitter.

Certains partis d’opposition et des ONG locales, sur la base de leurs sources, n’y sont pas allés par quatre chemins pour accuser le gouvernement et les militaires, qui combattent les groupes armés sécessionnistes anglophones, d’être volontairement responsables de cette tuerie.

«Des témoins oculaires rescapés et les autorités religieuses de la région accusent tous l’armée», peut-on lire dans un communiqué du collectif Stand up for Cameroon, un mouvement d’opposition.

Controverse autour du bilan

Pris à partie par de nombreuses déclarations et publications imputant la responsabilité à l’armée camerounaise, Yaoundé est sorti de son mutisme trois jours après le drame. Le porte-parole du ministère de la Défense, le colonel Atonfack Guemo, a démenti que les militaires avaient volontairement tué des femmes et des enfants, assurant dans un communiqué diffusé lundi 17 février que le drame était le résultat d’un «malheureux accident, conséquence collatérale des opérations de sécurisation dans la région».

«Les combats vont se poursuivre jusqu’à l’explosion de plusieurs contenants de carburant, suivi d’un violent incendie qui va affecter quelques habitations voisines. Cet incendie a fait cinq victimes, dont une femme et quatre enfants, bien loin de ce qui est relayé sur les réseaux sociaux», peut-on lire.

Alors que pour l’opposition, les coupables sont tout désignés, le ministère de la Défense, tout en regrettant «cet incident», a ouvert «une enquête approfondie», pour en savoir plus sur les responsabilités. Dans la même veine, Antonio Guterres, Secrétaire général des Nations unies, par la voix de son porte-parole, «a appelé le gouvernement camerounais à ouvrir une enquête et à prendre les dispositions nécessaires pour que les coupables répondent de leurs actes».

Cependant, dans le pays, la version des militaires a déclenché un grand tollé. Pour Hilaire Kamga, spécialiste des questions de droits de l’homme, le communiqué du gouvernement est en porte-à-faux avec la réalité.

«Le communiqué à une orientation précise, parce qu’il y a eu un tollé général au niveau national et international et que de manière directe, l’armée a été pointée du doigt. Il a fallu que le gouvernement camerounais, à travers la communication officielle de l’armée, puisse donner une position qui permette de trouver une porte de sortie. En réalité, c’est une communication de réaction», commente Hilaire Kamga au micro de Sputnik.

L’armée insiste, accusant «la propagande terroriste sécessionniste», d’avoir amplifié les faits sur les réseaux sociaux avec d’anciennes photos pour aggraver le bilan. Faux, selon Hilaire Kamga, qui pense que,

«La responsabilité est celle de l’armée. Elle a avoué son forfait, même si elle a voulu mentir sur les chiffres et les raisons. On parle d’opérations de sécurisation, mais comment peut-on massacrer les civils que l’on est censés protéger?», s’insurge-t-il.

Deux régions prises aux pièges des violences

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La communication gouvernementale de Yaoundé sur la crise des régions anglophones est parfois ambiguë. Alors que toutes les solutions à la crise séparatiste proposées jusqu’ici peinent à ramener la paix, le gouvernement a multiplié les annonces laissant croire que la situation est de plus en plus sous contrôle dans les deux régions anglophones. Au soir des élections locales du 9 février dernier, le ministre de l’Administration territoriale a salué la participation «massive» des populations de ces régions. Pour Hilaire Kamga, cette perception est loin de la réalité.

«Le gouvernement de Yaoundé veut faire croire que le grand dialogue national a produit des effets palpables sur le terrain. Mais la réalité finit toujours par nous rattraper, car au moment même où l’on parle d’accalmie, on parle d’opérations de sécurisation, les populations sont en train d’être massacrées. Après les villes mortes du lundi qui s’intensifient, vous avez les séparatistes qui continuent de tuer et l’armée aussi. La guerre s’intensifie, au contraire», se désole l’expert des droits de l’homme.

Pour rappel, fin 2017, les séparatistes des régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ont pris les armes contre le gouvernement de Yaoundé pour réclamer la création d’un État indépendant. Les tensions actuelles ont commencé en novembre 2016 sous forme de revendications corporatistes: des enseignants déplorant la nomination de francophones dans les régions anglophones et des juristes déplorant la suprématie du droit romain au détriment de la «Common Law» Anglo-saxonne. Depuis, les combats ont fait plus de 3.000 morts, selon les ONG, et au moins 70.000 personnes ont également été déplacées de leurs foyers.

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