Droits de l’Homme : «Le Cameroun doit faire preuve de volonté politique, sinon le chaos s’installera»

© AFP 2024 STRINGERDes hommes arrêtés par la police au Cameroun.
Des hommes arrêtés par la police au Cameroun. - Sputnik Afrique
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De la crise meurtrière en cours dans les régions anglophones du Cameroun à la situation alarmante des droits humains en Afrique centrale, Maximilienne Ngo Mbe, militante des droits de l’Homme et directrice exécutive du Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique Centrale (Redhac), décrypte pour Sputnik les sujets brûlants de l’actualité.

Militante des droits de l'Homme, Maximilienne Ngo Mbe est une figure majeure de la société civile au Cameroun. Connue pour son audace et son activisme, la directrice du Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (Redhac) lutte pour la protection des droits au Cameroun. Un combat difficile dans un pays où les plaintes pour violations des libertés fondamentales ne sont pas rares.

Plusieurs fois récompensée pour son engagement dans le domaine de la gouvernance et du respect des droits de l'Homme, la militante engagée est de ces femmes camerounaises qui osent. Dans cet entretien accordé à Sputnik, elle revient sur la situation des droits de l’Homme en Afrique centrale et passe en revue les sujets brûlants de l’actualité au Cameroun.

© Photo Max Ngo MbeMaximilienne Ngo Mbe, militante des droits de l’Homme.
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Maximilienne Ngo Mbe, militante des droits de l’Homme.

Sputnik: L’Afrique centrale est régulièrement citée comme étant une zone instable sur le plan politique. Quelle est, de manière globale, la situation en ce qui concerne le respect des droits de l’Homme dans les pays qui la compose?

Maximilienne Ngo Mbe: «Le recul des institutions démocratiques est incontestable en Afrique centrale. En général, les pays de cette partie du continent peinent à respecter les instruments régionaux des droits humains et de la démocratie tels que la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) ou la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (CADEG). Il en va de même pour les instruments internationaux tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), pourtant librement signés et ratifiés. Les violations les plus flagrantes concernent le droit aux libertés fondamentales (libertés d’association, d’opinion, de réunion, de manifestation et de presse qui se soldent régulièrement par des arrestations et détentions arbitraires) et le respect de l’État de droit qui se caractérise par la séparation effective des pouvoirs. Très souvent, le pouvoir exécutif a une grande influence, pour ne pas dire une forte mainmise sur les pouvoirs législatif et judiciaire. Ajoutons à ce tableau l’extrême pauvreté, la corruption endémique, le repli identitaire, mais aussi, la longévité au pouvoir des chefs d’État, les fractures sociales, la mauvaise répartition des richesses, le phénomène des crimes rituels, les crises postélectorales et le manque de volonté politique à trouver des solutions durables pour le bien-être des populations et leur sécurité.

Il faut néanmoins féliciter la République centrafricaine qui, depuis l’accord de paix de Khartoum (Soudan) de février 2019, a fait de nombreux efforts pour la mise en place de la commission Vérité justice et réconciliation (CVJR), en  collaboration de la société civile. Ensuite, notons l’apaisement démocratique en République démocratique du Congo, même si la consolidation des institutions démocratiques reste un défi à relever.»

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Maximilienne Ngo Mbe: «Le Cameroun devient de plus en plus un pays à risque quant aux défis liés au respect des droits humains et à la sécurité. Il y a de cela quelques années, les violations des droits de l’Homme étaient plus le fait des agents de la police. Mais maintenant, on constate qu’ils respectent davantage les droits humains. Il faut le dire et les encourager à continuer dans la même voix.

Aujourd’hui, les plus graves violations et les exactions sont commises par les forces de défense et sécurité, les autorités administratives et judiciaires (tribunaux militaires et civils) qui, dans un zèle incontrôlable et en toute impunité, décident de la vie ou de la mort des citoyens.»

Sputnik: Parlant toujours du Cameroun, il est actuellement le théâtre de crises multiformes dont la plus meurtrière est la guerre qui oppose l’armée aux séparatistes dans les régions anglophones. Quel est à ce jour,le bilan des exactions dans ce conflit?

Maximilienne Ngo Mbe: «Le bilan est très lourd. Il est difficile de donner les statistiques exactes compte tenu de l’interdiction formelle du ministre de l’Administration territoriale de permettre aux ONG faire leur travail de documentation. Néanmoins, au vu de nos investigations –qui ne représentent forcément qu’une partie de la réalité–, on peut dire qu’à ce jour, nous dénombrons au moins 4.000 morts (population et forces de sécurité confondues), au moins 1.500 personnes arrêtées et détenues arbitrairement. Ajouté à cela des milliers de disparitions forcées et exécutions sommaires et/ou extrajudiciaires, des centaines de villages incendiés, plus de 10.000 personnes en situation de crise humanitaire grave. Lorsqu’on évoque la thèse du génocide, ce n’est pas une plaisanterie.

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Sputnik: Plusieurs tentatives de résolution de cette crise séparatiste se sont soldées par un échec. Quelle est selon vous la voie de sortie?

Maximilienne Ngo Mbe: «En 2017, plus précisément le 1e octobre, le Redhac avait demandé au chef de l’État de ne pas envoyer les militaires dans les régions anglophones. Malgré cela, les militaires ont envahi ces zones et les conséquences sont là aujourd’hui. Pour nous, la sortie de la crise est simple. Elle doit passer par la mise en place d’une médiation internationale hors du Cameroun et de préférence dans un pays africain, la signature d’un accord de cessez-le feu, le retrait des militaires dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, la libération pure simple de tous ceux qui ont été arrêtés dans le cadre de cette crise (on en compte plus de 1.500 aujourd’hui), la négociation bilatérale pour trouver une solution inclusive et consensuelle aux revendications des séparatistes et des populations des régions anglophones.»

Sputnik: C’est pourtant dans cette atmosphère de crise que viennent de se tenir les élections locales. Était-ce prioritaire dans un climat aussi tendu?

Maximilienne Ngo Mbe: «L’un des principes de la démocratie, c’est les élections libres, transparentes et/ou l’un des indicateurs, c’est le vote du citoyen. Pour ce faire, il faut des dispositions fondamentales telles que la mise en place d’une Commission électorale nationale indépendante (CENI) conforme aux normes internationales et régionales et un code électoral consensuel et inclusif. À ces dispositions fondamentales, il faut ajouter des préalables subsidiaires comme l’environnement sociopolitique paisible, la sécurité humaine pour garantir à chacun le droit de voter. Pour nous, aucune de ces conditions n’a été respectée. À partir de ce moment-là, ces élections n’étaient pas nécessaires. Il est regrettable que le Président de la République, censé être au courant de ces dysfonctionnements, déclare dans son interview le jour de scrutin que le pays connaît des avancées démocratiques. Où les a-t-il vues? Comment les a-t-il mesurées? Je mets cette déclaration dans le sillage des discours politiciens.»

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Maximilienne Ngo Mbe: «Il est important de préciser que l’État du Cameroun a pris des engagements pour assurer aux populations le bien-être, la sécurité et le respect de leurs droits  humains. Il s’est également engagé en faveur de la mise en place d’institutions démocratiques pour tout le monde et pas pour une poignée de personnes. Le constat est clair: ces engagements n’ont pas été respectés. Nous devons le constater pour proposer une transition pacifique. Cependant, cette transition doit passer par la mise en place de la commission Vérité justice et réconciliation (CVRJ). Elle est différente du Grand dialogue national et devra statuer sur toutes les questions fondamentales que posent les Camerounais, notamment la vérité, la justice et la réconciliation.

La vérité, c’est se demander pourquoi on en est arrivé là? Décliner les responsabilités de chacun dans les crises que le Cameroun traverse (les commanditaires, les exécutants, les victimes etc.). La justice, elle, se doit d’être transitionnelle, civile et pénale. On doit faire prévaloir la justice transitionnelle et civile pour un véritable pardon ainsi que des indemnisations de toutes les victimes et familles. Et enfin la réconciliation, parce qu’on discutera de toutes les questions liées à la forme de l’État (fédéralisme, décentralisation, communautarisme, sécession).

On devra également revoir le paysage politique et associatif avec la pluralité d’associations et de partis politiques qui ne devrait pas exister. On prendra le soin de se faire accompagner par les personnalités africaines bien connues qui ont œuvré ailleurs pour la résolution des conflits et qui ont fait preuve d’impartialité. Ces médiateurs devront mettre sur pied et de façon consensuelle une équipe qui conduira toutes les réformes, y compris le recensement avant tout référendum.

Cependant, le pardon doit prévaloir dans le processus. C’est un impératif catégorique et le gouvernement du Cameroun doit absolument faire preuve de volonté politique. Sinon, le chaos s’installera à coup sûr.»

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