Élections au Cameroun: «boycott du boycott» ou «victoire de l’abstention»?

© AFP 2023 ALEXIS HUGUETLe Président Paul Biya aux urnes lors de l’élection présidentielle de 2018 à Yaoundé.
Le Président Paul Biya aux urnes lors de l’élection présidentielle de 2018 à Yaoundé. - Sputnik Afrique
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Les électeurs camerounais étaient attendus aux urnes ce 9 février, pour les élections législatives et municipales. Des élections dont le principal enjeu était la participation, une partie de l'opposition ayant appelé au boycott. Dans l’attente des chiffres officiels, des observateurs notent un fort taux d’abstention. La victoire du boycott?

En lançant les appels au boycott, certains partis politiques ont fait de la participation le seul enjeu des élections législatives et municipales du 9 février dernier au Cameroun. Environ 6,8 millions d'électeurs camerounais étaient attendus dans les 26.336 bureaux de vote que compte le pays. Si les élections se sont déroulées sans grand incident, même dans les régions anglophones en crise, la participation à ce double scrutin, de l'avis de plusieurs observateurs, a été assez faible.

Pour Jean-Marc Bikoko, coordonnateur de la Dynamique citoyenne, un réseau qui revendique plus de 1.000 observateurs sur l’ensemble du territoire, «le taux de participation tourne autour de 35%, donc vous pouvez imaginer le taux d'abstention».

«Ces élections affichent le taux de participation le plus bas que le Cameroun ait connu. On sait que dans les grandes agglomérations, les Camerounais ont perdu la motivation pour aller voter. Mais dans la région du Sud, pourtant reconnue comme étant le fief de Paul Biya, le taux de participation se situe seulement entre 32% et 35%», constate l’observateur au micro de Sputnik.

À Yaoundé comme à Douala, au terme des opérations de dépouillement, plusieurs observateurs ont relevé qu'à peine plus du tiers des électeurs s'étaient rendus aux urnes. Candidat du Social Democratic Front (SDF) et conseiller municipal à la mairie de Douala 5e, Carlos Ngoualem témoigne:

«Dans nos fiefs traditionnels, nous avons gagné partout, mais le taux de participation était très faible», déclare-t-il sur son compte Facebook.

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Si, pour l’instant, l’organe en charge de l’organisation des élections n’a pas rendu publics les chiffres officiels de la participation, la bataille des tendances a d’ores et déjà commencé. Face à la presse, au soir des élections, Paul Atanga Nji, le ministre de l’Administration territoriale, rame à contre-courant et affirme que le taux de participation est satisfaisant.

«L'appel au boycott lancé par certains responsables de partis politiques qui, en réalité, ont eu peur de participer aux élections, a été ignoré par l’immense majorité des Camerounais», a-t-il déclaré lors du point de presse.

Pour le ministre, «le boycott a été boycotté», même dans les régions en crise du Nord-Ouest et du Sud-Ouest anglophone qui représentent 15% des électeurs inscrits et où les séparatistes avaient également promis de perturber le vote, menaçant de s'en prendre aux électeurs qui oseraient se rendre aux urnes.

«S’agissant des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, les populations sont sorties massivement pour accomplir leur devoir civique dans toutes les circonscriptions administratives», a-t-il affirmé, satisfait.

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Et pourtant, si des incidents majeurs n’ont ont pas été enregistrés grâce à la forte militarisation déployée pour l’occasion, cette déclaration est loin de faire l’unanimité. De l’avis de nombreux observateurs sur le terrain, les opérations de vote se sont déroulées dans une timidité encore plus prononcée que dans les autres villes du pays.

Pour Jean-Marc Bikoko, habitué à la guerre des chiffres au lendemain des consultations électorales au Cameroun, les déclarations du ministre de Paul Biya ne surprennent plus. «De ce que j’ai vu ici à Buea (chef-lieu du Sud-Ouest Ndlr), les seules personnes qui sont venues voter étaient les militaires et les élites locales. La majorité de la population est restée chez elle», a confié un autre observateur. 

«Le pouvoir en place nous a habitués à la fabrication de chiffres surréalistes. On ne sera pas surpris d’entendre parler d’un taux de participation de 45% à 50% pour masquer la réalité. D’ailleurs, le ministre de l’Administration territoriale a déjà commencé à aller dans ce sens avec sa sortie médiatique», argue Jean-Marc Bikoko.

En effet, la participation est un enjeu essentiel pour le pouvoir de Yaoundé, après la crise postélectorale née de la dernière présidentielle. Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, veut ainsi faire valoir les «avancées de la démocratie» au Cameroun et la sécurisation des régions séparatistes.

La victoire de l’appel au boycott?

Répondant à une question de la télévision nationale à la sortie de son bureau de vote, après avoir exercé son devoir civique, le Président camerounais n’a pas manqué railler ses rivaux en taxant de «petits partis politiques» ceux qui ont appelé au boycott.

«Je saisis cette occasion pour demander à tous mes compatriotes de faire leur devoir en allant au vote, contrairement aux appels au boycott de certains petits partis politiques», a-t-il déclaré.

En effet, quelques formations politiques –parmi lesquelles le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) de Maurice Kamto, principal challenger de Paul Biya à la présidentielle d’octobre 2018– avaient appelé au boycott de ce double scrutin. Depuis, l’enjeu de ces élections s’est focalisé sur la participation. En réponse à cela, le mot d’ordre du parti au pouvoir était «le boycott du boycott», à grand renfort d’arguments et de slogans. Et déjà, devant la timide participation de la population et s’appuyant sur des chiffres encore non officiels, les partisans du boycott crient leur victoire.

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Cependant le «succès de l’abstention» est-il à mettre au seul compte des appels au boycott? Pas seulement, rétorque David Eboutou, analyste politique et consultant permanent d’une télévision privée basée à Douala. Pour lui, au-delà de «l’impact de l’appel lancé par le MRC, arrivé deuxième à la dernière présidentielle avec officiellement 14,23% des suffrages exprimés, soit environ 500.000 électeurs», il y a également une lassitude des citoyens.

«Le fort taux d’abstention s’explique aussi par un relâchement pour la chose politique de la part des Camerounais qui reprochent à l'État d'être encore trop impliqué dans le processus organisationnel. Autres raisons: la conjoncture sécuritaire dans les régions anglophones et la conjoncture économique, qui détournent les Camerounais de la politique», commente-t-il au micro de Sputnik.

Pour Jean-Marc Bikoko, les raisons de ce manque d’engouement sont aussi à chercher dans le dépit des populations.

«L'occasion fait le larron. Ceux qui ont lancé les appels au boycott se sont simplement arrimés au dépit des populations. Les Camerounais en ont assez et ne croient plus au système électoral. En appelant au boycott, les partis de l’opposition savaient que ce n'est pas pour répondre à leur appel que les citoyens n'iraient pas voter, ils savaient que les Camerounais eux-mêmes n'y croient plus», souligne l’observateur.

Mais si on exclut le sujet de la participation, qui fut principal enjeu de ce double scrutin, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) de Paul Biya est quasiment assuré de rafler une nouvelle fois la mise. Le parti, qui jouit déjà d’une majorité écrasante à l’Assemblée nationale –148 sièges sur 180– avait de plus face à lui 49 partis d’opposition.

Sans véritable suspense, donc, dans l’attente de leur proclamation, les résultats exacts des élections municipales devraient être connus soixante-douze heures après la clôture des bureaux, ceux des législatives d’ici à vingt jours.

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