Boycott des élections locales au Cameroun, que cache la démarche de Maurice Kamto?

© REUTERS / Zohra BensemraMaurice Kamto annonce au cours d'une conférence au siège de son parti à Yaoundé le 25 novembre 2019 qu'il ne participera pas aux élections locales de 2020.
Maurice Kamto annonce au cours d'une conférence au siège de son parti à Yaoundé le 25 novembre 2019 qu'il ne participera pas aux élections locales de 2020. - Sputnik Afrique
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Évoquant la crise meurtrière dans les régions anglophones du Cameroun et dénonçant le système électoral qu’il juge non consensuel, Maurice Kamto, le principal opposant de Paul Biya, a annoncé que son parti ne participerait pas aux élections locales du 9 février 2020. Une décision diversement interprétée dans l’opinion. Décryptage.

Sa décision a résonné comme un coup de tonnerre dans le ciel politique camerounais. Alors que son parti, le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), procédait comme beaucoup d’autres à l’investiture de ses candidats en vue des élections législatives et municipales prévues le 9 février 2020, Maurice Kamto a fait volte-face à la surprise générale. 

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Lors d'une conférence de presse organisée à Yaoundé, lundi 25 novembre, le principal challenger de Paul Biya à la présidentielle de 2018 a annoncé que son parti ne prendrait plus part à ces élections locales et a appelé au boycott.

«Le MRC appelle les Camerounais à ne pas aller voter et à rester chez eux le 9 février 2020 afin de ne pas cautionner des élections qui ne ramèneront pas la paix dans le pays, ni ne déboucheront sur un choix libre et transparent (…)», a écrit Maurice Kamto dans sa déclaration.

Une décision qui en a surpris plus d’un, même à l’intérieur du parti où beaucoup de militants affûtaient déjà les armes pour aller à la conquête des postes dans les circonscriptions électorales à travers le pays. Pour Me Emmanuel Simh, vice-président du MRC, bien que certains militants aient manifesté des «signes de mécontentement», les dirigeants du parti ont eu de bonnes raisons.

«Vous savez, tout le monde ne peut pas avoir le même niveau d’information. Mais le directoire a pris cette décision pour le bien général», a-t-il confié au micro de Sputnik.

Au chapitre des raisons de ce boycott, Maurice Kamto, libéré le 5 octobre dernier, après plus de huit mois de prison, à la suite de l’arrêt des poursuites judiciaires ordonnées par Paul Biya, évoque principalement la crise séparatiste en cours dans les régions anglophones.  

«Organiser des élections au Cameroun aujourd'hui, qui plus est des élections locales, sans avoir rétabli la paix dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest […], c'est faire passer le message que ces populations ne sont pas des Camerounais et, ce faisant, cela consacre la partition de fait du pays», a déclaré Maurice Kamto.

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Le leader de l’opposition se plaint également  de l'absence d'une réforme du code électoral car «avec le système électoral actuel, les mêmes causes produiront inévitablement les mêmes effets, à savoir: fraudes massives, vol des résultats et nouvelle crise postélectorale», a-t-il ajouté. Interrogé sur les vrais mobiles de cette volte-face inattendue, alors que le parti avait précédemment, en toute conscience des circonstances, annoncé son intention de prendre part à ces élections, Me Emmanuel Simh tranche sobrement.

«La décision aurait pu être prise à n’importe quel moment. Le directoire du parti a pris suffisamment de recul avant de se prononcer et il faut s’en tenir à la décision», a laissé entendre le vice-président du MRC.

Comprendre la démarche du MRC

Le 10 novembre dernier, Paul Biya avait annoncé la convocation du corps électoral en vue des prochaines élections législatives et municipales qui se tiendront le 9 février 2020. Une annonce sévèrement critiquée au sein de l’opinion. Une partie de l'opposition avait dénoncé l'organisation de ce scrutin, s'inquiétant de sa crédibilité au moment où le pays est confronté à de multiples crises internes. Seulement, aucun principal parti de l’opposition, encore moins le MRC, n’avait annoncé son intention de ne pas participer au jeu électoral.

Remettant en question la démarche pour le moins surprenante du MRC, le politologue camerounais Mathias Eric Owona Nguini estime que:

«Si le MRC avait pris cette décision dans la perspective de mettre une pression sur le gouvernement pour résoudre les crises en cours, la démarche aurait été annoncée bien avant le délai de clôture des candidatures. Elle aurait été peut-être accompagnée d’actions pour essayer d’obtenir des modifications de la législation électorale. Il ne me paraît pas établi que c’est un moyen de pression pouvant amener le régime à changer ses positions sur certains problèmes», commente l’analyste au micro de Sputnik.

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Pour le politologue, «la réalité semble montrer que le parti n’était pas suffisamment préparé pour ces élections, d’autant plus qu’une grande partie de ses dirigeants était en prison pendant plusieurs mois». Une lecture que balaie du revers de la main le parti de Maurice Kamto. 

«Nous avons évoqué les raisons pour lesquelles notre participation aux élections à venir n’est plus possible. Maintenant, si certaines personnes ont d’autres informations, cela ne nous engage pas», lance Me Emmanuel Simh.

La décision de Maurice Kamto fait beaucoup parler sur la scène politique locale. Nombre d’observateurs tentent de comprendre la démarche de celui qui monopolise le débat politique depuis la dernière élection présidentielle au Cameroun. Dans une sortie sur sa page Facebook, Dr Richard Makon, analyste politique camerounais, s’interroge sur les raisons évoquées par le MRC, notamment «la solidarité du parti avec les populations affligées du Nord-Ouest et du Sud-Ouest».

«Si cette raison est la vraie raison de ce boycott, sincèrement, on peut difficilement faire plus noble car cette décision acte le passage d'une solidarité passive à une solidarité active et agissante. Notre pays en a bien besoin par ces temps sombres!», a écrit le politologue.

En effet, depuis 2016, un violent conflit oppose les forces armées et séparatistes dans les régions anglophones du Cameroun. Selon des ONG, les combats ont déjà fait plus de 3.000 morts. Beaucoup craignent que la crise sécuritaire jette du discrédit sur le scrutin. Malgré les multiples crises en cours, l’annonce de ces élections avait eu le mérite de détourner le débat dans le pays et de polariser toutes les attentions jusqu’à ce que le MRC jette de nouveau un pavé dans la mare. Pour l’économiste Dieudonné Essomba, «le retrait du MRC est un très mauvais coup pour la stratégie du régime de redorer quelque peu un blason terni».

«Le refus du MRC de participer à ces élections, qui sera certainement suivi par celui du SDF ou, du moins, une frange importante de ce parti, est une terrible pression sur le régime de Biya qui n’en avait vraiment pas besoin en ce moment précis», a écrit l’analyste sur son compte Facebook.

Cependant, certains qualifient de «suicidaire» cette décision car elle écarte de fait le MRC de la prochaine élection présidentielle au Cameroun, selon le code électoral en vigueur. Celui-ci exige en effet que tout candidat à une telle élection soit présenté par une formation politique ayant au moins un élu, ou à défaut rassemble au moins 300 signatures de personnalités «que l’on sait pour l’essentiel inféodées au régime». 

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L’annonce de Maurice Kamto, qui continue de revendiquer sa victoire à la présidentielle d’octobre 2018, ouvre donc un boulevard à toutes sortes d’interprétations. Certains analystes vont jusqu’à y voir la mainmise des forces étrangères tapies dans l’ombre.

«Je ne sais pas si c’est un geste naïf, mais au vu d’un certain nombre d’éléments, je crois que cette formation fait un pari extra-institutionnel, voire insurrectionnel, en comptant peut-être sur la connivence de certaines puissances étrangères pour arriver au pouvoir», commente Mathias Eric Owona Nguini.

Dans les rangs du MRC, au-delà de toutes les dispositions du code électoral en vigueur et des risques encourus par le parti, il est question de rester «fidèle» à ses combats, notamment «le retour de la paix dans les zones anglophones et la réforme consensuelle du système électoral avant toute nouvelle élection au Cameroun».

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