Violations des droits de l’Homme: les États-Unis sanctionnent le Cameroun

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Donald Trump a annoncé son intention de retirer le Cameroun de la liste des pays bénéficiant de l’AGOA. Motif: violations des droits de l’Homme. Alors que la sanction suscite de violentes réactions, Eric Yombi, spécialiste des relations internationales, décrypte pour Sputnik les enjeux d’une telle pression sur le régime de Paul Biya.

Dans une note transmise au congrès américain jeudi 31 octobre 2019, Donald Trump a exprimé sa volonté d’exclure le Cameroun des avantages de l’AGOA (African Growth and Opportunity Act), une loi qui exonère les pays de l’Afrique subsaharienne des droits de douane pour leur exportation sur le marché américain. «J’ai l’intention de mettre fin à la désignation du Cameroun comme pays d’Afrique subsaharienne bénéficiaire au titre de l’AGOA à compter du 1er janvier 2020», a publié le Président américain. Il justifie sa décision par les violations des droits de l’Homme et des détentions extrajudiciaires dans la crise séparatiste en cours.

Donald Trump s’appuie sur la section 104 du texte de l’AGOA qui lui permet de priver un pays des bénéfices de la loi s’il estime qu’il ne réalise pas de progrès suffisants, notamment dans le domaine des droits de l’Homme.

«Le Cameroun n’a pas répondu à nos préoccupations concernant les violations persistantes des droits de l’Homme commises par ses forces de sécurité», précise le Président.

Pourtant l'Unicef, dans un rapport publié le 5 novembre dernier, a accusé les groupes armés d’être à l’origine des exactions contre les civils dans les régions anglophones, et non les forces de défense du pays.

Cette sanction de Washington intervient un mois après la clôture du dialogue national – au cours duquel Paul Biya a ordonné la libération de 333 détenus arrêtés dans le cadre de la crise séparatiste et des centaines de  militants du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), dont le leader Maurice Kamto. Elle jette à nouveau un coup de froid sur les rapports entre les deux pays. En février dernier, l’administration américaine avait déjà sévi contre Yaoundé en raison de sa politique sécuritaire, et mis fin à plusieurs programmes d’assistance militaire pour un montant de 17 millions d’euros. Éric Yombi, journaliste spécialiste des relations internationales, auteur de Décrypter la CEMAC (Éd. Du mérite, 2012) et de Décrypter les questions et les relations internationales (Éd. Du mérite, 2014), analyse pour Sputnik les incidences de telles décisions et les pressions internationales qui continuent de peser sur le Cameroun.

© Photo Éric Yombi / Éric Yombi, spécialiste des relations internationalesÉric Yombi, spécialiste des relations internationales
Violations des droits de l’Homme: les États-Unis sanctionnent le Cameroun - Sputnik Afrique
Éric Yombi, spécialiste des relations internationales

Sputnik: Quel sens donnez-vous à la récente annonce de Donald Trump de retirer le Cameroun de la liste des pays d’Afrique bénéficiaires de l’AGOA d’ici à janvier 2020?

Éric Yombi: «La décision du Président Trump vise à sanctionner un pays ami qui s'est éloigné des canaux de leur relation bilatérale née à la veille de l’indépendance, en l'occurrence, la violation du droit international humanitaire dans le cadre de la crise dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Il reste cependant que cet acte souverain américain arrive dans un contexte où Washington ne cache pas son intention de mieux s'implanter dans le Golfe de Guinée à partir du Cameroun. Et cette ambition se heurte aux présences chinoise et française, partenaires prépondérants du Cameroun. Cela incite à penser que l'AGOA est un outil commercial au service de la politique extérieure américaine en vue d’imposer sa volonté dans les pays bénéficiaires.»

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Sputnik: Quelles peuvent être les conséquences de cette sanction sur les échanges commerciaux entre les deux pays à l’aune des enjeux qui les entourent?

Éric Yombi: «Selon les statistiques, en 2018, les échanges commerciaux entre le Cameroun et les États-Unis étaient de 366 millions de dollars, soit une augmentation de 32% par rapport à 2017. Toujours pour 2018, le Cameroun exportait vers ce pays des biens et services à hauteur de 220 millions de dollars. 63 millions de dollars de ces exportations l’ont été au titre de l’AGOA. Ces données révèlent donc que le Cameroun utilise peu le mécanisme de l’AGOA pour ses exportations vers les États-Unis – à en croire les chiffres de l’ambassade, environ 28,3% seulement des exportations camerounaises vers les États-Unis sont sous le régime de l’AGOA. Donc même si on assistera à une baisse de ces exportations à la suite de la suppression de ces avantages douaniers, l’incidence directe sur les échanges commerciaux avec les États-Unis demeure relativement faible.»

Sputnik: Cette annonce intervient néanmoins au moment où le Président Biya a pris un ensemble de mesures pour résoudre la crise séparatiste, notamment la tenue d’un grand dialogue national et la libération de centaines de  prisonniers. Pourquoi, malgré ces mesures, les États-Unis ont-ils tenu à mettre le Cameroun à l’épreuve?

Eric Yombi: «Les États-Unis ne sont pas satisfaits des mesures prises lors du grand dialogue national. J’en veux pour preuve la récente sortie de l'ambassadeur américain au Cameroun, Peter Barlerin, qui a préconisé au lendemain de ces pourparlers l’organisation d’un dialogue inclusif. Dans la perspective américaine, les conclusions du grand dialogue national tenu en octobre à Yaoundé permettent certes de décrisper l'atmosphère politique, mais elles ne seront pas capables de ramener la paix. En effet, depuis la fin de ces assises, la violence continue dans les régions séparatistes. La position américaine vise sans doute à encourager le Cameroun à discuter avec les acteurs directs de cette crise, notamment les groupes armés.»

Sputnik: Sur le terrain de la crise, les violations des droits de l’Homme sont enregistrées de part et d’autre, que ce soit dans le camp des forces régulières comme dans celui des séparatistes. Les États-Unis n’ont jusqu’ici envisagé aucune sanction contre les séparatistes, notamment ceux des leaders identifiés sur le sol américain. Deux poids-deux mesures?

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Eric Yombi: «Il est vrai que la volonté première  de Washington vise à mettre la pression sur le pouvoir de Yaoundé, qui détient la solution à cette crise. En effet, il l'invite à accorder une place plus importante au respect des droits de l'Homme et à l'État de droit. Cependant, la décision américaine cautionne implicitement les exactions des groupes armés, eux qui violent également le droit international humanitaire.»

Sputnik: Que cache cette forte implication de Washington dans les conflits en cours au Cameroun?

Eric Yombi: «On le constate effectivement, les Américains essayent de faire monter la pression internationale pour contraindre le régime de Yaoundé à trouver des solutions au conflit en cours. On l’a vu en février dernier, sur le plan sécuritaire avec la réduction de l’aide militaire octroyée au Cameroun. Maintenant, c'est une pression économique avec la suppression des avantages douaniers dans le cadre de l'AGOA. Washington, par cette ingérence dans les affaires internes du Cameroun, veut s'imposer comme un partenaire de choix face aux autres grandes puissances déjà bien implantées. On peut dire sans risque de caricature que les États-Unis veulent encore une fois contrôler le Golfe de Guinée à partir du Cameroun.»

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Sputnik: Les États-Unis ne sont pas les seuls partenaires du Cameroun ayant des positions connues vis-à-vis de cette crise. Comment interprétez-vous les prises de position des autres?

Eric Yombi: «Les réactions des partenaires bilatéraux et multilatéraux du Cameroun sont diverses et variées. Dans le cadre de la coopération bilatérale par exemple, la France, principal partenaire économique et historique du Cameroun, fait montre de plus de diplomatie en parlant d’accompagnement du Cameroun dans la gestion de la crise. C'est ainsi qu'elle a toujours incité Yaoundé à trouver une solution interne. Contrairement aux États-Unis qui se sont toujours montrés offensifs. Concernant les partenaires multilatéraux comme l'ONU ou le Commonwealth, la pression est beaucoup plus douce. En mai dernier, l’ONU a évoqué le sujet de cette crise lors d’une réunion informelle de son Conseil de sécurité. Quant à L'Union européenne, elle a souvent haussé le ton. Par exemple dans une résolution en avril, les eurodéputés s'inquiétaient également de la crise en cours dans les régions anglophones et déploraient «la violence et la discrimination à l'encontre de la communauté anglophone». Toute cette pression de la communauté internationale vise toujours à faire fléchir le pouvoir de Yaoundé et à l’amener à trouver des solutions à ce conflit.»

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