«Un Camerounais sur six a besoin d'aide humanitaire, de protection», soit près de 4,3 millions de personnes, notamment des enfants et des femmes, a déclaré lundi 13 mai le secrétaire général adjoint de l'Onu pour les affaires humanitaires Mark Lowcock. «Huit régions sur les 10 du pays sont touchées par la crise humanitaire», a-t-il ajouté lors d'une réunion informelle inédite du Conseil de sécurité sur le Cameroun, qui traverse une violente crise séparatiste dans sa partie anglophone depuis deux ans.
«La situation sécuritaire et humanitaire au Cameroun est des plus alarmante. Les besoins humanitaires nés du conflit anglophone sont les plus sous-financés du continent, seulement 13% des fonds requis ont été levés pour le moment. Nous avons paradoxalement affaire à la crise humanitaire la plus dynamique en Afrique. Entre 2018 et 2019, le nombre de Camerounais ayant besoin d'une aide humanitaire a évolué de 31%. L'immobilisme des Nations unies ne pouvait être interprété que comme de l'indifférence devant une tragédie. Une perception qui devait davantage écorner l'image de l'Onu», explique l'analyste au micro de Sputnik.
Une session informelle, organisée à l'initiative des États-Unis, en dépit de l'opposition de Yaoundé et des membres africains du Conseil, qui craignent une ingérence dans les affaires internes du Cameroun.
Au cours de la réunion, Anatolio Ndong Mba, ambassadeur de Guinée équatoriale, membre non permanent du Conseil de sécurité, a justement défendu la posture africaine estimant que la situation humanitaire au Cameroun «n'est pas une menace pour la paix et la sécurité internationale» et qu'«elle doit être gérée par le gouvernement camerounais». Il s'exprimait aussi au nom des deux autres pays africains de cette instance, l'Afrique du Sud et la Côte d'Ivoire.
«Ce sont les Africains qui doivent régler les problèmes africains», a-t-il ajouté, en évoquant plusieurs organisations régionales africaines. «Pour autant que les autorités camerounaises le souhaitent», a-t-il précisé.
Cependant, sur le terrain, la situation n'est guère reluisante. Selon un récent rapport de l'International Crisis Group, en 20 mois, le conflit séparatiste dans les régions anglophones du Cameroun a fait 1.850 morts. Selon l'Onu, le Nigeria accueille 35.000 réfugiés, pour la plupart des femmes et des enfants. Aujourd'hui, «500.000 personnes sont des déplacés internes, la plupart restant cachées dans des forêts» et «plus de 600.000 enfants sont privés d'éducation» dans les régions anglophones du nord et du sud concernées, a précisé Mark Lowcock comme pour montrer l'ampleur de la crise.
«Nous avons besoin d'une riposte plus globale», notamment de financement international. Les besoins sont de 300 millions de dollars mais seulement 38 millions ont été mis à disposition», a indiqué le responsable de l'Onu.
S'exprimant à son tour, l'ambassadeur du Cameroun aux Nations unies a estimé que cette réunion «ne rencontre pas l'adhésion du Cameroun» et qu'elle est «susceptible d'être malicieusement exploitée par des esprits malveillants». Le représentant du Cameroun a de ce fait déroulé les efforts entrepris par le gouvernement de Yaoundé pour résoudre la crise anglophone remettant constamment en question la nécessité de la tenue de cette assise.
Dans la même journée du 13 mai, le ministère camerounais des Relations extérieures a également tenté de relativiser l'importance de la réunion de l'Onu, précisant qu'il ne s'agissait que d'un «échange de vues» n'engageant «en rien» le Conseil de sécurité. Le communiqué salue par ailleurs «l'intérêt que de nombreux pays portent à la situation humanitaire au Cameroun», tout en critiquant «l'obsession de certains pays et autres acteurs à agiter et exagérer le spectre d'une crise humanitaire dans le vain espoir de susciter une intervention dite humanitaire».
«Yaoundé s'y est opposé depuis le début, anticipant sans doute sur l'écho qu'une telle réunion pouvait avoir au sein de l'opinion. Les opposants au régime ont vite fait de présenter cette réunion comme le signe d'une défiance internationale contre le pouvoir de [Paul, ndlr] Biya, une manœuvre diplomatique devant aboutir in fine à un durcissement de sanctions vis-à-vis du pouvoir central. Le Cameroun craint aussi que l'inquiétude sur la situation humanitaire puisse servir de prétexte à une ingérence politique. La sortie du ministre des Affaires étrangères visait donc à banaliser la portée d'une telle réunion», croit-il savoir.
Cette réunion du Conseil de sécurité fut-elle informelle, est un événement, puisque hormis dans les rapports formels du bureau onusien pour l'Afrique centrale, la crise que traverse le pays n'avait encore jamais été abordée.
«Cette discussion a eu deux grandes vertus. Tout d'abord, elle a permis de sensibiliser les acteurs internationaux sur le drame humanitaire qui se vit au Cameroun et donc elle pourra aboutir à l'accroissement de l'aide humanitaire. Ensuite, elle a permis de révéler les positions des acteurs de la scène internationale sur le Cameroun. Donc, elle va sans doute permettre à la diplomatie américaine qui s'est montrée très offensive sur cette question de savoir qu'elle sera l'enceinte idéale pour discuter d'un régime de sanctions multilatéral contre le Cameroun. Ce ne sera sans doute pas au sein du Conseil de sécurité de l'Onu étant donné que la Chine, la Russie et les diplomates africains ont clairement dégagé leur position anti-ingérence. Il faudra s'attendre à des concertations en bilatéral entre les États-Unis et l'Union européenne ou entre les États-Unis et les partenaires européens, pour définir un régime de sanctions, si jamais la situation au Cameroun ne s'améliore pas», conclut Joseph Lea Ngoula au micro de Sputnik.