Les meetings du MRC de Maurice Kamto à l’épreuve des interdictions

© AFP 2024 STRINGER / Des centaines de militants acclament Maurice Kamto à sa sortie de prison le 5 octobre 2019Des centaines de militants acclament Maurice Kamto à sa sortie de prison le 5 octobre 2019
Des centaines de militants acclament Maurice Kamto à sa sortie de prison le 5 octobre 2019 - Sputnik Afrique
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Moins d’un mois après sa sortie de prison, l’opposant Maurice Kamto fait à nouveau bouger le climat politique au Cameroun. Systématiquement interdites, les manifestations initiées par son parti se heurtent aux barrières administratives. Une situation qui relance le débat sur les libertés publiques dans le pays. Décryptage.

Alors que sa manifestation publique du samedi 2 novembre à Yaoundé a été interdite par les autorités administratives, le parti de Maurice Kamto a décidé de braver cette interdiction. Ce jour-là, les militants du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) ont pris d’assaut l’esplanade du stade omnisport de la ville, répondant à l’appel de leur leader. Une manifestation vite étouffée par les forces de l’ordre qui, la veille, avaient quadrillé les lieux.

Il s’en est suivi des échauffourées ayant entraîné des dizaines de militants blessés ou interpellés, puis libérés quelques heures plus tard, à en croire Olivier Bibou Nissack, le porte-parole de Maurice Kamto, dans une publication faite sur son compte Facebook ce 2 novembre.

Libérés le 5 octobre dernier à la suite de l’arrêt des poursuites judiciaires ordonné par Paul Biya, Maurice Kamto et ses partisans sont décidés à continuer leur combat politique. Si certains observateurs s’interrogeaient encore sur la stratégie du MRC pour la suite, le coriace adversaire de Paul Biya, qui vient de passer plus de huit mois en détention, s’inscrit dans la continuité, comme le constate David Eboutou, analyste politique et consultant permanent pour une télévision privée à Douala.

«Il semble que depuis sa sortie de prison, Maurice Kamto se soit davantage inscrit dans la constance politique qui rassure ses partisans, qu’il n’est pas prêt à lâcher du lest, qu’il reste un homme politique qui entend tenir jusqu’au bout la promesse qu’il a faite à ses militants, à savoir: poursuivre son engagement dans la contestation. L’homme politique est également jugé sur la base de son discours et de sa cohérence. Et c’est dans ce sens-là que Maurice Kamto entend s’inscrire pour marquer ses actions sur le plan de cette constance politique», souligne David Eboutou au micro de Sputnik.

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Arrêté le 28 janvier dernier à Douala, en même temps que des cadres de son parti, à la suite de manifestations interdites par les autorités, le président du MRC et ancien ministre de Paul Biya a été inculpé avec ses coaccusés pour «rébellion, insurrection, hostilité contre la patrie».

Pour autant, la détermination de Maurice Kamto reste intacte après sa sortie de prison. Le leader du MRC dit être prêt à y retourner si c’est le prix à payer. «S’il faut que je retourne à Kondengui (prison de Yaoundé, ndlr), je retournerai à Kondengui», a-t-il déclaré lors  d’une rencontre des femmes du MRC, le mercredi 30 octobre dernier au siège du parti à Yaoundé.  

Des entorses aux libertés

À la veille du meeting prohibé du samedi 2 novembre dernier, une autre manifestation publique du MRC prévue le 1er novembre à Ebolowa, dans la région du Sud, a subi le même sort. Le sous-préfet de la localité l’a annulée, concomitamment avec celle du Rassemblement du peuple camerounais (RDPC), parti au pouvoir. Les deux formations politiques avaient opté pour le même site et le même jour. L’autorité administrative a évoqué pour justifier sa décision, la «menace de trouble à l’ordre public». Un subterfuge contesté par le MRC qui avait au préalable obtenu une autorisation, avant de se la voir retirée quelques heures plus tard.

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Pour le parti, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une tentative de musèlement: «Cette manifestation ne devrait pas être interdite mais plutôt celle du RDPC.» Car, affirme Maurice Kamto, «c’est ce parti qui a l’intention de créer le trouble à l’ordre public». Pour David Eboutou, le rétropédalage de l’administration n’est pas anodin.

«Il est inadmissible, selon ce qu’on a lu, qu’un récépissé de déclaration soit autorisé par le sous-préfet à une heure donnée puis que ce même sous-préfet prenne un autre acte pour l’interdire quelques heures plus tard en alléguant des faits, somme toute, amusants. À savoir qu’un autre parti politique bien ancré dans la ville d’Ebolowa aurait sollicité le même lieu au même moment pour tenir son meeting. Et qu’il craignait des affrontements. Cela relève de la légèreté. Il me semble que dans ce raisonnement, qui n’a pas du tout tenu la route, il y a une main obscure qui a conduit le sous-préfet à revenir sur sa première décision», pense l’analyste.

Si la libération du principal opposant à Paul Biya était nécessaire pour apaiser les tensions et mettre un terme à la longue crise post-électorale dans le pays, rien n’est encore gagné sur le terrain des libertés. Les réunions publiques des partis d’opposition sont très souvent interdites depuis la dernière présidentielle sous le même prétexte de la possibilité de survenance des «troubles à l’ordre public». Franck Essi, secrétaire général du Cameroon People’s Parti (CPP), autre parti de l’opposition, estime que ces interdictions récurrentes sont autant de violations des lois et des libertés des partis politiques.

«C’est une tendance lourde dans notre contexte parce qu’on l’observe déjà depuis plusieurs années. Elle tient principalement au fait que le parti au pouvoir est de moins en moins en capacité d’assumer la concurrence politique. Il n’arrive pas à gérer l’émergence de nouvelles organisations politiques qui ont avec elles une énergie nouvelle, des stratégies nouvelles et une détermination qui tranche un peu avec l’attitude qu’on observe avec une certaine opposition traditionnelle née dans les années 1990. Ce durcissement est le propre de tous les régimes dictatoriaux qui prennent le prétexte de la paix sociale, des guerres, des complots internationaux pour faire en sorte que les adversaires politiques n’aient pas la possibilité de se déployer pleinement», estime Franck Essi au micro de Sputnik.

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Alors que le MRC annonce une autre manifestation publique à Douala, la capitale économique du pays, le samedi 9 novembre, ces premiers meetings avortés ont relancé le débat sur les libertés publiques dans le pays. Déjà accablé par de nombreux rapports alarmants sur les violations des droits de l’homme dans les crises en cours, le régime de Yaoundé, selon David Eboutou, ne fait que salir son dossier en se livrant à de telles restrictions des libertés de manifester.

«On ne réserve pas le même traitement au parti au pouvoir, ses meetings sont bien encadrés et ne souffrent d’aucune interdiction. Cette attitude du "deux poids deux mesures" commence à créer des effets pervers dans l’opinion publique et c’est malheureusement cet engrenage-là qui pourrait conduire notre pays dans un cycle de violence. On a souvent l’impression, à travers les exactions et les images qui circulent, et les arrestations qui s’ensuivent, que le Cameroun est en train de fondre doucement mais sûrement vers un régime autoritariste. Cela tend à justifier les sanctions qui pleuvent sur le pays», avertit l’analyste politique.

Pour Franck Essi, il est plus qu’urgent, pour les partis d’opposition, de poursuivre le combat dans la quête des libertés afin d’imposer au régime de Yaoundé le respect de leur droit à manifester.

«Il faut comprendre que les choses ne changent pas parce que les régimes dictatoriaux le veulent bien, elles changent parce que les populations, activées par les forces politiques ou autres forces civiles, arrivent à se réveiller et à exiger le respect de leurs droits. Dans ce sens, la persistance des meetings du MRC est une bonne chose pour la démocratie camerounaise, nous nous en réjouissons. À cet égard, nous avons toujours appelé à un front commun des forces de l’opposition sur les questions d’intérêt général – les libertés, le code électoral, la résolution des crises nées de la mauvaise gouvernance du régime actuel», conclut Franck Essi. 
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