De Washington à Paris en passant par Toronto, l’opposant camerounais est allé de rencontres en rencontres. Aristide Mono, chercheur et politologue camerounais, enseignant en sciences politiques à l’université de Yaoundé II, nous livre son analyse.
«Le président du MRC est dans une dynamique de construction d’une assise politique tant sur le plan local qu’international. On est en fait dans la continuité hors des frontières camerounaises de la quête des sympathisants et soutiens», explique-t-il au micro de Sputnik.
Début janvier, à Washington, Maurice Kamto avait déjà rencontré Tibor Nagy, le sous-secrétaire d’État américain en charge des Affaires africaines. Une rencontre qu’affiche fièrement le «Monsieur Afrique» de Donald Trump sur son compte Twitter, comme s’il mettait en relief les rapports convulsifs entre la Maison-Blanche et le pouvoir de Yaoundé.
Met with Maurice Kamto today. I reaffirmed U.S. commitment to democracy, peaceful elections, and U.S. support for the Swiss initiative in #Cameroon pic.twitter.com/6i0ROZAwXX
— Tibor Nagy (@AsstSecStateAF) January 9, 2020
Tibor Nagy, qui totalise depuis ces derniers mois assez de points de rupture avec les dirigeants camerounais, notamment sur la gestion militaire de la crise anglophone et le respect des droits de l’Homme dans le pays, démontre par cette autre posture, selon Aristide Mono, son désaveu de Paul Biya.
«Tibor Nagy est, indépendamment de tout soutien avéré au président du MRC, dans une phase de désaveu public du régime de Yaoundé, ce qui nous permet de supposer que Maurice Kamto a là un allié de conviction. Tout d’abord parce qu’ils partagent le même combat. Mais aussi parce que cet allié est un bras agissant (en Afrique) du Président américain, une proximité qui n’est pas à négliger en cas de projet d’adoubement officiel du président du MRC par la Maison-Blanche», projette l’analyste.
Dans cette démarche de lobbying international, le patron du MRC s’est rendu ce mercredi 5 février, dans les locaux du Parlement européen à Bruxelles en Belgique. Maurice Kamto s’y est entretenu avec Marie Arena, une députée européenne membre du Parti socialiste belge. À la suite de leurs échanges, l’eurodéputée s’est exprimée dans une publication sur Facebook:
«La seule façon de créer les conditions pour éradiquer la violence et consolider une paix durable au Cameroun, c'est de tenir des élections transparentes, libres et crédibles, où les partis d'opposition, tels que le MRC, peuvent s’inscrire et faire campagne en toute liberté», a-t-elle posté.
Un discours qui conforte dans leur position Maurice Kamto et ses partisans. D’ailleurs, l’ex-ministre de Paul Biya avait bénéficié du soutien du Parlement européen à travers la pression mise sur Yaoundé pour sa libération ainsi que celle d’autres prisonniers politiques, l’année dernière. Les eurodéputés se sont très souvent prononcés sur la crise en cours dans les régions anglophones, fustigeant sa gestion par les officiels camerounais.
Le soutien du Parlement européen est un apport important qui, du point de vue de notre analyste, pourrait aboutir à une pression plus forte sur le Cameroun au vu de la coopération économique entre les deux entités.
«Les sanctions économiques de l’Union européenne peuvent considérablement impacter le régime de Yaoundé car l’UE s’est affirmée au fil des ans comme le premier partenaire commercial du pays avec près de 55% des exportations et 32% de ses importations en 2019», souligne Aristide Mono.
La diaspora, un pis-aller pour Maurice Kamto ?
Interdit d’organiser tout meeting au Cameroun depuis sa sortie de prison le 5 octobre 2019 après 9 mois de détention dans le cadre des marches de protestation des résultats de la présidentielle d’octobre 2018, Maurice Kamto s’en est remis à la diaspora. Le leader du MRC l’a rencontrée le 1er février dernier à Paris, à l’occasion d’une grande réunion. Plusieurs dizaines de milliers de ressortissants camerounais ont répondu présent et ont tenu à manifester leur soutien au leader politique. Une forte mobilisation qui témoigne sans doute du soutien de ces Camerounais pour le combat du MRC.
«L’enjeu important est le retour d’ascenseur vis-à-vis de cette diaspora qui, depuis quelques années a fait de lui le symbole de la résistance contre le pouvoir de Yaoundé […] Il revient naturellement à Maurice Kamto de faire preuve de reconnaissance et de renforcer sa proximité physique avec ces jeunes qui en ont surement besoin», commente Aristide Maono.
«Je pense qu’aujourd’hui, plus que jamais, la diaspora camerounaise est résolument engagée dans la lutte pour la transition. Sa plus-value, c’est sa capacité à contourner ce que les opposants locaux opprimés appellent "la dictature à huis clos"», analyse Aristide Mono.
Au cours de sa tournée internationale, le patron du MRC s’est à coup sûr taillé une visibilité à la fois auprès de l’opinion internationale et des partenaires occidentaux. Pour Aristide Mono, l’objectif affiché est clair: «Solliciter des soutiens internationaux et renforcer les acquis, notamment ses rapports avec des gouvernants, partenaires du Cameroun, qui lui font déjà confiance. Et une telle démarche, lorsqu’elle est fructueuse, ne peut que provoquer une désaffection internationale du pouvoir du Président Paul Biya.»
Cependant, à Yaoundé, l’on voit d’un mauvais œil cette exposition des crises internes sur la scène internationale. À l'heure où les peuples africains s'insurgent contre les ingérences des puissances étrangères, Maurice Kamto ne navigue-t-il pas aussi à contre-courant en sollicitant ces mêmes puissances?