C’est la saison des recommandations aux divers pays de l’Union européenne diffusées par le Conseil européen. Celles concernant la France ont été publiées le 5 juin, soit après les élections européennes du 26 mai. Il est vrai que leur contenu aurait pu gâcher la fête…
Il n’y a rien d’étonnant à cela. Le processus d’élaboration des recommandations est lui-même très particulier. Les recommandations sont en effet produites par la Commission européenne sur la base d’une évaluation des documents et des programmes soumis par les pays de l’UE. Tous les pays sont donc tenus de fournir des indications précises sur leur programmation budgétaire et sur leur situation pour les 18 mois à venir, et ils le font une fois par an. La CE est aidée par divers comités d’experts et comités techniques qui dépendent de ses services, et en particulier le comité de l’emploi, le comité économique et financier, le comité de la protection sociale, et le comité de politique économique. Or ces comités sont peuplés d’experts dont la connaissance des spécificités des 27 pays de l’UE est faible, et la maîtrise de l’économie par ailleurs assez médiocre.
Mais la France doit de plus affronter les règles particulières qui s’appliquent aux pays de la zone Euro. Pour ces pays, en effet, des avis supplémentaires sont fournis par l’Eurogroup, une structure qui, il convient de le rappeler, n’a pas d’existence légale au sein de l’UE, ainsi que par la BCE.
Les recommandations de la Commission européenne sont alors transmises au Conseil européen (dans sa forme dite «EcoFin», soit la réunion des ministres des Finances). C’est donc le Conseil européen et non la Commission européenne qui a le pouvoir d’adopter ces recommandations, puis de vérifier leur respect par les différents pays. Il le fait à une majorité qualifiée (Traité de Lisbonne) et non plus à l’unanimité. Le point est important pour la suite, car divers «manquements» à ces recommandations seront naturellement observés.
La base légale qui sert à cet examen découle des différents traités qui constituent l’Union européenne et en particulier:
· Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et notamment son article 121, paragraphe 2, et son article 148, paragraphe 4.
· Le règlement (CE) nº 1466/97 du Conseil du 7 juillet 1997 relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques, et notamment son article 5, paragraphe 2.
· Le règlement (UE) nº 1176/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2011 sur la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques 2, et notamment son article 6, paragraphe 1.
Qu’arrive-t-il alors si l’on constate des «manquements» importants, des divergences entre ces recommandations et la réalité de la dynamique économique et sociale des différents pays?
La procédure est donc longue et soumise au Conseil Européen. Dans le cas d’une infraction aux règles monétaires néanmoins, c’est une autre procédure, décidée conjointement par l’Eurogroup et par la BCE qui s’applique et ceci peut aboutir très rapidement (en 24-72h) à des sanctions mises en place par la BCE.
En fait, les recommandations s’inspirent des principes fondateurs de l’UE qui eux-mêmes dérivent du marché unique (et donc de l’acte unique qui est antérieur à l’UE). En particulier, c’est le principe de «concurrence libre et non faussée» qui est réputé guider les commissaires européens et les membres du Conseil européen. Cela touche aussi le marché du travail et l’ensemble des réglementations sociales qui doivent s’ajuster au plus petit dénominateur commun entre les différents pas dans ces conditions. Par ailleurs, ces recommandations suivent les principes de stabilité budgétaire décidés dans le cours de la crise de 2007-2009, puis de la crise de la zone Euro (6-packs). Dans les faits, cela aboutit structurellement à un très fort biais «néo-libéral» dans les recommandations. On comprend les difficultés récurrentes de certains pays, dont le notre. On voit aussi que ces recommandations vident peu à peu de toute substance la capacité des parlements nationaux à élaborer et à voter les budgets. Or, le vote du budget fut historiquement l’acte fondateur dans les pays occidentaux de la démocratie parlementaire. De fait, les parlements nationaux, composés des élus des peuples, sont confrontés à des règles et des normes établies par des cénacles nullement élus. Et c’est de cette distorsion que l’Union européenne, et au-delà l’idée même de l’Europe, sont en train de périr.