Désormais, la place de l’Afrique dans le commerce mondial ne sera plus la même. La Zone de libre-échange continentale (ZLEC) est entrée en vigueur le 30 mai dernier et pourrait changer la donne. 22 pays ont ratifié ce traité sur les 52 qui l’ont signé, cette zone est donc amenée à s’élargir encore.
Certes, la faiblesse des compétences, de la productivité et de l’activité économique sur le continent persiste, mais soixante-cinq ans après la création l’Organisation de l’Unité africaine (OUA), aujourd’hui Union africaine (UA), cette ZLEC est une avancée majeure pour le continent.
Sputnik: L’accord portant création de la Zone de libre-échange continentale, promu par l’Union africaine, est entré en vigueur le 30 mai 2019. Quelles en sont pour vous les perspectives et les retombées pour le continent africain?
Sputnik: Vous avez dirigé la commission économique pour l’Afrique pendant longtemps. Quelles sont les actions que vous avez menées pour aboutir à cet accord?
Carlos Lopes: «à mon arrivée à l’Union africaine en 2012, j’ai trouvé que le travail avait commencé depuis le traité d’Abuja sur l’établissement d’une zone de libre-échange. Lorsque j’arrive donc en 2012 à la tête de la commission économique pour l’Afrique, on est dans la mouvance de la célébration du 50e anniversaire de l’Union africaine, avec madame Zuma qui dirigeait alors la commission de l’Union africaine. À partir de 2012, la tendance n’était plus la même.
Sputnik: Les économies africaines sont très faibles. Dans quelle mesure la ZLEC peut-elle fertiliser le commerce africain et accroître son influence sur le marché mondial?
Nous pouvons dire d’après les études réalisées que ce n’est pas très différent de ce qui se passe dans les autres pays et régions du monde. Avec la zone de libre-échange, tous les pays gagnent, même si certains gagnent plus et d’autres moins dans des transactions. À mon avis, ceux qui gagnent le plus, c’est parce qu’ils se préparent. Il faut des politiques qui créent des mécanismes et qui permettent de tirer avantage de son insertion dans une telle zone.»
Sputnik: Le commerce intra-africain tourne autour de 20% des échanges. L’une des raisons en est le sous-financement des économies africaines. Du coup, la croissance économique est statique. Ce qui préoccupe les États est la lutte contre l’inflation. Ne voyez-vous pas là un frein?
La croissance interne est motivée par la croissance démographique, les infrastructures et l’urbanisation. Et je pense que l’Afrique a toutes les chances d’augmenter cette partie de consommation interne si on se focalise davantage sur le marché africain pour les exportations. Prenons l’exemple des pays producteurs de pétrole comme l’Angola, la Libye ou le Nigéria, etc. Vous allez vous rendre compte que s’ils raffinaient l’ensemble de leur production, ils vendraient leurs produits raffinés aux autres pays africains. Les pays africains continuent d’importer à peu près 70% de leur production pétrolière parce qu’ils ne raffinent pas, ils n’ont pas donné la priorité à l’industrialisation. Pour y arriver, il faut nécessairement des réformes. Et c’est là la complexité. Beaucoup de pays préfèrent la facilité au complexe.»
Sputnik: Au moment où l’UA prône le libre-échange, le débat autour du FCFA se pose en Afrique. On se souvient il y a quelques jours encore de la déclaration du Président sud-africain, Cyril Ramaphosa, qui évoquait cette question, en proposant une monnaie unique pour l’Afrique. Est-ce qu’une monnaie unique permettrait à l’Afrique d’exprimer sa volonté de puissance?
Carlos Lopes: «Je ne pense pas que le Président sud-africain ait exprimé le désir d’une monnaie unique. Je crois qu’il a été mal compris. En tout cas, à mon avis, une monnaie unique ce n’est pas la solution en ce moment. La création d’une zone monétaire est très complexe. Vous voyez la crise autour de l’euro, c’est justement parce qu’il y a un certain nombre de caractéristiques de politique de convergence macroéconomique qui ne sont pas encore présentes dans beaucoup de pays européens.
Moi je suis en faveur d’une réforme profonde. Mais je ne partage pas le point de vue selon lequel cette monnaie est responsable de tous les défauts que connaît l’Afrique aujourd’hui. Il y a aussi un certain nombre d’avantages, par exemple le fait que des pays avec des caractéristiques économiques très différentes ont réussi à contrôler l’inflation. Ce n’est pas aussi facile que les gens le croient. Il faut aussi dire que les gens ont une lecture historique marquée par le colonialisme. Mais il faut voir ça avec froideur pour que cette monnaie puisse être un instrument qui booste l’industrialisation et la transformation structurelle, ce qui n’est pas le cas pour le moment.»
Carlos Lopes: «Ces deux régions ont approuvé la libre circulation, parce que la pratique laisse encore à désirer. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe aux postes-frontière des pays. En Afrique de l’Ouest, il y a beaucoup de difficultés et des barrières. Et même si elles restent informelles, elles sont réelles. Pour ce qui est de l’Afrique centrale, la situation est encore pire. Le principe est accepté, mais avec des réticences de la part de certains pays membres de la CEMAC [Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, ndlr]. Il y a encore du chemin à faire. Mais je reste optimiste. Le traité de libre-circulation de l’union africaine a déjà été signé par une trentaine de pays. On avance dans un principe légal, quoiqu’à pas de tortue, mais on avance.»