Un rejet à l’emporte-pièce. Les billets de banque et pièces de monnaie émis par la Banque centrale du Maroc ne porteront finalement pas de mention en Tifinagh, l’alphabet amazigh. La fin de non-recevoir a été apportée par une majorité de députés de la Chambre basse, alors même que l’amendement avait réussi à passer avec succès le cap de la Chambre des Conseillers, quelques semaines auparavant. Subrepticement, le groupe du Parti Authenticité et Modernité (PAM) avait pu profiter, pour ce faire, de l’absence des députés de la majorité et de l’abstention de leurs collègues du parti Istiqlal. Au terme de la première navette, l’amendement a finalement été supprimé en commission des finances de la chambre des députés.
«Ce vote en commission des finances à la Chambre du Parlement est une infraction claire à la Constitution et un manquement, de la part de certains partis politiques au gouvernement et dans l’opposition, à leurs obligations constitutionnelles, politiques et morales envers les revendications légitimes du mouvement amazigh», fustige le communiqué signé par un collectif réunissant plus de 400 associations et groupements amazighs, dont Sputnik a obtenu copie, samedi 25 mai.
Cette opposition, d’apparence juridique, cache pourtant une certaine résistance idéologique, estime dans un entretien avec Sputnik le professeur de philosophie et militant politique amazigh Ahmed Assid.
L’intellectuel marocain épingle ainsi «les conservateurs politiques et religieux», qui ont rejeté l’amendement au moyen d’une démarche juridique «contestable».
Aussi, pas plus que d’autres prédicateurs islamistes, Cheikh Hassan Ali Kittani n’est-il connu pour être un fervent partisan de l’identité amazighe. «À l’insu de tout le monde, et soudainement, on va trouver les lettres amazighes sur nos billets de banque. Ce sera d’autant plus de marginalisation pour la langue de l’islam et des musulmans», s’indignait le prédicateur salafiste dans une publication sur sa page Facebook, avant de la retirer, devant la virulence des réactions qu’elle a provoquée.
«Le PJD et Istiqlal se sont toujours opposés à la reconnaissance de l’amazighité du Maroc, notamment en 2011, quand le débat constitutionnel a abouti à la reconnaissance de l’amazigh comme langue officielle. Les deux partis ont travaillé à ce que l’arabe demeure la seule langue officielle et tous leurs comportements après 2011 sont basés sur cette conviction. Ils ont essayé de contrer le parti du PAM sous prétexte d’attendre que la loi organique soit adoptée», résume Ahmed Assid.
Pour Ahmed Assid, le blocage réside, plus particulièrement, autour de «passages flous», dans cette loi organique et s’apparentant davantage à des déclarations d’intention qu’à des dispositions légales. Objectif: arrimer ces dispositions à un socle plus solide, pour garantir leur efficience. «Il en est ainsi, par exemple, des dispositions relatives à l’enseignement de la langue amazighe. L’actuelle formulation ne permet pas de garantir un enseignement généralisé, aussi bien verticalement [ensemble des cycles et niveaux d’enseignement, ndlr], qu’horizontalement, [pour concerner les différentes régions du Royaume, ndlr] avec l’usage du graphique Tifinagh», illustre Assid.
«À quelque chose, malheur est bon. Cette mésaventure [relative aux monnaies et billets de banque, nldr] nous a quelque part rendu service. Elle nous permet aujourd’hui d’exercer plus de pression sur les partis du gouvernement pour qu’ils tranchent cette question de lois organiques en suspens, une fois pour toutes», promet Ahmed Assid.
L’adoption de ces deux textes constituera pour les défenseurs de l’identité amazighe du Maroc une consécration d’un combat de plusieurs décennies, dans ce pays qui compte la plus grande population berbérophone de la région: depuis 2001, date du discours royal d’Ajdir et du lancement de l’Institut Royal pour la culture amazighe à l’adoption de la nouvelle Constitution en 2011, en passant par des dates clés: en 2003, c’est le lancement de l’enseignement du berbère dans les écoles. En 2006, les premiers journaux télévisés quotidiens en berbère voient le jour. En 2010, c’est le lancement de Tamazight, la première chaîne (publique) berbère au Maroc.