Evgueni Baranov, correspondant de guerre russe et auteur de documentaires, se souvient de son travail en tant que correspondant de Pervy Kanal à Belgrade au printemps 1999, raconte à Sputnik comment le premier Tomahawk de l'Otan tiré contre la capitale serbe est resté «coincé» dans sa tête à tout jamais et se remémore les choses qu'il a vues en Yougoslavie et qui l'ont poussé, même s'il avait déjà vu beaucoup de points chauds, à «grandir une nouvelle fois».
D'après Evgueni Baranov, malgré les épisodes monstrueux ayant entraîné des victimes civiles à Aleksinac et à Nis [Aleksinac a été bombardée le 5 avril 1999, tuant 11 civils et en blessant entre 30 et 50, selon les autorités serbes. Aleksinac a été ensuite bombardée de nouveau, dans la nuit du 27 au 28 mai, faisant encore trois morts. Nis a été bombardée à plusieurs reprises, notamment le 7 mai 1999 avec des bombes à sous-munitions. Bilan: 15 civils tués. Ndlr.], personne ne s'attendait vraiment à des bombardements destructeurs de Belgrade, personne ne pouvait imaginer qu'une capitale serait bombardée au cœur de l'Europe. Cela ne s'était pas produit depuis 1945.
«Nous avons appris les bombardements presque immédiatement. Nous étions encore là 20-25 minutes avant que les missiles n'atteignent le bâtiment. Nous étions avec ces personnes 20 minutes avant leur mort… Ma première pensée fut: que leur est-il arrivé?»
Les bombardements de la RTS ont provoqué de nombreuses morts civiles: des journalistes, des rédacteurs, des réalisateurs, des opérateurs, des techniciens et des maquilleurs qui faisaient leur travail à ce moment-là. La plus jeune des victimes était l'assistant technicien Darko Stoimenovski, 25 ans, et la plus âgée le rédacteur des émissions Tomislav Mitrovic.
«Nous ne connaissions, malheureusement ou peut-être heureusement, personne du groupe d'individus qui faisaient cette émission et ont été tués. On a beaucoup parlé ensuite pour savoir qui était responsable, pourquoi les gens n'avaient pas été évacués… Depuis le début je trouvais que c'était d'un cynisme consternant: comment peut-on accuser les gens de poursuivre leur travail quand on les bombarde, sans accuser ceux qui les ont bombardés. C'est absurde!», s'indigne Evgueni Baranov.
«Je me souviens d'avoir été bouleversé par un vieil homme, près du ministère de l'Intérieur encore fumant après les bombardements. C'était manifestement un vétéran de guerre, les médailles étaient visibles sous son imperméable. Debout, il regardait tout cela. Je me souviens de ses yeux. Je m'en souviendrai toute ma vie. Parce que nous sentions, comme si nous reconnaissions cette alarme, comme si nous la connaissions. Il avait participé à la guerre. Et nous étions les petits-enfants de ses protagonistes…»
En tant que correspondant de guerre, Evgueni Baranov a visité la Tchétchénie, l'Afghanistan, il a vu de nombreux conflits armés. Mais il affirme que les bombardements de Belgrade étaient à part, ressemblaient à un phénomène complètement surnaturel:
«Belgrade était une chose qui ne pouvait pas du tout arriver. Toutes ces bombes et les sirènes sonnant l'alarme aérienne ne s'inscrivaient pas du tout dans le même tableau que les terrasses remplies de gens buvant leur café au centre d'une capitale européenne quand vient l'été…»
«C'était vraiment cynique. Tout ce qu'ils disaient. La simple comparaison de leurs propos avec leurs actes est une définition toute prête du mot «cynisme» pour Wikipédia. Qu'est-ce que le cynisme? Les bombardements de Belgrade et de la Yougoslavie en 1999!»
En 2007, Evgueni Baranov a tourné un documentaire sur la Yougoslavie intitulé «Le Kosovo — territoire. Condamnés à l'exil», avec l'annotation suivante de l'auteur: «N'attendez ni objectivité ni impartialité.»